Artur Beterbiev, meilleur boxeur québécois et canadien, met ses trois ceintures mondiales en jeu ce samedi à Londres. Son rival britannique Anthony Yarde, un autre puissant cogneur, a-t-il une chance de le surprendre ? L’entraîneur Marc Ramsay met la table.

À quel point le combat d’Artur Beterbiev contre le Britannique Anthony Yarde, ce samedi à Londres, est-il attendu dans le monde de la boxe ?

Le dernier numéro de l’auguste hebdomadaire britannique Boxing News, fondé en 1909, y consacre pas moins de 15 pages.

Ce chiffre monte à 23 si l’on ajoute les quatre feuillets sur les plus grands affrontements des mi-lourds de l’histoire et le long reportage au sujet du légendaire cutman montréalais Russ Anber, qui sera dans le coin de Beterbiev au Wembley Arena.

Pour la première fois de sa carrière professionnelle, Beterbiev s’exécutera sur un ring de la Grande-Bretagne, haut lieu de la boxe internationale reconnu pour ses partisans engagés et bruyants. Ils devraient être de 14 000 à 20 000 à entonner Sweet Caroline ce samedi soir.

« Se battre à Londres, c’est différent, a convenu l’entraîneur Marc Ramsay cette semaine. Il faut savoir que c’est l’endroit où la boxe est le plus populaire à travers le monde. L’atmosphère n’est pas la même. Et il y a le voyagement qui vient avec. Mais Artur a déjà boxé ici pour les Jeux olympiques. »

En 2012, celui qui représentait alors la Russie s’était incliné en quart de finale contre le futur médaillé d’or, l’Ukrainien Oleksandr Usyk, actuel champion unifié des poids lourds.

Au revoir, le sourire !

Quelques mois plus tôt, Beterbiev s’était rendu dans un gym de Camden Town, quartier de Londres où Anthony Yarde s’entraînait. Le jeune vingtenaire avait posé avec le prestigieux visiteur.

C’est le pugiliste britannique qui a rappelé l’anecdote en conférence de presse jeudi. Beterbiev ne s’en souvenait pas. Pince-sans-rire, le Québécois a ajouté que ce n’est pas pour rien que les boxeurs ont l’habitude de conduire vite en auto : « Pour ne pas oublier où on s’en va… »

Fier de son effet, Beterbiev s’est par ailleurs montré circonspect durant le reste de la conférence à laquelle assistaient deux poids lourds de la promotion, le sien, l’Américain Bob Arum (Top Rank), et celui de Yarde, le Britannique Frank Warren (Queensburry), à l’origine de ce duel de cogneurs.

« Artur n’est pas nécessairement le gars le plus souriant à l’approche des combats », a corroboré Ramsay.

Au fur et à mesure de la semaine, on voit qu’il est de plus en plus concentré sur ses affaires. Pour nous, c’est le train-train habituel.

Marc Ramsay

Beterbiev était néanmoins heureux de renouer avec l’entraîneur Samuel Décarie-Drolet en marge de la pesée de vendredi, où les deux pugilistes ont respecté la limite de 175 lb.

PHOTO ANDREW COULDRIDGE, ACTION IMAGES VIA REUTERS

Artur Beterbiev

« Artur est quand même costaud, mais il n’a pas eu de difficulté à faire le poids », a relaté l’adjoint de Ramsay, débarqué le matin même dans la capitale britannique. « Des fois, tu vois les gars qui ont les yeux creux, qui ne peuvent pas parler parce que leur bouche est trop pâteuse, des indices qui montrent qu’ils sont déshydratés. Là, Artur était même souriant un petit peu. C’est rare qu’on le voie sourire ! »

Chose certaine, le Tchétchène d’origine ne sourira pas au son de la cloche ce samedi dans cette finale d’un gala diffusé à RDS2 à partir de 14 h 30 (HNE). Pour cette défense obligatoire ordonnée par la WBO, il mettra également en jeu ses deux ceintures mondiales du WBC et de l’IBF.

Un rival dangereux

Beterbiev, qui a fêté son 38e anniversaire avec deux séances d’entraînement samedi dernier, tentera de porter à 19 sa fiche immaculée et sa séquence de K.-O., ce qui en fait le seul champion mondial actuel qui ne s’est jamais rendu à la limite. L’Américain Joe Smith fils, sa dernière victime, n’a pas tenu deux rounds en juin 2022 au Madison Square Garden.

« Tout le monde nous parle de ça, mais on ne met pas du tout notre attention là-dessus », a assuré Ramsay, à qui le boxeur attribue le mérite de cette force de frappe exceptionnelle.

Dans l’une des 15 pages, Boxing News classe d’ailleurs le Canadien au troisième rang de son palmarès des plus puissants puncheurs de la planète, derrière le poids lourd américain Deontay Wilder (42 K.-O. pour 43 victoires) et le poids coq japonais Naoya Inoue (21 en 24).

Yarde n’y figure pas, mais il n’en demeure pas moins un rival dangereux avec ses crochets et uppercuts. Le Britannique de 31 ans a arrêté l’adversaire dans 22 de ses 23 succès (pour deux défaites).

Je ne dirais peut-être pas qu’il représente le plus grand défi [de la carrière d’Artur], mais c’est quand même un des bons.

Marc Ramsay

« C’est un gars qui a plusieurs facettes : il est bon boxeur, un bon contre-attaquant qui a de la vitesse et de la puissance. Il n’a peut-être pas le niveau d’expérience d’Artur, mais il a beaucoup de talent génétique. Il est très talentueux, très athlétique », a évalué Ramsay.

Yarde n’a pas affronté des vis-à-vis aussi réputés que ceux de son prochain adversaire, mais il s’est frotté à Sergey Kovalev en Russie en 2019. Il a réussi à ébranler le Russe avant de s’incliner par K.-O. au 11e assaut, son premier revers. Depuis, sa fiche est de 5-1.

Beterbiev devra être particulièrement attentif à la combinaison crochet de gauche-main droite qu’affectionne Yarde. « Mais à la manière d’Artur, c’est un gars qui peut générer de la puissance avec chaque coup de poing », a prévenu l’entraîneur.

Son clan a fait venir à Montréal un Australien, un Américain et deux jeunes Britanniques pour servir de partenaires d’entraînement. Ces derniers ont même fait deux séjours dans la métropole. « Croyez au battage médiatique ! », a suggéré Callum Simpson, l’un des deux, impressionné par le professionnalisme de Beterbiev.

Tout à perdre

Avec 300 combats amateurs et une large majorité d’affrontements professionnels livrés à l’étranger, Beterbiev ne sera pas dérangé par l’environnement hostile qui l’attend à Londres, a assuré Ramsay.

« On a mis en place une bonne tactique, une bonne stratégie pour ce combat-là. On sait ce qu’on veut faire. Il s’agit de bien l’appliquer et, émotionnellement, de ne pas trop se laisser embarquer par la foule. Je pense que ça va bien se passer. »

Parmi tous les intervenants et journalistes sondés par Boxing News, aucun n’accorde de chance réelle au favori local. Sauf son entraîneur Tunde Ajayi, qui estime que Yarde mérite plus de respect compte tenu des défis personnels qu’il a surmontés (son père et trois de ses grands-parents sont morts de la COVID-19).

Anthony est celui qui est spécial, pas Beterbiev.

Tunde Ajayi, entraîneur d’Anthony Yarde

Yarde est celui qui a tout à gagner ce samedi. Le corollaire dicte donc que Beterbiev a tout à perdre, dont un affrontement espéré et attendu avec Dmitrii Bivol, détenteur de l’autre ceinture majeure (WBA) lorgnée par le Montréalais.

« En ce moment, Artur est pleinement concentré sur Yarde, a coupé Ramsay. C’est quand même un challenge important. Mais du point de vue du management, de l’équipe, c’est sûr que c’est le combat qu’on voudrait maintenant avoir. Il faut voir de l’autre côté s’ils sont intéressés ou pas. »