Accoudé au câble, Anthony Yarde a regardé vers son coin, l’air de dire qu’il n’avait plus trop envie de retourner au combat.

Devant lui, derrière l’arbitre, se tenait Artur Beterbiev, prêt à poursuivre son opération de destruction. Pas une boucherie, mais une intervention chirurgicale, minutieuse et implacable.

Il restait un peu plus d’une minute au huitième round et l’arbitre a demandé à Yarde d’avancer de quelques pas. Ce dernier a obéi, mais le cœur n’y était plus. Le boxeur britannique a fait du mieux qu’il a pu pour esquiver les dernières charges furieuses de son adversaire avant que son entraîneur Tunde Ajayi se résigne et monte les marches pour signifier à l’arbitre de mettre un terme aux hostilités.

À la stupéfaction générale des quelque 20 000 bruyants partisans réunis au Wembley Arena de Londres, survoltés par la solide opposition offerte par leur favori, la finale de la soirée s’est terminée ainsi.

Beterbiev s’est laissé choir sur les genoux, savourant ainsi sa 19victoire et son 19K.-O., une séquence inédite dans la boxe actuelle à ce niveau. Après cette défense obligatoire, le Montréalais de 38 ans a donc conservé ses trois ceintures de champion mondial des mi-lourds (175 lb), celles du WBC, de l’IBF et de la WBO.

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Anthony Yarde tombe à genoux après un crochet de droite d’Artur Beterbiev.

« Un jour, j’espère que je serai un bon boxeur… », a plaisanté Beterbiev au micro de BT TV quelques minutes après l’affrontement. Ou peut-être était-il sérieux.

Âgé de 31 ans, Yarde (23-3) s’est montré un rival de fort calibre, ne reculant pas devant les coups de son dangereux vis-à-vis durant le gros du duel prévu pour 12 rounds.

Pendant les trois premiers rounds assez serrés, chacune des frappes de Yarde qui touchait la cible était accueillie par une salve d’approbation. Au quatrième, il a cependant plié les genoux une première fois quand le Québécois l’a atteint au visage avec un crochet de la gauche et un direct de la main arrière.

Le Londonien n’a pas reculé. Durant la pause, l’entraîneur Marc Ramsay a exhorté Beterbiev à jouer de prudence : « Tu n’as pas besoin d’échanger autant que ça ; tu n’as besoin que de le contrôler en ce moment. »

À la reprise, le champion s’est fait pincer d’un solide direct de la droite, mais il a terminé l’assaut en matraquant Yarde dans le coin.

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Anthony Yarde encaisse un coup d’Artur Beterbiev.

Le sixième a été le plus chaudement disputé. Beterbiev a touché avec un crochet de gauche, tandis que Yarde, qui a commencé à saigner de l’œil droit, a réservé une gauche au nez de son assaillant. Au septième, un coup de tête a ouvert l’arcade sourcilière gauche du Canadien, qui a continué de punir son rival dans le coin.

Aussi actif qu’au début de l’affrontement, le Tchétchène de naissance a poursuivi le tissage de sa toile jusqu’à ce qu’une déferlante provoque cet arrêt brutal avec 59 secondes à faire au huitième. Un peu comme il l’avait fait contre Joe Smith fils au Madison Square Garden l’an dernier, où le coach de l’Américain avait également jeté l’éponge.

À quel point ce combat a-t-il été difficile ? « Toutes les bagarres sont différentes, a répondu Beterbiev à BT TV. Les feelings sont différents, la préparation est différente. Chaque boxeur est aussi différent. Je ne peux pas dire que j’ai fait un mauvais combat, mais si je le faisais encore, je voudrais mieux faire. Mais je me sens bien. »

Le père de famille a assuré ne pas avoir été surpris ni ébranlé par son opposant, qui s’inclinait par K.-O. pour la troisième fois de sa carrière.

« Dans cette catégorie, tous les boxeurs peuvent frapper fort. C’est ce qu’Anthony a fait. Il est jeune [31 ans]. Je suis devenu professionnel à 28 ans. Il a du temps. Je lui souhaite de bien faire dans l’avenir. »

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Artur Beterbiev arbore ses trois ceintures de champion mondial des mi-lourds.

« Si je suis honnête, on s’était préparés à tous ses coups, a-t-il ajouté. C’est pourquoi je revenais toujours. On s’attendait à ces coups. »

À la surprise de la plupart des observateurs, deux juges sur trois donnaient l’avantage à Yarde après les sept premières rondes (68-65, 67-66, 66-67). Ramsay avait même prévenu son protégé après le sixième assaut. Les statistiques du système informatique CompuBox favorisaient pourtant le champion dans presque toutes les catégories sauf les coups de puissance.

Yvon Michel, pour qui Beterbiev était largement en avance, avait son explication. « Il faut considérer qu’il y avait 20 000 spectateurs qui criaient quand Yarde frappait », a souligné celui qui analysait le combat sur RDS2. « Quand Artur frappait, ça ne criait pas. La boxe, ce n’est pas mathématique. Le feeling y est pour beaucoup. »

Le vétéran promoteur estime que Beterbiev a su s’ajuster après avoir compris que Yarde avait un bon menton au quatrième. « Il a été patient, il s’est déplacé, s’est donné des angles. Il a laissé croire à Yarde qu’il avait des chances avant de surgir au bon moment et de le briser. »

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Artur Beterbiev et Anthony Yarde après leur affrontement

« Avec la qualité des adversaires qu’il a eus dans sa carrière, ces 19 K.-O. en 19 sorties font d’Artur un gars unique et exceptionnel », l’a louangé Yvon Michel, encore ébahi par ce qu’il venait de voir.

Avec cette victoire, Beterbiev efface le mauvais souvenir de son passage précédent dans la capitale britannique, alors qu’il s’était incliné en quart de finale aux Jeux olympiques de 2012. « Maintenant, j’ai de bons souvenirs de Londres. C’est une belle ville. »

Son prochain défi ? « J’attends mon prochain boulot… » Tout le monde espère le voir se mesurer au Russe Dmitrii Bivol, détenteur de la ceinture de la WBA.

« Cette job serait plus plaisante qu’une autre. Je veux Bivol », a conclu Beterbiev, tout sourire.

Surprise

La soirée a été marquée par une surprise chez les mi-lourds. L’Argentin Ezequiel Osvaldo Maderna (29-10) a passé le K.-O. au cinquième assaut à l’invaincu Britannique Karol Itauma (9-1), ébranlé par une droite à la tête. Maderna, battu par Beterbiev au Centre Bell en 2016, met donc la main sur la ceinture vacante du WBC international.

À son premier combat pro, le poids lourd Moses Itauma, 18 ans, a eu plus de succès que son grand frère en couchant le Tchèque Marcel Bode (2-2) en deux coups de poing, 23 secondes après le son de la première cloche…

Le duel entre l’Ukrainien Artem Dalakian (22-0, 15 K.-O.) et le Costaricain David Jimenez (12-1) a été le plus intéressant de la sous-carte. Dalakian, qui s’entraîne toujours à Kyiv, s’est imposé par décision unanime à l’issue des 12 rounds pour conserver sa ceinture mondiale de la WBA des poids mouches.