Qu'ont en commun le vin, le pain au levain, le vinaigre, les cornichons, le chocolat, le fromage, la choucroute, le miso, la bière et le kombucha? Ce sont tous des aliments qui n'existeraient pas s'il n'y avait pas, dans la vie, un processus qui s'appelle la fermentation et qui transforme le raisin en boisson fine, aromatique et alcoolisée, la fève de cacao en pistoles de 70 % bien fondantes et le lait en reblochon.

La fermentation, c'est aussi la passion de David Zilber, un chef canadien juif-polonais-antillais de Toronto, dont les racines sont quelque part entre Snowdon et Notre-Dame-de-Grâce et qui cosigne, en anglais, The Noma Guide to Fermentation, un nouvel ouvrage sur la question avec son patron, nul autre que René Redzepi, l'autorité suprême des cuisines de la table danoise (publié seulement en anglais, pour l'instant).

Oui, c'est un Canadien qui dirige l'atelier de fermentation de Noma, à Copenhague, le fameux restaurant classé plusieurs fois «meilleur au monde», qui a mis et remis autant la lactofermentation des légumes que le garum - une sauce de poisson fermentée datant de l'époque des Étrusques - au goût du jour.

«Ça donne du goût à tout», lance Zilber, en entrevue téléphonique, alors qu'il se prépare à une tournée médiatique en Amérique du Nord, qui le mènera notamment aujourd'hui à Montréal, à la librairie Appetite for Books de Westmount. «Et c'est totalement faisable.»

Le but du nouveau livre n'est pas de faire peur, évidemment, avec des processus qu'on imagine aisément odoriférants et gazeux, mais plutôt de vulgariser et rendre accessibles ces techniques que tous les chefs du monde explorent actuellement, que ce soit pour les sauces, la conservation des légumes ou les boissons.

Noma, bien sûr, n'occupe pas les créneaux classiques des kimchis ou de la choucroute, puisque le restaurant préfère les terrains plus hors normes, mais «toutes les techniques sont là, dit Zilber, pour aider les cuisiniers à la maison à faire ce qu'ils veulent».

«On ne s'attend pas à ce que tout le monde parte acheter des sauterelles.»

Un parcours atypique

Avant d'être monsieur Fermentation chez Noma, Zilber a occupé plusieurs postes dans la cuisine du grand chef danois et dans plusieurs restaurants canadiens.

«Enfant, j'adorais cuisiner», explique l'homme de 33 ans, fruit d'une histoire d'amour entre un père d'origine ashkénaze ingénieur en aéronautique et une mère venue de la Dominique - une petite île antillaise - pour étudier à McGill en éducation spécialisée. Les deux se sont rencontrés à Montréal puis ont déménagé à Toronto où est né David, qui n'a jamais vraiment adoré l'école. C'est pourquoi, dès la fin du secondaire, on lui a suggéré de faire un programme professionnel qui l'a amené vers la cuisine, où tout le monde lui reconnaissait du talent. Ce n'était pas le genre de gars à faire un gâteau de temps en temps. «Je faisais le repas pour toute ma famille», dit-il. On était encore loin des crevettes vivantes et autres fourmis servies chez Noma. Mais il aimait être aux fourneaux.

Après un court programme professionnel en cuisine, Zilber, qui n'a que 18 ans en 2003, part travailler avec les frères Rubino, qui avaient à l'époque un restaurant appelé Rain à Toronto et un autre appelé Luce. «C'est là que j'ai vraiment commencé à apprendre, avec toute une bande de gens vraiment bons.»

Mais après quelques années, il veut encore progresser et entend dire que David Hawksworth, chez West à Vancouver, est vraiment le chef à suivre. Il part donc sur la côte Ouest, commande le menu à prix fixe chez West et demande à rencontrer le chef pour travailler dans ce restaurant. Il y restera un an.

La vie le ramène ensuite à Toronto, puis l'envoie au Québec, où il cuisine au restaurant de l'hôtel Le St-James. «J'ai adoré habiter Montréal», dit-il. Mais il reçoit encore un coup de fil: Hawksworth ouvre son propre restaurant à Vancouver et veut que David revienne. «Ça s'est très bien passé. On a gagné plusieurs accolades, toutes sortes de prix. Je recevais bien des appels.»

Après quelques années dans cet établissement qu'il considérait comme le meilleur du Canada, il retrouve toutefois l'envie d'apprendre encore plus et lit partout que c'est en Scandinavie que ça bouge. Il envoie son CV chez Noma. En 2014, le restaurant embauche le Canadien. «Je leur ai écrit une lettre vraiment non conventionnelle, dit-il. Je leur ai expliqué que je n'étais pas un chef conventionnel.»

David est effectivement hors norme, avec ses origines mixtes, ses tenues vestimentaires toujours créatives - «J'aime m'exprimer de toutes sortes de façons», dit celui qui peut très bien débarquer habillé de denim jaune citron quand il n'est pas en tablier de chef - et ses intérêts très diversifiés. Il lit des livres scientifiques sans arrêt et a même réussi à faire de son second passe-temps, la photographie artistique sur pellicule, une deuxième source de revenus. «Souvent, je n'arrive pas à rester en place», dit-il. 

Planifie-t-il donc de rentrer au Canada? Pas pour ouvrir son propre restaurant. Pas bientôt. «Je ne sais pas où tout ça va me mener», dit-il. «Mais on se sent très bien chez Noma 2.0», dit-il, en parlant du restaurant qui vient de déménager et de se réinventer. «C'est un endroit extraordinaire où être, exactement en ce moment.»

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The Noma Guide to Fermentation. David Zilber et Rene Redzepi. Éditions Artisan. 456 pages. 60 $.

Image fournie par les éditions Artisan

The Noma Guide to Fermentation, de René Redzepi et de David Zilber