Le dévoilement de nombreuses agressions sexuelles au Québec ces dernières semaines soulève beaucoup d'inquiétude. Les récents événements à l'Université Laval, notamment, concernent des adultes, mais des experts se questionnent: et si on trouvait une partie de la solution chez les tout-petits?

Est-ce qu'un garçon et une fille, c'est pareil? Pourquoi les filles s'habillent en princesses et les garçons en superhéros? Qu'est-ce que ça veut dire, au juste, être égaux?

Un groupe d'experts du Centre d'expertise Marie-Vincent, à Montréal, peaufine ces jours-ci un programme qui sera mis à l'essai à l'hiver dans trois communautés du Québec. Derrière des questions comme celles-ci, un grand objectif: aborder dès la garderie le sujet des rapports sains et égalitaires.

En 2016, ne sommes-nous pas déjà dans un univers où l'égalité prédomine? Pas encore, assure Myriam Ariey-Jouglard, responsable du projet. «Les enfants sont influencés très tôt par les stéréotypes qu'ils peuvent voir dans les jouets, dans la relation entre leurs parents... et il est important de promouvoir très tôt l'égalité entre les garçons et les filles. On veut éviter qu'il se crée un fossé», explique-t-elle.

Ces ateliers auront lieu tout d'abord dans trois communautés: en milieu urbain, en milieu rural et dans un groupe autochtone. Les spécialistes en sexologie et en éducation s'adapteront aux différentes clientèles, mais le message sera le même. Ils encourageront des rapports sains et un respect mutuel... en espérant désamorcer des situations qui pourraient être problématiques des années plus tard.

«L'objectif à long terme est effectivement de créer des changements sociaux, résume Annie Fournier, sexologue et directrice des services professionnels à Marie-Vincent. Est-ce qu'on va changer ce dont on parle dans l'actualité? On l'espère... on espère qu'on n'est pas à côté de la track, mais on souhaite faire diminuer les taux d'agression sexuelle, et faire augmenter les taux de dévoilement. Ce qu'on sait, c'est que c'est clair qu'en installant une aisance avec la sexualité, dès le départ, il va y avoir une continuité à l'âge adulte.» 

«Les sociétés qui ont mis en place des cours d'éducation sexuelle depuis des années ont une plus grande ouverture. Il a été démontré qu'il y a des impacts au niveau de la violence sexuelle. Les taux sont moins élevés. Est-ce qu'au Québec ce serait la même chose? On peut penser que oui.»

Le Centre d'expertise Marie-Vincent accompagne les enfants victimes d'agression sexuelle. Cette fois, donc, il se concentre sur la prévention.

Ce projet-pilote, mené avec la collaboration de l'organisme Avenir d'enfants, n'en est qu'à ses balbutiements, mais Mme Ariey-Jouglard voit grand : d'ici trois ans, ce programme pourrait être implanté partout au Québec.

Des petits presque oubliés

Lorsque l'on vérifie de plus près, la prévention des agressions sexuelles cible surtout les adolescents, au Québec. «Quand on a regardé ce qui existait déjà, on a trouvé près de 50 outils pour les adolescents, et 11 seulement pour les 0-5 ans. Et encore, ce n'étaient parfois que des dépliants», explique Myriam Ariey-Jouglard.

Et pourtant, pour avoir un impact réel et à long terme en prévention des agressions sexuelles, il ne suffit pas que d'un atelier d'une heure. «Plus on répète les choses, plus ça va être intégré. Je ne sais pas chez vous, mais avec mes enfants, il a fallu que je répète souvent avant qu'ils prennent l'habitude de se brosser les dents! Ce n'est pas différent pour l'éducation à la sexualité et aux relations égalitaires, illustre Annie Fournier. Plus on va répéter ça dans le temps, à différents niveaux de développement de l'enfant, plus ce sont des choses qu'il va intégrer, et peut-être qu'un jour à l'âge adulte ça va devenir quelque chose de naturel.»

La spécialiste salue au passage le retour des cours d'éducation sexuelle à l'école au Québec, déjà amorcé dans certains établissements. «C'est encore plus important, je dirais, de cibler les petits, parce que lorsqu'ils vont arriver au primaire, il y aura une continuité. Dès le départ, on commence à parler de ces notions-là, et on le répète au primaire pour que ce soit intégré.»

Non, c'est non!

Parallèlement à l'initiative du Centre d'expertise Marie-Vincent, le groupe ASA Défense et la Fondation Cédrika Provencher ont eux aussi lancé récemment un programme à l'intention des enfants. Cette fois, la prévention prend la forme du spectacle Découvre l'espion en toi, où les jeunes de 5 à 11 ans apprennent à prévenir les agressions, et à réagir lorsqu'elles surviennent.

Ce programme sera offert dans les écoles, ou dans des occasions spéciales, comme dimanche prochain au Cinéma Cineplex Laval. «On pense qu'on peut faire une différence dès la maternelle, explique Marcelin Cantin, fondateur d'ASA Défense. Graduellement, les enfants sont amenés à socialiser davantage, ils vont aller jouer au parc... Au lieu de les surprotéger, on va les aider à développer des automatismes pour qu'ils puissent assurer leur sécurité.»

Il ajoute au passage que pendant longtemps, on a cru à tort faire peur aux enfants en faisant de la prévention auprès d'eux. «C'est un sujet très sérieux, mais on ne veut pas faire peur aux enfants, parce que justement, l'adulte qui veut amadouer un enfant ne lui fera pas peur. Voilà pourquoi les jeunes doivent avoir les bons outils pour reconnaître la situation et se défendre.»

Y a-t-il un bon moment pour avoir ces conversations? «Il n'y a pas de bons et de mauvais moments pour faire l'éducation sexuelle, explique Annie Fournier. Il faut adapter notre langage à l'âge de l'enfant, et en profiter quand il nous pose des questions. Souvent, entre 3 et 5 ans, les enfants sont d'ailleurs très curieux. Plus l'enfant sent que c'est un sujet correct, plus on favorise l'ouverture pour aborder ce sujet.»