« C’est de la merde ! », s’empresse de commenter l’analyste vidéo du CF Montréal quand on lui parle des feuilles de statistiques traditionnelles.

Quoi ? Les feuilles de matchs et les statistiques généralement présentées à la télévision sont non seulement insuffisantes pour évaluer un match, mais elles sont de mauvais outils ? C’est ce que pense Louan Schlicht, l’analyste vidéo en question.

« Avant, on disait : “Oh ! Tu as 60 % de possession, donc tu as dominé le match.” Mais maintenant, on répond plutôt : “D’accord, mais tu es entré combien de fois dans la surface de réparation ? Tu as accumulé combien de buts attendus ?” », résume-t-il.

Les buts attendus sont une valeur entre zéro et un qui calcule la probabilité que le tir résulte en but. C’est une opération un peu complexe, mais qui se base principalement sur l’endroit d’où vient la frappe. Au terme d’un duel, on peut en faire le cumul et ainsi expliquer avec des chiffres si, effectivement, le cliché comme quoi la chance n’est pas en faveur d’une équipe est vrai ou si ce n’était qu’une illusion.

Justement, cette statistique se répand comme une traînée de poudre dans les dernières années. Pour faire une évaluation tant collective qu’individuelle. Et elle peut s’avérer très précieuse lors de la période de transferts pour évaluer certains joueurs qui peuvent performer au-delà des prédictions statistiques, ou l’inverse. Au CFM, elle est essentiellement utilisée pour avoir un ressenti d’une rencontre.

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Louan Schlicht, analyste vidéo du CF Montréal

On aime bien cette statistique [les buts attendus], mais c’est le genre d’information qu’on garde pour nous. On ne va pas arriver à la mi-temps quand le match est 0-0 et dire aux joueurs : “Bravo, les gars vous avez 1,3 de but attendu et ils en ont 0,1.” Mais ça peut venir influencer le discours de l’entraîneur.

Louan Schlicht

Ces informations pointues et techniques viennent à l’encontre de nombreux discours tenus pendant des décennies. Le score et le classement peuvent mentir, selon le technicien de 22 ans.

« Ce n’est pas parce que tu fais des scores de 0-0 et de 1-1 et que l’équipe ne marque pas que l’entraîneur est nul, précise Schlicht. Il y a des statistiques très importantes sur lesquelles tu peux te baser pour évaluer la performance collective. Si tu es dans le vert partout, ce n’est qu’une question de temps avant que tu te mettes à gagner. »

Certes, les buts attendus sont l’une des statistiques avancées les plus en vue, mais ce n’est pas la seule statistique ni le seul outil technologique auxquels les têtes dirigeantes du CFM ont quotidiennement recours.

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Hernán Losada, entraîneur-chef du CF Montréal

Pendant un match, Schlicht a accès à une pléthore de données pour analyser la rencontre. En plus de prendre des extraits vidéo pour expliquer certaines informations aux joueurs ou aux entraîneurs lors de la mi-temps, il est en communication avec l’entraîneur adjoint Laurent Ciman et peut aider l’équipe d’entraîneurs à bien comprendre la physionomie de la partie en direct.

« Si on veut parler de quel côté l’adversaire est passé le plus souvent, ce ne sont plus que des impressions. On peut regarder et dire : “Effectivement, ils ont le double de passages à gauche”, alors qu’à l’inverse, on pouvait penser qu’ils passaient plus à droite », mentionne-t-il.

Un outil pour l’amélioration

Collectivement, les données permettent de brosser un portrait plus fidèle d’une rencontre et de ne pas laisser le score influencer l’analyse d’un match. Dans les mains d’un expert, il peut trouver des « données parlantes » et également contribuer à la progression d’un joueur.

Exemple concret : le milieu offensif du CFM l’an dernier Djordje Mihailovic était parmi les meilleurs du circuit Garber à son poste. Mais il pouvait atteindre de plus hauts sommets quand l’équipe regardait ses statistiques personnelles et les comparait avec celles de ses contemporains.

« Pour Djordje, on regardait vraiment le nombre de ballons touchés entre les lignes, note Schlicht. On voulait le rendre encore plus performant là où il était déjà bon. »

L’équipe a fait un parallèle entre son profil et celui de meneurs de jeu élite comme Carles Gil et Nicolás Lodeiro pour donner des cibles. S’il voulait faire sa place parmi les plus grands, il savait qu’il devait rejoindre ses rivaux sur le plan statistique.

Tactique, mais également physique

Louan Schlicht n’est assurément pas le seul au Bleu-blanc-noir à se servir des données au quotidien. Le préparateur physique Barthélémy Delecroix peut aussi être un acteur de l’ombre lors des jours de match.

« On a accès à des données en direct à l’aide des GPS sur les joueurs, détaille-t-il. […] Si on voit, par exemple, qu’un joueur a explosé son nombre de sprints ou qu’on voit en direct que ses performances baissent, on peut donner les informations au coach.

« Mais il y a des joueurs qu’on sait qu’ils sont irréguliers lors de matchs, que ça peut remonter alors que d’autres, on le sait qu’ils ne remonteront pas. Il faut connaître le joueur, son historique, son profil avant de donner ce genre d’indications au coach. »

Malgré la prépondérance des données dans son métier, l’ancien responsable de la performance du Stade de Reims, club français de Ligue 1, tient à souligner que son travail est d’abord avec des humains.

Néanmoins, il abonde dans le même sens que Schlicht. Les données sont des outils additionnels et cruciaux, mais elles doivent toujours être mises en contexte pour être employées à bon escient.