La tenue de compétitions dans plusieurs sports de combat au niveau amateur est permise dans la majorité des provinces canadiennes, mais interdite au Québec. Pourquoi ? Aujourd’hui : le jiu-jitsu.

« On trouve ça vraiment ridicule que ce ne soit pas réglé une fois pour toutes. On n’est pas des hors-la-loi. »

Johnny Zemouli et le monde du jiu-jitsu qu’il représente s’impatientent. Depuis 2017, aucune compétition de la discipline ne peut avoir lieu dans la province.

En Ontario, les évènements ont repris « à fond depuis un an », dit-il, souvent organisés par des Québécois, près de la frontière, à Ottawa ou à Hawkesbury. Ou encore à Plattsburgh, dans l’État de New York.

Jusqu’en 2017, les compétitions de jiu-jitsu étaient « tolérées » au Québec, indique Zemouli, sans doute parce que l’article 83 du Code criminel du Canada, qui interdit les combats concertés, se trouvait sous le radar des autorités.

On pouvait le faire parce que personne ne connaissait vraiment la loi à ce niveau-là et il n’y avait aucun problème.

Johnny Zemouli, président de la fédération de jiu-jitsu québécoise

Puis, cette année-là, une plainte déposée à propos de la tenue d’un évènement amateur dans un autre sport de combat a eu un effet boule de neige. Le SPVM a été forcé de constater que les compétitions de sports de combat non olympiques, dont le jiu-jitsu, ne pouvaient se tenir en vertu de l’article 83, à moins que le gouvernement provincial n’ait décrété leur autorisation. Ailleurs au pays, on l’a fait, mais pas au Québec.

Genèse de cinq ans d’attente

En 2013, le gouvernement fédéral a modifié l’article 83 de son Code criminel. Il y a d’abord inclus la notion d’exemption pour les sports olympiques, mais en ajoutant que chaque province pouvait par décret légaliser les compétitions de sports de combat non olympiques sur son territoire. L’intention d’Ottawa étant de « permettre à chacun de gérer son espace », a expliqué un sénateur à Johnny Zemouli.

Lisez l’article 83 du Code criminel

En 2017, quand les compétitions ont dû cesser, le PLQ était au pouvoir.

« Il n’était pas du tout intéressé par le sujet, affirme Zemouli. Puis, en 2018, la CAQ en a fait une promesse électorale. Alors, on pensait que ça allait être réglé rapidement. »

Un comité a été formé avec la Direction du sport, du loisir et de l’activité physique, qui relève du ministère de l’Éducation. Autour de la table se trouvaient des représentants de plusieurs sports de combat.

Les réunions sont allées bon train, bien qu’elles se soient étirées sur deux ans, note Johnny Zemouli. Puis la pandémie est arrivée et le dossier a été mis en veilleuse.

« Ensuite, on a appris que tous les fonctionnaires qui étaient au dossier étaient partis ou rendus dans d’autres administrations. C’est complètement une autre équipe qui gère ça, et apparemment l’avenue principale qui devait être mise en place, qui était des permis d’évènements, qui demandaient un certain cahier des charges de sécurité, ne serait plus l’avenue principale, mais l’une des avenues possibles. C’est la dernière discussion que j’ai eue au mois de juin avec la Direction des sports, raconte Zemouli. Pendant les élections, ils ne pouvaient rien faire, mais après les élections, ils croisaient les doigts pour que tout soit réglé pendant l’automne. »

Des paroles déjà entendues avant la pandémie, souligne-t-il toutefois.

« Ceux que ça punit le plus à mon avis, ce sont les enfants », a lancé Brianna Ste -Marie, en entrevue avec La Presse il y a quelques semaines après sa deuxième place lors d’une compétition prestigieuse.

PHOTO ALEXIS AUBIN, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Brianna Ste -Marie à l’entraînement

Beaucoup s’entraînent au Québec et ce ne sont pas tous les parents qui peuvent aller une fin de semaine à Toronto ou aux États-Unis pour une compétition. C’est un peu ridicule. Ce n’est pas comme si c’était un sport dangereux, il n’y a pas de coups.

Brianna Ste -Marie, combattante

À la suite de ce reportage sur Ste-Marie, quelques parents de jeunes adeptes de jiu-jitsu nous ont écrit pour déplorer l’interdiction des compétitions dans la province. Entre autres, une mère pour qui « une loi archaïque » entrave le développement de cet « art doux ».

Lisez « Brianna Ste -Marie, combattante en pleine maîtrise »

À la direction des communications du ministère de l’Éducation, on nous a fait savoir que « les réflexions du gouvernement du Québec sur ces questions sont en cours », y compris pour le jiu-jitsu.

Mais si ce n’est pas réglé d’ici la fin de l’année, la direction de la fédération de jiu-jitsu québécoise compte passer à l’étape suivante, en demandant aux personnes touchées de mettre de la pression sur leurs députés.

« Quatre ans plus tard, cinq ans depuis qu’a commencé l’illégalité, on trouve que notre gentillesse a été un peu prise pour de l’innocence en quelque sorte, dans le vrai sens du terme, croit Johnny Zemouli. Ils se sont dit : “Ils sont sur le dossier, ils nous aident, il n’y a pas de problème, donc on va laisser traîner ça.” »

Une fédération ? Oui et non

Johnny Zemouli se décrit comme président de la fédération de jiu-jitsu québécoise, qu’il dit reconnue en tant qu’OBNL, mais précise qu’elle ne fait pas partie des fédérations sanctionnées par le ministère de l’Éducation. « Pour se faire reconnaître, c’est un gros parcours et comme à la Direction du sport, on nous a dit que ce n’était pas important d’être fédéré pour avoir des permis d’évènements, on n’a pas continué vers cette avenue », résume-t-il.

Consultez la liste des fédérations reconnues