La disparition d’un joueur planétaire, grande idole de son époque, a plongé le petit monde du soccer québécois dans la tristesse. Témoignages.

C’est une triste journée. C’était mon joueur favori, le premier dont j’ai eu le chandail. À l’époque, c’était très difficile d’en trouver un ! À la Coupe du monde de 1986, c’est la première fois que j’ai vraiment eu la chance de le voir de près, de voir ce qu'il était capable de faire. C’était un joueur dynamique, électrisant, capable de faire lever tout le monde dans le stade. Il pouvait déjouer trois, quatre, cinq joueurs, un peu comme le font Messi ou Ronaldo : dans le temps, il n’y avait pas de joueurs comme lui, capables de faire une telle différence par ses qualités individuelles. […] Pour les Napolitains, le foot est une religion, alors il est devenu un dieu, un héros, une légende.

Mauro Biello, directeur du programme d’excellence U23 chez Soccer Canada, ex-entraîneur-chef de l’Impact de Montréal (2015-2017) et ex-joueur de l’Impact (1993-2009)

Il a été un vilain pour plusieurs, mais un héros pour le peuple argentin, parce qu’il a tenu tête à l’oppresseur, au bully qui affronte les Argentins dans leur vie. Que ce soit le gouvernement, l’Angleterre à l’époque de la guerre des Malouines ou l’arbitre, qui est le symbole de ceux qui veulent te contenir. Dans bien des sociétés, on valorise la loi et l’ordre. Mais dans une société avec beaucoup d’inégalités, il s’en est sorti avec panache, avec bravoure, contre l’impérialisme britannique.

Patrick Leduc, directeur de l’Académie de l’Impact de Montréal

Cette nouvelle nous rappelle que ceux qu’on pense immortels sont mortels. C’est le joueur qui m’a donné la passion pour le foot, celui qui a le plus marqué l’histoire : il a réussi à faire une différence partout où il est passé. Le match de l’Argentine contre l’Angleterre à la Coupe du monde de 1986 reste marquant pour moi. Oui, il y a son but reconnu comme la ‟main de Dieu", mais après, il a répondu avec ce qui est, selon moi, le plus beau but de l’histoire du soccer.

Marc Dos Santos, entraîneur-chef des Whitecaps de Vancouver et ex-entraîneur de l’Impact (2009-2011)

Sa mort à 60 ans, c’est triste. Tu le vois à la Coupe du monde de 2018, dans les estrades, et il n’est pas bien. Maradona, c’est le gars qui te nourrit de l’espoir de faire quelque chose de plus grand que nature. S’il avait eu la rigueur de Lionel Messi, ç’aurait été quoi ?

Olivier Brett, analyste et descripteur à RDS

Diego faisait n’importe quoi pour atteindre ses objectifs, y compris mettre la main où il ne faut pas. Mais il pouvait aussi réaliser des exploits techniques en se basant sur un seul pied, son pied gauche. En blague, on disait que son pied droit, il s’en servait pour monter dans l’autobus. Avec son pied gauche, il pouvait tout faire. C’était un super doué, mais il n’était pas doué dans tout, malheureusement. Quand on est supervedette on se doit de ne pas décevoir tous ceux qui croient en toi. Il faut être préparé, ou encadré.

Francis Millien, analyste de soccer

Prenez Zinédine Zidane. Lui aussi a été parmi le top du top comme joueur, mais comme entraîneur, il s’est aussi hissé au sommet. Parce qu’il a commencé son métier à la base. Diego n’a pas eu la chance, ou les conseils, de reprendre les étapes une par une. C’est regrettable. Les gens se demandent souvent qui est le meilleur entre Pelé et Diego. Pelé a réussi à redonner à son sport. Maradona, pas autant.

Francis Millien

Il a essayé de faire des choses ensuite, mais il n’avait pas les outils. Il a essayé de gérer sa carrière d’entraîneur sur son nom. Je suis Maradona, je connais le jeu plus que n’importe qui d’autre, je serai un grand entraîneur. Mais il ne s’est pas rendu compte assez vite que le jeu a évolué plus vite que lui. Le jeu était rendu à une autre époque et il n’avait pas les outils pour suivre.

Jean Gounelle, analyste à RDS

Dans les années 80 et 90, Maradona, c’était vraiment le joueur par excellence, un technicien de haut calibre. Il était capable de gagner un match à lui seul. Ses adversaires devaient faire du marquage homme à homme pour essayer de l’arrêter, on ne voit plus ça du tout aujourd’hui. Il se faisait constamment frapper, mais chaque fois, il se relevait et continuait à jouer. […] À l’époque, en Italie, c’était toujours la Juventus, l’Inter Milan ou l’AC Milan qui étaient les équipes à battre. Quand il est allé à Naples, il a tout changé. Son impact a été incroyable.

Valerio Gazzola, directeur technique de l’Association régionale de soccer de Laval et ex-entraîneur-chef de l’Impact (1994-1997 et 2000-2001)

Comme coordonnateur général de la FIFA, j’avais la responsabilité du match de demi-finale de la Coupe du monde de 1990, à Naples, entre l’Italie et l’Argentine. C’était phénoménal. Dans les jours avant le match, tout le monde ne parlait que de lui. Vous pouvez imaginer le dilemme du public : d’un côté on voulait que l’Italie gagne, et de l’autre, on voulait que le joueur de Naples gagne. Ç’a donné toute une atmosphère. […] Je l’ai rencontré plusieurs fois. C’était non seulement un joueur incroyable, mais une personne très humble et facile d’accès, pas du tout dans le vedettariat.

Walter Sieber, ex-vice-président du Comité olympique canadien et ex-coordonnateur à la FIFA

C’est un géant qui part. C’était un joueur exceptionnel qui nous ramenait à notre enfance, comme Messi le fait aujourd’hui : le soccer de rue, les dribles, l’amour du jeu… C’était un génie du jeu simple, il le faisait pour s’amuser. Parti d’un quartier très pauvre, il était le surdoué qui a réussi dans l’adversité à faire gagner ses équipes, une sorte de Robin des bois du foot. […] Il représentait l’amour du jeu, la beauté du soccer tel qu’il devrait être pratiqué, avec du jeu offensif, ouvert, porté vers l’avant. Comme c’était aussi une personne excessive, il faisait appel aux émotions des gens. C’est pour ça que, malgré toutes ses frasques, on a gardé notre affection pour lui.

Samir Grhib, entraîneur-chef de l’équipe masculine de soccer du Rouge et Or de l’Université Laval depuis 2000

Propos recueillis par Guillaume Lefrançois et Simon-Olivier Lorange, La Presse