L'hiver, la nature dort. Mais quelques cueilleurs en profitent pour s'aventurer dans les forêts de bouleaux à la recherche d'un précieux champignon médicinal : le chaga. Et ce ne sont plus uniquement les amateurs d'aliments naturels qui le réclament. Les chefs s'y intéressent de plus en plus.

Les Russes l'utilisent en médecine naturelle depuis le XVIe siècle. Il est considéré comme le plus puissant antioxydant connu, l'aliment « anticancer » par excellence. Aujourd'hui, les chefs s'intéressent aux applications gastronomiques du chaga, « champignon » abondant dans les forêts de bouleaux québécoises.

Quand on voit pour la première fois une photo du chaga, excroissance noire et crevassée, on se demande quand même comment nos ancêtres en sont venus à faire mijoter ce chancre et à en boire la décoction. Car on ne mange pas le chaga comme on mange un pleurote ou une chanterelle. Il faut le « boire ». Et son goût, terreux, boisé, rappelle étonnamment celui du thé puerh chinois.

Le chaga, ou Inonotus obliquus, pousse sur le bouleau blanc, mais surtout jaune (merisier), dont il est considéré comme un parasite.

L'arbre peut très bien vivre avec cette masse qui, au bout d'une vingtaine d'années, peut atteindre plusieurs kilos. Mais il faut faire attention de ne pas tuer l'arbre lorsqu'on lui prélève son chaga.

« Si on n'arrache pas la partie qui est reliée au tronc, la masse va se régénérer », explique Richard Charrette, l'un des cueilleurs qui fournissent la Mycoboutique en champignons.

Comme pour la majorité des produits sauvages, la pérennité de la ressource commence à inquiéter les cueilleurs les mieux intentionnés, d'autant plus que le chaga a une croissance très lente.

Ceux qui ont été les premiers à grimper dans les arbres pour aller prélever le précieux champi sont tracassés de voir de plus en plus de cueilleurs dans les forêts. Cela dit, ce ne sont pas les bouleaux qui manquent au Québec, ni en Sibérie, ni en Corée, ni en Europe du Nord, ni aux États-Unis, où l'on trouve également le chaga.

Après les bonnes pratiques de cueillette, le conditionnement de la masse stérile doit également être réalisé dans les règles de l'art. Il faut rapidement faire sécher le chaga, pour éviter la moisissure.

La masse d'une belle couleur ocre est ensuite coupée en morceaux plus ou moins gros, ou moulue.

De la «pharmacie» aux grandes tables

Jusqu'à tout récemment, chaga rimait avec chia, kombucha et d'autres ingrédients qu'on trouve surtout dans les magasins d'aliments naturels. Mais avec la popularité grandissante des superaliments, « alicaments » et nutraceutiques, le chaga semble à la veille de vivre son heure de gloire.

Quand, en plus, le produit est cueilli à l'état sauvage ici même, contrairement aux baies d'açaï et aux autres nourritures miraculeuses, il y a de quoi intéresser ceux et celles qui militent pour une cuisine locale, dont bon nombre de chefs.

Dans le « dossier » chaga, la ville de Québec a une longueur d'avance sur Montréal et le reste de la province. Plusieurs de ses restaurants l'ont eu au menu. C'est surtout grâce à l'entreprise Chapeau les bois, qui le distribue dans la capitale nationale et pousse très loin la recherche et le développement avec ce produit. Ce sont eux, d'ailleurs, qui sont à l'origine de la populaire bière Chaga, en collaboration avec la Brasserie générale.

« La décoction comme telle n'a pas un goût très prononcé. Ça donne une tisane boisée, un peu amère, avec une finale d'érable », explique François-Xavier Fauck, de Chapeau les bois.

Seul ou avec des chefs, dont Gabriel Demers de l'Aviatic, le gourmand s'est amusé à créer des recettes de risotto au chaga, de saucisse au chaga, de crème brûlée au chaga, de chocolat au chaga, etc. Un « chaga instantané » devrait bientôt voir le jour, ainsi qu'une boisson tonique et une crème cosmétique.

Stéphane Modat, chef des restaurants du Château Frontenac, a un peu exploré le chaga, un « exercice de style » qu'il qualifie de « tripant ». Cela dit, il souhaite y revenir pour essayer de trouver les applications et les recettes qui feront réellement briller le produit.

« C'est intéressant, mais en matière de profondeur et de texture, ce n'est pas le cèpe ni le champignon candy cap, qui goûte vraiment l'érable. Je crois quand même qu'on est aux prémices de quelque chose d'intéressant », conclut le grand chef.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Le champignon chaga possède une belle couleur ocre.

La décoction

À chacun son chaga. Certaines personnes aiment boire la décoction nature, bien corsée. C'est ce que vous obtiendrez en faisant frémir 10 g de chaga moulu dans 2 tasses d'eau pendant 15 minutes. Le chaga ne doit pas bouillir, si on veut conserver ses propriétés et éviter d'extraire trop d'amertume. D'autres préfèrent les proportions suivantes : 10 g de chaga pour 1 L d'eau.

Avec les morceaux, on utilise les mêmes proportions, mais il faut laisser cuire pendant une heure. Le résultat sera un peu moins âcre.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Certaines personnes aiment boire la décoction nature, bien corsée.

Orgiotto aux champignons

Une recette d'Ève Dumas Pour 4 personnes en plat principal ou 8 en accompagnement

Ingrédients

• 6 tasses de décoction de chaga

• 2 ou 3 cubes de bouillon de légumes

• Sel au goût

• 1 c. à soupe d'huile d'olive

• 1 c. à soupe de beurre

• 1 échalote française hachée finement

• 1 1/2 tasse d'orge perlé

• 1/4 de tasse de vin blanc, de vermouth blanc et sec ou de xérès sec

• 1/2 tasse de petits pois verts congelés

• 2 c. à soupe de beurre

• 1/2 tasse de parmesan râpé (ou autre fromage ferme, sec et goûteux !)

• Poivre au goût

• 1 c. à soupe d'huile d'olive

• 1 c. à soupe de beurre

• 1 petit oignon haché finement

• 1 gousse d'ail hachée

• 250 g (environ) de champignons mélangés, nettoyés et tranchés, soit l'équivalent d'une « grosse » barquette

Préparation

1. Faire chauffer la décoction de chaga et y dissoudre les cubes de bouillon. Saler au goût, surtout si les cubes sont à teneur réduite en sodium. Laisser frémir pendant toute la durée de la préparation.

2. Dans un faitout, faire chauffer l'huile et le beurre à feu moyen. Y faire tomber l'échalote, sans la colorer.

3. Ajouter l'orge au faitout et bien enrober d'huile et de beurre. Verser le vin blanc et continuer à cuire jusqu'à quasi-évaporation du liquide.

4. Verser une grosse louche de bouillon dans l'orge et mélanger doucement. Réduire le feu à moyen-doux. On ne veut pas que l'orgiotto bouillonne trop vivement. Une fois le liquide en bonne partie absorbé par l'orge, ajouter une louche de bouillon et mélanger.

5. Tandis que l'orgiotto s'attendrit, on peut faire cuire les champignons. Dans une grande poêle, faire chauffer le beurre et l'huile. Ajouter l'oignon et faire dorer à feu vif. Lorsqu'il est bien coloré, verser dans un bol et mettre de côté. Ajouter un peu de gras dans la poêle si nécessaire, puis faire cuire les champignons à feu vif, jusqu'à ce qu'ils dorent. Ajouter l'ail à la dernière minute, pour éviter de le brûler.

6. Lorsque l'orge est presque rendu à la tendreté idéale, verser l'oignon et les champignons dans le faitout. Ajouter les petits pois congelés. Mélanger. Ajouter les 2 cuillerées à soupe de beurre et le parmesan râpé. Poivrer (et saler) au goût.

7. Ajouter du bouillon si la consistance est trop compacte. Servir dans des bols avec un peu de parmesan râpé.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Orgiotto aux champignons.

Panna cotta au chaga et au citron

Une recette de Gabriel Demers, sous-chef à l'Aviatic, à Québec Donne 6 portions individuelles

Ingrédients

• 750 ml de crème 35 %

• 125 ml de sucre

• 12 g de chaga moulu

• Zeste d'un citron

• Une gousse de vanille

• 4 feuilles (soit 8 g) de gélatine

Préparation

1. Dans une casserole moyenne, verser la crème et ajouter le sucre, le chaga, les zestes et la vanille. Laisser infuser à feu moyen-doux (température de 85 ºC) pendant 1 h 30 min. Filtrer.

2. Faire ramollir la gélatine dans de l'eau froide pendant 5 minutes, puis l'ajouter à la crème. Huiler 6 moules ou ramequins si vous avez l'intention de renverser la panna cotta avant de la servir. Sinon, utiliser des coupettes ou des verrines. Répartir la préparation dans les 6 contenants.

3. Réfrigérer pendant 4 ou 5 heures.

4. Si désiré, démouler dans une assiette. Si l'opération échoue, faire chauffer les contenants pendant quelques secondes dans un bain d'eau chaude avant de renverser. Servir avec un crumble, des noix caramélisées, un coulis ou toute autre garniture qui vous inspire.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

La panna cotta au chaga et au citron de Gabriel Demers.

Le chaga dans tous ses états

Voici quelques pistes pour expérimenter la polyvalence du chaga.

Chocolat chaud

Dans un mélangeur, verser 2 tasses de décoction de chaga chaude, une poignée de noix de cajou trempées pendant la nuit puis rincées, quelques cuillerées de cacao et de sucre, un peu de cannelle en poudre et une pincée de poivre de Cayenne. Au besoin, réchauffer dans une petite casserole.

Chaïga (chaï à base de chaga)

Ajouter un bâton de cannelle, quelques lamelles de gingembre frais, des graines de cardamome et 3 ou 4 clous de girofle au moment de la décoction pour obtenir une tisane épicée.

« Café de chaga »

À la Mycoboutique, on a déjà servi le « chagaccino » glacé, à base de sirop de chaga et de lait végétal.

Smoothie

Utiliser la décoction de chaga froide comme base pour un smoothie choco-banane. Ajouter des fraises ou des canneberges congelées et tous les suppléments (maca, protéine, etc.) qui vous tentent !

Bouillon

Utiliser comme base de soupe d'hiver, avec du miso (suggestion de Marie-Ève Savaria, de brutalimentation.ca).

Le chef John Winter Russell, du restaurant Candide, à Montréal, utilise parfois le chaga pour donner rondeur et amertume à ses bouillons.

En dessert

Certains chefs, comme Stéphane Modat (Château Frontenac) et Gabriel Demers (Aviatic), à Québec, ont aromatisé de la crème glacée et de la crème brûlée au chaga. La décoction se fait alors directement dans la crème. Le chaga peut également être intéressant pour les chocolatiers.

Viande

La décoction constitue une excellente base de sauce à gibier.

Encens

L'allumer et l'utiliser comme encens, pour ajouter l'expérience olfactive à la gustative (suggestion du chef Stéphane Modat).

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Le chaga s'utilise à merveille dans une recette de chocolat chaud.