La communauté culinaire québécoise vient de perdre l'une de ses grandes dames. La critique gastronomique Françoise Kayler est décédée lundi dans son sommeil à l'âge de 80 ans. Elle laisse dans le deuil les amoureux des plaisirs de la table, ses confrères journalistes, mais également les chefs qu'elle a été appelée à critiquer dans les pages de La Presse durant près de 35 ans.

«Son départ va être regretté parmi les cuisiniers. Elle était comme notre marraine, notre conscience professionnelle», a raconté le chef à la retraite Marcel Kretz, qui a côtoyé la journaliste durant près de 40 ans. «Si la critique culinaire est acceptée aujourd'hui au Québec, c'est grâce à elle. Elle était précise, tolérante, mais jamais méchante.»

M. Kretz, qui a été chef à l'hôtel La Sapinière, à Val-David pendant de nombreuses années, n'oubliera jamais l'article où Mme Kayler a sévèrement évalué son escalope de veau cordon-bleu. «Mais elle avait parfaitement raison! Grâce à elle, j'ai rectifié le plat pour l'amener dans des normes plus acceptables. Je pense que sa plus grande force était qu'elle était capable de dire la vérité sans jamais blesser personne.»

Françoise Kayler est née à Bois-Colombes, près de Paris. Elle s'est installée à Montréal en 1951 pour épouser un Québécois de 29 ans, Jean Vaillancourt. Celui-ci est mort dix ans plus tard alors qu'il était journaliste à La Presse.

«Après sa mort, je suis entrée à La Presse, aux pages féminines et au carnet social. Comme mon mari a été embauché par ce journal en 1954, j'ai vécu avec La Presse pendant plus de 50 ans!», confie-t-elle dans l'ouvrage Français de Montréal des auteurs Éric Clément et Bertrand Lemeunier.

Quelques années plus tard, Mme Kayler passe au secteur agroalimentaire, où elle a fait sa marque. Pour le vice-président à l'information et éditeur adjoint de La Presse, Philippe Cantin, sa contribution fut exceptionnelle.

«Passionnée d'alimentation, elle a été une pionnière à de nombreux égards. Avant tous les autres journalistes, elle a saisi les fulgurants développements de l'industrie agroalimentaire et deviné le désir des Québécois de mieux comprendre les multiples rouages de ce secteur», a-t-il expliqué. «Critique respectée, son opinion faisait autorité. Active jusqu'à la fin, elle aura été une figure marquante d'une spécialité à laquelle elle aura fourni ses lettres de noblesse.»

Le critique de musique classique Claude Gingras, entré à La Presse en 1953, parle de sa collègue comme d'une femme élégante à la réputation sans tache. «Elle était d'une rigueur absolue et d'une honnêteté exemplaire, ce qui n'est pas rien dans un milieu où bien des influences se jouent.»

Françoise Kayler a pratiqué son métier librement sans accepter de passe-droits. En plus de son éthique, Denis Paquin, qui siège au conseil d'administration de la Société des chefs cuisiniers et pâtissiers de la province de Québec, se rappellera de l'engagement de la femme qui avait non seulement à coeur la promotion des talents culinaires d'ici, mais également le travail des agriculteurs.

«Elle était de tous les dossiers. Elle siégeait à un nombre impressionnant de comités pour promouvoir les restaurateurs d'ici, la relève ou les produits régionaux. À mon avis, elle était l'alliée des chefs. Elle savait que le succès d'un restaurant passait par eux.»

Tout en se consacrant à des causes liées à une saine alimentation, Françoise Kayler tenait aussi un blogue, le Gastronote, depuis 2007. Elle y a partagé sa passion pour la cuisine.

Son décès a pris plusieurs de ses proches de court. Lundi soir prochain, elle devait présider la soirée-hommage aux récipiendaires de la bourse Françoise Kayler de la Fondation de l'Institut de Tourisme et d'Hôtellerie du Québec (ITHQ). À la demande de ses enfants, la soirée aura lieu comme prévu. La directrice de l'ITHQ, Lucille Daoust, lui rendra hommage.

Il n'y aura pas de funérailles, mais la famille accueillera parents et amis au salon funéraire Urgel Bourgie situé au 3503 avenue Papineau, Montréal, le vendredi 30 avril de14h à 17h et de 19h à 21h.