Une Coupe du monde est composée de moments. Le but victorieux de Takuma Asano à la 83minute contre l’Allemagne, c’en est tout un.

Le Japon a causé la deuxième grande surprise de ce tournoi, mercredi. Les Samouraïs bleus se sont imposés 2-1 au terme d’une épique remontée, autant au score que dans la physionomie du match.

« C’est un moment historique, une victoire historique, a évoqué l’entraîneur-chef japonais Hajime Moriyasu. Quand on pense au développement du soccer au Japon, aux joueurs, c’était de toute évidence une grosse surprise pour eux. »

La sélection nipponne comptait sur cinq joueurs dans sa formation partante qui sont titulaires dans des clubs allemands, et trois autres, dont les marqueurs, qui se trouvaient sur le banc.

« Ils luttent dans une ligue très forte et très prestigieuse, a enchaîné Moriyasu. Ils ont aiguisé leurs habiletés. Dans ces circonstances, nous croyons que ces ligues [la Bundesliga et la deuxième division] ont contribué au développement des joueurs japonais. Je suis très reconnaissant pour cela. »

Le vent tourne en deuxième mi-temps

Parce que ce résultat, ô qu’on ne l’avait pas vu venir après la première mi-temps. Les Allemands avaient eu l’essentiel de la possession, à raison de près de 80 %. Ils ont même eu, après 90 minutes, plus que le double de tirs tentés (26 contre 12) et cadrés (9 contre 4).

C’est pourquoi, lorsqu’Ilkay Gündogan a marqué sur penalty à la 33e, on a eu l’impression que l’on pouvait fermer les livres.

Mais c’était mal connaître les Japonais. Ils ont démontré un effort défensif de tous les instants, avant de prendre le large.

Avec un léger retard de 1-0 au retour des vestiaires, le Japon a sorti la grand-voile et a glissé sous le vent. Quelques changements, dont l’entrée en jeu de Kaoru Mitoma, Takehiro Tomiyasu et Ritsu Doan, sont venus changer la donne.

Le regain d’énergie japonais a été jumelé à une pression allemande beaucoup moins forte qu’en début de rencontre.

Le gardien Shuichi Gonda avait été solide jusque-là, malgré son erreur sur l’action qui a mené au penalty. Mais à la 70e, c’est lui qui fait changer l’impulsion du moment. Il s’impose à quatre reprises, coup sur coup, devant des Allemands encore affamés.

« Nous nous sommes battus en équipe, a dit Gonda. Il faut qu’on s’assure de continuer comme ça. »

PHOTO ANNE-CHRISTINE POUJOULAT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Les Allemands après le match

Deux minutes plus tard, c’est Manuel Neuer qui s’offre une merveilleuse parade devant Junya Ito, seul au point de penalty.

Les Japonais flairent la bonne affaire à ce moment. Doan, entré à la 71e, s’empare d’un retour dans la surface pour égaliser la marque à la 75e.

Quelque chose se trame. Le beau jeu des Samouraïs, qui ont finalement décidé de n’en faire qu’à leur tête, continue.

C’est la 83e. Un long ballon issu de la défense arrive au pied de Takuma Asano. Il le caresse tout doucement en l’amenant vers sa gauche. Vers la surface. Il le pourchasse. Neuer ferme l’angle au premier poteau. Asano y voit une brèche malgré tout. Et place le cuir parfaitement dans la lucarne.

PHOTO MATTHEW CHILDS, REUTERS

Takuma Asano

Pardon ? Le Japon mène !

« On encaisse des buts beaucoup trop facilement, a pesté Gündogan, particulièrement critique sur la prestation de ses coéquipiers. Notamment le second, je ne sais pas si, en Coupe du monde, un but a été plus facile à mettre. »

L’Allemagne tente le tout pour le tout en fin de match, mais le bloc japonais ne bronche pas. Victoire, et surprise, nipponne.

« C’est une déception brutale, a regretté le sélectionneur allemand Hansi Flick. On était sur la bonne voie, on a mérité de mener à la mi-temps. On n’a pas mis les occasions, les Japonais ont été plus réalistes et on a fait des erreurs qui ne doivent pas arriver. »

On vous parlait de groupe de la mort par rapport à ce groupe E, qui inclut aussi l’Espagne et le Costa Rica. On ne pensait pas si bien dire.

L’Allemagne gagne malgré tout

« Le soccer est un jeu simple, disait le grand sage anglais Gary Lineker. Vingt-deux joueurs courent après un ballon pendant 90 minutes et à la fin, les Allemands gagnent. » Mercredi contre les Japonais, les Allemands ont gagné avant même d’avoir titillé le cuir.

Alors que les discussions sur les enjeux extrasportifs entourant cette Coupe du monde commençaient à s’estomper, Die Mannschaft a fait un coup d’éclat. Lors de la prise de photo traditionnelle d’avant-match, ses joueurs se sont tous mis la main à la bouche, pour illustrer le muselage de la prise de parole par la FIFA.

PHOTO INA FASSBENDER, AGENCE FRANCE-PRESSE

Les représentants de l’Allemagne, comme ceux de six autres nations européennes, s’étaient entendus pour que leur capitaine porte le brassard OneLove, afin de soutenir les membres de la communauté LGBTQ+. Ceux-ci sont victimes de répression au Qatar. La FIFA a indiqué à ces pays, dimanche, qu’elle allait sévir contre les protestataires, avec des sanctions pouvant aller jusqu’à un carton jaune.

« Avec notre brassard de capitaine, nous voulions donner l’exemple des valeurs que nous prônons dans l’équipe nationale : la diversité et le respect mutuel, ont publié solidairement les joueurs allemands sur les réseaux sociaux. Nous voulions que notre voix soit entendue, de concert avec les autres nations. Ce n’est pas un message politique : les droits de la personne ne sont pas négociables. »

Et la sélection de continuer : « Cela devrait aller de soi. Malheureusement, ce n’est toujours pas le cas. C’est pourquoi ce message est si important pour nous. Interdire le brassard, c’est comme nous interdire de parler. Notre position est maintenue. »

Une position forte. À défaut de pouvoir porter le brassard OneLove, le capitaine de l’Angleterre, Harry Kane, s’était contraint à porter le plus générique « No Discrimination », de la FIFA. La prise de parole des Allemands pourrait ainsi en inspirer d’autres.

Par ailleurs, il y avait au moins une personne qui portait le OneLove dans le stade Khalifa : la ministre de l’Intérieur allemande, Nancy Faeser.

Avec l’Associated Press et l’Agence France-Presse