Il existe une dichotomie fascinante dans le tennis féminin. La qualité du jeu n’a jamais été aussi relevée. En revanche, aucune joueuse ne transcende son sport. Étrangement, ce constat est à la fois inquiétant et rassurant.

« Les amateurs de tennis sont gagnants », plaide Valérie Tétreault, directrice de l’Omnium Banque Nationale (OBN) et ancienne joueuse de la WTA.

« À une époque, dans les tournois du Grand Chelem, avant la deuxième semaine, les matchs n’étaient pas bons. On pouvait vraiment faire des prédictions assez justes jusqu’en quarts de finale. Tandis que là, il peut y avoir des surprises dès le premier tour. Il n’y a pas un match facile », poursuit-elle.

Même son de cloche du côté de Sylvain Bruneau, chef du tennis féminin chez Tennis Canada : « Maintenant, la 50e joueuse au monde est plus près de la première qu’auparavant. Ça fait que les tournois sont intéressants, il y a plus de surprises et plus de choses se passent. Le niveau s’est vraiment resserré. »

Le tennis féminin est sur la bonne voie. Les cotes d’écoute des finales aux Internationaux d’Australie en sont la preuve. Pour une rare fois, plus de gens ont regardé la finale féminine. En moyenne, 1,43 million d’Australiens ont suivi le match entre Aryna Sabalenka et Elena Rybakina. Un duel devenu un classique instantanément tellement la qualité du jeu et du spectacle était relevée.

PHOTO JAYNE KAMIN-ONCEA, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Aryna Sabalenka

Chez les hommes, le match entre Novak Djokovic et Stéfanos Tsitsipás a attiré 1,3 million de curieux.

Ces données peuvent être évocatrices d’une relève de la garde ou d’une nouvelle tendance à l’avantage du tennis féminin, mais comme l’avance Tétreault : « Le tennis profiterait du fait d’avoir quelques joueuses qui sortent du lot et qui se démarquent. Par leurs performances, mais aussi par leur personnalité. Ce qu’elles vont dégager et comment elles vont réussir à vendre leur sport. »

Terminée l’époque où des joueuses comme Monica Seles, Steffi Graf, Maria Sharapova ou Serena Williams faisaient partie intégrante de la culture populaire. Aujourd’hui, si Infoman ou Guy Nantel demandaient aux passants, micro sous le nez, de nommer deux ou trois joueuses du top 10 actuel, le taux d’échec serait alarmant.

À titre d’exemple, sur Instagram, les joueurs du top 10 sont suivis en moyenne par 1,96 million d’abonnés. Chez les femmes, ils sont en moyenne 502 000. Aussi, une seule joueuse a franchi le cap du million d’abonnements. Il s’agit de la numéro un mondiale Iga Świątek. Chez les hommes, quatre ont atteint ce plateau.

Le moment parfait

Pendant près de deux décennies, Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic ont maintenu le tennis en santé.

Aussi, avec le départ à la retraite de Serena Williams, le tennis féminin cherche désespérément sa prochaine vedette.

Ça nous prend des joueuses qui se démarquent chaque semaine et qui ont une sorte de pouvoir d’attraction. Qui vont aller chercher de nouveaux amateurs de tennis.

Valérie Tétreault, directrice de l’Omnium Banque Nationale

Le déclin du fameux Big Three représente « une occasion en or », selon elle, pour mettre de l’avant ces joueuses hautement talentueuses. « Surtout à une époque où on parle d’équité et d’égalité, ajoute la directrice de l’OBN. Déjà, il y a cette prise de conscience. On a tout ce qu’il faut pour faire de la place aux femmes et j’espère qu’elles comprennent qu’elles ont une occasion de se faire valoir et de faire leur place dans le marché. »

« On aurait besoin d’un porte-étendard, plaide Bruneau. Je crois qu’un Alcaraz féminin rejoindrait plus de gens. »

Il sait à quel point la popularité et la reconnaissance peuvent arriver rapidement. Il l’a vécu en 2019 avec Bianca Andreescu, lorsqu’il était son entraîneur. C’est pourquoi vouloir atteindre la gloire à tout prix, pense-t-il, ne devrait pas nécessairement être le moteur des joueuses du circuit : « Il faut faire attention, parce qu’on cherche tellement la star, la saveur du jour. Il faut être super prudents. Après, on en met beaucoup sur leurs épaules et ça devient difficile. »

Il est donc pertinent de se demander si une carrière écourtée à cause de la pression d’un succès précoce vaut mieux qu’une longue carrière entamée sur le tard.

Les exemples

Bruneau voit justement le parcours de Jessica Pegula comme un modèle à suivre. Elle s’est démarquée à la fin de la vingtaine, après une longue carrière sur le circuit ITF, et la voilà postée au troisième rang mondial. « Je suis de plus en plus intéressé par les joueuses qui n’ont pas explosé nécessairement très jeunes. Qui franchissent les étapes une à une, progressivement, sans grands fracas, qui s’établissent et qui continuent de se développer. »

La vente de billets en vue du tournoi du prochain Omnium montréalais est déjà en branle pour Tétreault et son équipe. De leur perspective, une joueuse sort du lot : Ons Jabeur.

« C’est une joueuse qu’on gagne à connaître. Elle est drôle, elle a une personnalité, elle est super intéressante. »

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Ons Jabeur

Il faudra donc s’attendre à voir le visage de la cinquième raquette mondiale dans les différentes campagnes de promotion.

« La dernière fois qu’elle est venue à Montréal, on a vu toute la communauté tunisienne se ranger derrière elle. Elle parle français en plus », ajoute-t-elle.

Les modèles sont nombreux. Bruneau parle de Sabalenka et de Świątek également. Tétreault vante les mérites d’Andreescu et de Leylah Fernandez.

Toutes ces joueuses ont le potentiel de devenir le visage de leur sport. Reste à déterminer laquelle émergera. En attendant, le tennis féminin n’a jamais été aussi compétitif et il faut s’en réjouir.