Le brouillard était si dense au centre de ski de fond Laura que les navettes ont cessé de fonctionner au début de l'après-midi hier. Même les athlètes devaient marcher pour se rendre au village d'endurance, leur lieu d'hébergement cinq étoiles situé quelques centaines de mètres plus bas. Certains ont grommelé. Alex Harvey a pris le tout avec un grain de sel. «Ça va me faire une p'tite marche», a-t-il philosophé après sa séance d'entraînement.

Le fondeur était de bonne humeur. Peut-être cette purée lui rappelait-elle de bons souvenirs des Mondiaux d'Oslo 2011, lorsqu'il avait débordé le Norvégien Ola Vigen Hattestad dans un stade d'Holmenkollen embrumé, pour se sauver avec le titre du sprint par équipes et offrir au Canada sa première médaille chez les hommes dans un événement majeur.

Avec son coéquipier Devon Kershaw, Harvey espère rééditer l'exploit demain à Sotchi. L'impact serait au moins aussi grand pour son sport que la médaille de bronze de Jan Hudec, une première en 20 ans pour le ski alpin canadien. L'inspiration lui vient aussi des Français, qu'il venait de saluer sur les pistes au lendemain de leur superbe troisième place au relais 4x10 km.

Les fondeurs canadiens ne sont jamais montés sur le podium aux JO. Harvey en rêve depuis Vancouver. Cette quête est-elle devenue une obsession? «Moi, je suis obsédé personnellement parce que mon père n'est jamais allé en chercher, qu'on a fini quatrièmes à Vancouver (relais sprint), Devon cinquième (50 km) et Ivan (Babikov) cinquième (skiathlon). On est passés proche à quelques reprises. Ce sont peut-être les derniers Jeux de Devon. Lui aussi veut aller en chercher une.»

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Parlant de Kershaw, il faisait de l'auto-stop deux heures plus tôt, en route vers le stade. Notre navette, l'une des dernières en service, lui est passée sous le nez sans s'arrêter. Grrr...

Pris d'un rhume, l'Ontarien de 31 ans a été placé en quarantaine pendant deux jours à l'hôtel des entraîneurs, plus bas dans la vallée. Des tests ont révélé qu'il n'avait pas d'infection. «Devon, des fois, c'est dans sa tête», a dit Harvey en souriant.

N'empêche, son état suscite de l'inquiétude. Louis Bouchard dit qu'il devra avoir retrouvé toutes ses forces pour être sur la ligne jeudi. «Sans ça, il y a trop de risques», a-t-il prévenu. Le Torontois Len Valjas a impressionné au relais 4x10 km. Il serait prêt à prendre la relève.

Au-delà de son état de santé, le niveau de forme de Kershaw soulève des interrogations. «Il y a un bel optimisme [pour le relais sprint], mais il y a aussi du réalisme, a lancé Bouchard. Devon vivote depuis un an et demi, deux ans. Il n'a pas la forme qu'il avait à Oslo. Par contre, on peut dire qu'Alex a peut-être un niveau plus élevé. Ça pourrait s'équilibrer. En même temps, l'épreuve est courte. Avec un athlète comme Devon, on ne sait jamais d'une journée à l'autre.»

Harvey, lui, a pleine confiance en son ami, avec qui il a pris le quatrième rang aux derniers Mondiaux de Val di Fiemme. Le relais par équipes est «le championnat du monde des intervalles», ont l'habitude de dire les Norvégiens. Quatre minutes d'effort, quatre minutes de repos, à refaire trois fois. À ce jeu, Kershaw est «le meilleur au monde», foi d'Harvey. «Si je finis 10e dans une course et qu'il finit 40e, il est quand même devant moi dans les intervalles la veille.»

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Après les deux débâcles dans le fartage (voir autre texte), le ton a changé dans le clan canadien. Bouchard avait secoué la cabane en annonçant dans La Presse que son poulain «ne voulait plus rien savoir» du relais 4x10 km. Le coach s'est exprimé sous le coup de l'émotion. Mais il ne regrettait pas ses propos.

Débranché des réseaux sociaux, Harvey dit ne pas avoir eu connaissance de la petite tempête que cela a soulevée au Québec. Son abandon au 15 km a fait réagir des gérants d'estrade?

«Aux Jeux olympiques, qu'on finisse 4e, 40e ou 100e, quant à moi, ça ne fait aucune différence», a justifié l'athlète de 25 ans.

«Je n'ai pas de chance de podium et ma course la plus importante des quatre dernières années arrive dans cinq jours? Je vais tirer la plogue.»

Ce retrait stratégique lui a permis de réaliser des intervalles à l'entraînement dès hier, fait-il remarquer. Son entraîneur n'en démord pas: «Alex pète le feu.» Il brûle de pouvoir le prouver.