Manger est une source de plaisir et de... gaz à effet de serre. Comment verdir son assiette? Voici huit conseils et la réponse à la question complexe: vaut-il mieux manger bio ou local?

FAUT-IL PRÉFÉRER LE BIO IMPORTÉ OU LE NON-BIO D'ICI?

«Pour l'environnement, est-ce mieux de manger bio peu importe la provenance ou de manger local, même si ce n'est pas bio?» Cette question envoyée par une lectrice, Isabelle Charette de Mont-Saint-Hilaire, est plus complexe à résoudre que le mystère de la Caramilk.

Tout dépend de ce qu'on mange, de l'endroit d'où ça provient et de la façon dont c'est transporté jusqu'à nous. Évidemment, il est préférable de manger une pomme du Québec que du boeuf bio du Japon - mais personne ne s'alimente de l'un ou de l'autre en exclusivité.

«Pour limiter l'émission de gaz à effet de serre [GES], il n'y a pas de réponse tranchée sur cette question, si la provenance n'est pas un critère, indique Dominique Maxime, associé de recherche au Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services [CIRAIG]. Pour d'autres enjeux environnementaux comme la biodiversité ou les risques de toxicité des écosystèmes et des humains, le bio est probablement une meilleure option.»

Normand Mousseau, professeur de physique à l'Université de Montréal et directeur de l'Institut de l'énergie Trottier, penche plutôt pour les aliments locaux. «Si on compare du bio qui vient de l'autre bout du monde à un produit non bio qui vient d'à côté, c'est pas mal clair que c'est le produit local qui a l'impact environnemental le plus gagnant», estime-t-il.

Réconciliant tout le monde, l'organisme environnemental Équiterre propose de préférer les aliments... bios et locaux.

«On va même un peu plus loin: on prône la production dans des fermes qui utilisent des principes d'agroécologie.»

«Ce sont des pratiques agricoles qui permettent le stockage du carbone dans le sol. Ceux qui font cela, ce sont souvent de petites fermes bios», précise Colleen Thorpe, directrice des programmes éducatifs d'Équiterre.

Test en janvier, au Québec

En fait, pour verdir son assiette, l'enjeu prioritaire est ailleurs. Le mieux est de... réduire la quantité de viande qu'on consomme. Dans le cadre de sa maîtrise en environnement à l'Université de Sherbrooke, en 2016, Corinne Côté a comparé l'empreinte carbone (le total des gaz à effet de serre émis tout au long du cycle de vie) d'un régime locavore (constitué d'aliments locaux) et d'un régime végétalien (sans produits animaux). Particularité: le test a été fait en janvier, au Québec.

Résultat? Le régime locavore émettait des quantités de gaz à effet de serre de 13,8 % supérieures, même si beaucoup d'aliments du régime végétalien étaient transportés sur des milliers de kilomètres - hiver oblige. Le coupable? La viande et les produits animaux compris dans l'assiette locavore, même si tout provenait d'un rayon de 160 km.

Éviter la viande

À l'échelle mondiale, la production d'aliments a été responsable de l'émission de 5,2 milliards de tonnes de GES en 2010, selon un article paru en octobre dans la publication scientifique Nature. Malheureusement pour les amateurs de rôti de boeuf et de gigot d'agneau, ce sont les produits animaux qui génèrent l'écrasante majorité de ces GES, soit de 72 % à 78 % des émissions agricoles totales.

C'est «en raison de faibles rendements dans la conversion des aliments, de la fermentation entérique chez les ruminants et d'émissions liées au fumier», précise Nature. En clair, les animaux consomment beaucoup d'aliments en comparaison de leur rendement en viande, sans compter qu'ils émettent des gaz et du fumier. La solution consiste à manger nous-mêmes les céréales au lieu de les donner au bétail...

Bon aussi pour la santé

La bonne nouvelle, c'est que manger moins de produits animaux est bon pour la planète, mais aussi pour notre santé. Une étude publiée en octobre dans la revue scientifique The Lancet a étudié l'impact d'un régime pro-environnement, où de 25 % à 100 % des aliments d'origine animale sont remplacés par des aliments d'origine végétale.

Ce régime «s'est révélé particulièrement efficace dans les pays à revenu élevé pour améliorer les niveaux de nutriments et réduire la mortalité prématurée», précise l'étude. Avec ce type d'alimentation «verte», la quantité de gaz à effet de serre émise est aussi à la baisse (réduction pouvant aller jusqu'à 84 %). Petit bémol: cela augmente l'utilisation d'eau douce, jusqu'à 16 %.

La solution consiste donc à préférer la pomme et à éviter le boeuf du Japon ainsi que... la Caramilk (qui contient des produits animaux, de l'huile de palme modifiée, mais aussi beaucoup de glucose-fructose!).

Émission de CO2 par kilogramme de nourriture produit

1 kg de boeuf = 32,5 kg de CO2

1 kg d'agneau = 33 kg de CO2

1 kg de porc = 2,9 kg de CO2

1 kg d'huile de palme = 1,9 kg de CO2

1 kg d'oeufs = 1,6 kg de CO2

1 kg de volaille = 1,4 kg de CO2

1 kg de lait = 1,2 kg de CO2

1 kg de riz = 1,2 kg de CO2

1 kg de noix et graines = 0,7 kg de CO2

1 kg de blé = 0,2 kg de CO2

1 kg de soya = 0,1 kg de CO2

1 kg de légumes = 0,06 kg de CO2

Source: Nature, 20
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HUIT TRUCS POUR MANGER EN RESPECTANT L'ENVIRONNEMENT

L'alimentation d'un Québécois est responsable de l'émission de 1,5 tonne de gaz à effet de serre (GES) par an. C'est presque autant que son utilisation de la voiture (1,9 tonne) et trois fois plus que ses voyages en avion (0,5 tonne), selon des calculs faits en 2017 par le chroniqueur à La Presse Francis Vailles. Voici huit trucs pour manger - et boire - en polluant moins.

Réduire les portions

Ce n'est pas jojo à l'approche des Fêtes, mais c'est efficace. «On peut viser de 10 à 15 % de réduction des quantités, car c'est en général le niveau de dépassement des calories recommandées dans un pays développé comme le nôtre, suggère Dominique Maxime, analyste au Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG). C'est à peu près le taux de réduction des GES qu'on peut espérer en même temps.» À retenir pour janvier.

Réduire le gaspillage

Pour réduire le gaspillage, il faut généralement réduire les quantités achetées - il peut être utile de se le rappeler avant Noël. «Privilégier les aliments qui se conservent devrait logiquement tendre à réduire les pertes», ajoute Dominique Maxime. «Il faut réfléchir à son point de départ, conseille Colleen Thorpe, directrice des programmes éducatifs d'Équiterre. Si on ne fait généralement pas attention, réduire le gaspillage peut être un geste significatif et accessible.»

Suivre les recommandations nutritionnelles

Adopter l'assiette santé de Harvard - où les fruits et légumes composent la moitié du plat, les céréales complètes, le quart, et les protéines saines, le quart (en limitant la viande rouge) - permet d'être plus vert. Suivre le Guide alimentaire canadien a aussi des bénéfices. «Logiquement, les quantités de viande en général vont se trouver réduites, car on en surconsomme par rapport aux recommandations», souligne Dominique Maxime. Là aussi, on peut espérer de 15 à 20 % de réduction des GES.

Bye-bye, boeuf

Remplacer la viande de boeuf par d'autres viandes permet de moins contribuer au réchauffement climatique. Produire 1 kg de porc émet 10 fois moins de CO2 que produire 1 kg de boeuf, selon une étude parue en octobre dans la revue Nature. Manger du poulet, du poisson et des fruits de mer est encore mieux.

Célébrer la saison

«Manger de saison permet logiquement de maximiser les quantités d'aliments locaux», fait valoir Dominique Maxime. Vive les salades de chou, les potages à la courge et les tartes aux pommes - des produits du Québec disponibles en hiver. «On peut penser à faire des conserves ou de la congélation au moment où les aliments sont locaux», suggère Normand Mousseau, directeur de l'Institut de l'énergie Trottier. À glisser sous le sapin, des pots Mason en prévision des prochaines récoltes?

Adieu, fromage

Réduire la consommation de produits laitiers ou les remplacer par d'autres (par exemple, préférer le yogourt au fromage) est une mesure intéressante, suggère Dominique Maxime. Il faut environ 1 kg de lait pour faire 1 kg de yogourt régulier, contre de 8 à 10 kg de lait pour faire 1 kg de fromage. Encore mieux: privilégier les options végétales, comme les boissons de soya ou d'avoine. Le père Noël n'y verra que du feu.

Bonjour, tofu

Remplacer la viande, le poulet et le poisson par des protéines d'origine végétale, comme les légumineuses, les noix et le tofu, peut sembler difficile, mais c'est efficace. Produire 1 kg de légumineuses émet 0,2 tonne de GES, d'après Nature. C'est sept fois moins que pour la même quantité de volaille (1,4 tonne de GES). La soupe aux pois traditionnelle a du bon.

Emballages pas emballants

«Au lieu de se casser la tête à faire des calculs d'émissions de GES, on peut agir beaucoup sur l'emballage, propose Colleen Thorpe. Si on achète des aliments peu emballés, l'empreinte carbone liée à la production de l'emballage est réduite. En faisant avancer le zéro déchet en alimentation, on fera des gains énormes.» Tout emballage n'est pas à proscrire, on peut y aller graduellement. «Si on achète un sac de légumes congelés, l'emballage est nettement plus faible que dans d'autres transformations», illustre Normand Mousseau. À quand les cadeaux emballés dans un sac de petits pois recyclé?

Photomontage La Presse