Les jeunes sont nombreux à jouer d'un instrument de musique. Mais combien d'entre eux persévéreront ? Quel rôle jouent les parents ? Quelles sont les exigences des professeurs ? L'émission Virtuose, qu'anime Gregory Charles, nous rappelle que dans ce domaine, la passion est au moins aussi nécessaire que le talent et le travail.

Se consacrer à la musique

Les parents inscrivent volontiers leurs enfants à des cours de musique. Des ateliers d'éveil musical à la flûte, au violon ou au piano, cette initiation musicale se passe souvent plutôt bien. Mais après deux ou trois ans, ils se rendent vite compte qu'il faut y mettre du temps et de l'argent. La question finit par se poser d'elle-même : on arrête ou on continue ?

Virginie a trois enfants qui suivent tous des cours de piano. Pourtant, ni elle ni son mari ne jouent d'un instrument. S'ils ont décidé d'initier leurs enfants à la musique, c'était d'abord pour leur trouver une activité créative. Avec le temps, elle s'est rendu compte que l'apprentissage de la musique avait un effet positif sur eux.

« Le but n'a jamais été d'en faire des virtuoses, on ne les a d'ailleurs jamais inscrits à des concours. On voulait simplement qu'ils s'amusent. Mais ils ont rapidement pris conscience qu'en travaillant, ils pouvaient s'améliorer et progresser. Ils y ont pris goût. Je trouve que c'est une belle leçon de vie, alors pour l'instant, on continue ! »

Yolande Gaudreau, qui dirige l'École de musique de Verdun depuis 1989, croit que peu de parents souhaitent vraiment voir leurs enfants « performer ».

Talent...et travail

Que ce soit pour la musique ou le sport d'élite, la virtuosité ne vient pas sans effort. Au talent et à l'encadrement, il faut donc ajouter le travail. C'est la fameuse théorie des 10 000 heures, popularisée par Malcolm Gladwell dans Outliers : pour réussir, peu importe le secteur, il faut répéter. Après 10 000 heures, on deviendrait bon. C'était vrai pour les Beatles, ce l'était aussi pour Bill Gates.

« La virtuosité apparaît lorsqu'on réussit à réunir tous les ingrédients, détaille Yolande Gaudreau. Il faut que l'enfant ait du talent, de l'intérêt, qu'il soit bien formé et bien suivi par sa famille. Ça doit être valorisé. Lorsque les enfants prennent conscience des progrès qu'ils font, c'est sûr que ça les encourage à s'investir. Lorsqu'ils participent à des concerts ou à des concours aussi. »

Érik Schoup, qui enseigne le piano à l'École de musique de Saint-Laurent depuis 1995, parle du triangle magique prof-parent-élève. « Chacun doit faire sa part, surtout lorsqu'un enfant a du talent. Il faut bien l'encadrer, il faut qu'il travaille fort pour progresser. Mais ce "travail", surtout en piano classique, n'est pas toujours valorisé dans notre culture nord-américaine, où on vit en mode culture pop et où tout doit être le fun. »

Ce qu'il entend le plus souvent de la part des parents ? « Ils sont nombreux à me dire : "On ne veut pas en faire un pianiste de concert." Ils veulent que leurs enfants aient du plaisir et c'est très bien. Moi aussi, je veux qu'ils s'amusent, mais c'est aussi une forme de déresponsabilisation de la part des parents. Je pense qu'il faut doser jeu et rigueur. »

Moins de virtuoses?



Au cours des 30 dernières années, Yolande Gaudreau a formé de nombreux jeunes qui ont plus tard mené une carrière musicale. Parmi eux, Jacinthe Latour, directrice des études de l'école Vincent-d'Indy, Wonny Song, directeur du camp musical d'Orford, ainsi que les pianistes Julie Lamontagne et Marika Bournaki.

« J'avais beaucoup d'élèves qui avaient de grandes capacités, avoue-t-elle. C'était une période faste. Je poussais beaucoup mes élèves, les parents collaboraient, les élèves s'influençaient les uns les autres. Tout le monde participait aux concours et aux compétitions. Il y avait peut-être moins de distractions. »

Y aurait-il moins de musiciens virtuoses aujourd'hui ? Yolande Gaudreau croit que certains facteurs peuvent avoir contribué à une diminution de leur nombre. Elle cite entre autres l'instabilité familiale et la multiplicité des activités pratiquées par les jeunes, mais aussi le temps que les parents consacrent à leurs enfants.

« Tout le monde est plus fatigué le soir, ajoute Mme Gaudreau. Le suivi des parents est plus difficile et les jeunes sont souvent inscrits à une foule d'activités... »

L'influence familiale



C'est un facteur déterminant dans le parcours d'un jeune musicien. La violoniste de 14 ans Eva Lesage, qui a participé à l'émission de Gregory Charles, nous dit que c'est en voyant son frère jouer du violon qu'elle a eu envie d'en faire. Ses parents, qui sont tous deux compositeurs, ont également pu lui offrir le soutien dont elle avait besoin.

Malgré ce contexte familial particulièrement favorable à la pratique musicale, elle affirme aujourd'hui que c'est son choix de poursuivre ses études en musique au Conservatoire. Même si elle répète environ trois heures par jour, elle ne considère pas la musique comme une corvée : « La musique est une passion pour moi. Ce n'est pas du tout un sacrifice, même si parfois je trouve ça dur de me lever le matin pour jouer. »

Érik Schoup a grandi avec un père producteur, qui lui a donné le goût de la scène et de la musique. « J'aimais chanter, j'aimais jouer et j'ai découvert le rock avant de faire du classique. Mais ce que je remarque après 20 ans d'enseignement, c'est qu'au-delà de l'apprentissage technique, il faut que l'enfant soit habité par la musique. Après, si les parents sont là pour encadrer les études musicales, c'est clairement un plus, mais il faut qu'il ait la musique en lui. »

Garder la tête froide

Lorsqu'un enfant maîtrise bien son instrument, on le qualifie non seulement de virtuose, mais aussi de prodige. On pense spontanément au jeune Daniel Clarke Bouchard, qui a joué à 12 ans à Carnegie Hall et sorti à 13 ans un album sur lequel il joue avec Oliver Jones. Mais pour un certain nombre de ces enfants, le succès populaire peut aussi entraîner des dérives.

« Le problème, c'est que les enfants surdoués, à un moment donné, ils grandissent, dit Yolande Gaudreau. Quand tu as 12 ans et que tu es un prodige, c'est fascinant et remarquable. Mais à 18 ans, tu n'intéresses plus personne, parce que tu as le même âge que tout le monde. Et des jeunes musiciens doués de plus de 18 ans, il n'en manque pas ! Le talent doit être prometteur, mais il doit aussi se réaliser et durer dans le temps. »

Comment s'assurer que ces jeunes prodiges gardent la tête froide ? « Les jeunes qui ont un ego surdimensionné sont souvent gonflés à bloc par leurs parents, estime Mme Gaudreau. Il faut un environnement familial équilibré. Les parents doivent les aider à garder les pieds sur terre. Et puis, la musique, c'est aussi le partage. Il faut être ouvert, être capable de communiquer sa passion aux autres. »

La pratique musicale en chiffres

Le sociologue Gilles Pronovost s'intéresse depuis des années aux pratiques culturelles des Québécois. Dans son plus récent ouvrage, Que faisons-nous de notre temps ?, le professeur de l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) s'intéresse aussi à l'emploi du temps des Québécois. Une des conclusions de cette étude ? Les Québécois travaillent en moyenne quatre heures de plus par semaine depuis 20 ans, ce qui réduit d'autant le « temps culturel ».

Malgré cela, depuis 30 ans, la pratique musicale est stable à près de 20 %, ce qui représente 1 Québécois sur 5.

Source : Enquête sur les pratiques culturelles au Québec, 2014, commandée par le ministère de la Culture et des Communications (6765 répondants âgés de 15 ans et plus)

Perdants ou gagnants?

Depuis le 15 janvier, Gregory Charles anime l'émission Virtuose dans laquelle 24 jeunes musiciens canadiens de 9 à 17 ans se mesurent les uns aux autres. Au terme de ce concours musical échelonné sur 10 semaines, un seul candidat sera finalement consacré. Discussion sur la virtuosité.

Il fallait un virtuose pour animer une émission comme celle-là... Vous considérez-vous comme un virtuose ?

Disons qu'à leur âge, j'étais comme eux. J'étais un garçon qui réussissait vraiment bien en musique, qui gagnait des concours à la clarinette, au violon, au piano. J'étais comme ça. J'avais un talent indéniable et mes parents l'ont compris, donc ils m'ont donné les moyens de m'exprimer.

Qu'est-ce qui fait qu'on devient virtuose ?

La passion. Dans le vrai sens du terme, c'est-à-dire souffrir par amour pour quelque chose. Moi, j'aimais assez la musique pour jouer une heure, deux heures, trois heures par jour, dépendant de l'âge que j'avais. D'avoir mal aux articulations, aux coudes, mais aussi d'accepter que je ne pouvais pas être disponible pour une partie de hockey avec mes amis... C'est un choix.

Les parents doivent quand même exercer une certaine pression sur leur enfant pour qu'il progresse...

Ma mère m'a rapidement fait comprendre que si j'étais pour faire de la musique, ce n'était pas pour en faire en dilettante. De 7 à 11 ans, pendant tout mon primaire, ma mère a été mon gardien et mon caporal, parce qu'au début, je n'aimais pas répéter, j'étais un peu paresseux. Les parents doivent être rigoureux pour leurs enfants un certain temps, jusqu'à ce qu'ils s'occupent seuls de leurs affaires.

Le fait d'être issu d'une famille de musiciens favorise clairement la transmission de cette passion, non ?

Absolument. Ma fille ne joue pas du violon parce que je la force, mais parce que moi j'en joue. Elle a vu le bonheur que j'avais à en jouer et elle a décidé qu'elle voulait en faire. La meilleure évangélisation, c'est lorsque nos enfants nous voient heureux. Les deux tiers des enfants qui participent à l'émission ont des parents qui ont fait de la musique. Cela dit, il y a quand même un tiers d'entre eux pour qui ce n'est pas le cas, ce qui est aussi intéressant.

Quel effet peut avoir une émission comme celle-là sur la pratique musicale ?

Si j'en crois les messages que je reçois chaque semaine, ça a un effet motivateur. À une certaine époque, le documentaire Les vrais perdantsprésentait les jeunes musiciens qui participaient à des concours comme des enfants poussés et brutalisés par leurs parents, qui vivaient leurs rêves de carrière musicale par procuration. Moi, ça m'a toujours frustré, parce que je n'ai jamais vécu ça, même si je comprends que ça peut arriver.

Vous voulez donc réhabiliter l'image de l'enfant-virtuose manipulé et brutalisé ?

Exact. Avec cette émission, je voulais montrer que ce sont des enfants ordinaires avec des habiletés extraordinaires. Le fait de travailler sur leurs habiletés leur donne une rigueur, une discipline. Mais on ne devient pas excellent si on ne travaille pas. C'est sûr qu'il y a un prix à payer. Même les jeunes qui participent à l'émission remettent parfois en question leur engagement dans la musique, parce que c'est exigeant.

Il y a quand même un coût à cette virtuosité. Un coût social, mais aussi, dans certains cas, un excès de confiance...

C'est vrai... Il faut gérer le succès et les attentes que les enfants ont eux-mêmes. C'est pour ça que je leur dis toujours deux choses, aux jeunes : je te souhaite de jouer aussi bien que tu es capable de jouer. Je ne leur souhaite pas de jouer mieux que les autres. Je leur dis aussi : un bon musicien n'empêche pas un autre bon musicien. Et plus ils sont jeunes, plus ils ont hâte de jouer ensemble. C'est pour ça que dans le dernier segment de l'émission les quatre candidats jouent une pièce ensemble.

Malgré leur jeune âge, on a l'impression que ces jeunes sont déjà des artistes. Êtes-vous d'accord avec ça ?

Absolument. Et je les traite comme de jeunes artistes. Un, ils sont vraiment passionnés de musique. Deux, ils se considèrent eux-mêmes comme des artistes et même des ambassadeurs de la musique. En même temps, ils sont beaucoup plus simples qu'on le pense. Ils jouent tout le temps pour quelqu'un, que ce soit leurs parents, leurs professeurs, et dans des concours, ils jouent constamment devant des publics.