Ne cherchez pas les joueurs de l’Armada de Blainville-Boisbriand sur la patinoire un matin de match.

Ne vous méprenez pas, ils sont bel et bien à l’aréna. À la salle de musculation, probablement. Peut-être sur une glace synthétique pour y décocher quelques tirs. Sinon en réunion ou en séance vidéo. Mais pas dans leur équipement, encore moins sur une surface gelée.

Dans le monde du hockey, on patine pourtant le matin d’un affrontement depuis une cinquantaine d’années. Dans un reportage publié en 2016, le New York Times attribuait les débuts de cette pratique aux Flyers de Philadelphie du début des années 1970, qui auraient calqué leur routine sur celle de la sélection nationale soviétique. Après que les Flyers eurent remporté deux Coupes Stanley, en 1974 et 1975, les autres équipes ont emboîté le pas.

Pendant des décennies, cette façon de faire a été systématique, sans que quiconque la remette trop en question. Depuis quelques années, toutefois, les habitudes changent. À mesure que la saison avance, les entraînements matinaux deviennent optionnels ou sont annulés, surtout lorsque le calendrier est serré.

Embauché comme entraîneur-chef de l’Armada l’été dernier, Mathieu Turcotte a carrément mis fin à cette tradition.

Turcotte n’a pas mis de temps à prendre sa décision. L’idée lui trottait dans la tête depuis un moment. Dépenser de l’énergie à quelques heures d’un match lui apparaissait « comme un non-sens ». Ainsi, lorsque les préparateurs physiques Stéphane Dubé et Stefano Lanni lui ont fourni une série de données ultraprécises qui confirmaient ses impressions, il n’a pas hésité.

« Ils ont déterminé qu’un entraînement matinal, c’était pas mal l’équivalent d’un demi-match par joueur », raconte Turcotte au bout du fil.

Il décrit sa décision comme un no-brainer.

« Dans une année junior, avec la charge de travail qui est demandée, et vu la maturité physique d’une équipe jeune comme la nôtre, on trouvait que ça ne valait pas la peine. »

Sortir du lit

Bien que les entraînements matinaux soient de moins en moins systématiques, l’Armada reste l’un des très rares clubs de niveau junior ou supérieur à les avoir complètement abandonnés. Au Centre Bell, et dans les 31 autres arénas de la LNH, il y a de l’action sur la glace plusieurs heures avant l’arrivée des spectateurs.

Le modus operandi est presque toujours le même : l’équipe locale patine vers 10 h 30, et le club visiteur, vers 11 h 30.

Le format varie selon les organisations et les circonstances. Certaines séances peuvent être très intenses. Samedi dernier, par exemple, les Blackhawks de Chicago ont rodé pendant de longues minutes leurs unités spéciales avant d’affronter le Canadien. Le Tricolore, en revanche, a offert aux joueurs qui le désiraient de sauter leur tour. Avec un groupe réduit, les exercices sont généralement moins rigides, et surtout moins intenses.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Séance d’entraînement matinale du Canadien au Centre Bell avant un match

« Je pense que, dans le temps, les gars buvaient à la veille des matchs et voulaient suer un bon coup le lendemain matin », a suggéré Jordan Harris en riant, il y a quelques jours.

Le défenseur du CH le disait un peu à la blague. Il avait pourtant parfaitement raison sur le principe général.

Stéphane Dubé a travaillé pour le Canadien à la fin des années 1990, puis pour les Penguins de Pittsburgh au milieu des années 2000. « Pas à l’époque de Maurice Richard », fait-il remarquer.

On voulait que les gars sortent du lit. Qu’ils ne sortent pas trop la veille et qu’ils soient dans une routine normale. Qu’ils déjeunent, qu’ils s’alimentent bien. Quand tu passes toute la journée à la maison, tu vas te sentir amorphe.

Stéphane Dubé, préparateur physique

Traditionnellement, confirme Luc Nadeau, professeur au département d’éducation physique de l’Université Laval, les entraînements matinaux la journée d’un match « étaient considérés comme une forme d’activation et n’étaient pas nécessairement destinés à améliorer les performances ».

« Il y a 30 ou 40 ans, les joueurs de hockey professionnels faisaient beaucoup moins de séances d’entraînement en salle que le font les joueurs des nouvelles générations », rappelle-t-il aussi dans un échange de courriels avec La Presse.

Mise en marche

L’activation, comme son nom l’indique, désigne l’action pendant laquelle le corps s’active, se réveille. Elle est considérée comme une étape essentielle pour les athlètes, ceux du dimanche comme les professionnels, avant la pratique d’un sport.

C’est, sans le nommer, ce concept que décrivent les joueurs qui vantent les bienfaits des entraînements matinaux : ils se mettent en marche.

L’activation, désormais, se décline autrement. De la musculation, des étirements, des exercices de mobilité… « La charge de travail n’est pas proche de celle d’un entraînement matinal », assure Mathieu Turcotte.

L’énergie, c’est comme de l’argent à la banque. Si tu n’en as plus, il faut que tu en empruntes. Moins un joueur a d’énergie, plus il est susceptible de livrer une contre-performance et plus il s’expose à un haut risque de blessures. Tout est interrelié.

Stéphane Dubé, préparateur physique

Les données qu’il a livrées à l’Armada ont été colligées grâce à des capteurs portés par des joueurs de différents calibres au cours des dernières années. Tout est comptabilisé : l’intensité et le volume des entraînements, les accélérations, les freinages…

Abandonner les entraînements les matins de match, « c’est de la science 101 », poursuit Dubé, qui travaille aussi pour les Cataractes de Shawinigan. « L’énergie que tu brûles le matin, tu ne l’as pas le soir. Si tu pratiques à 10 h et que tu rejoues à 19 h, tu n’as jamais assez de temps pour récupérer. »

Le facteur repos est particulièrement déterminant chez les joueurs d’âge junior. Certains d’entre eux « sont encore en plein développement physique et ne sont pas encore à maturité », souligne Luc Nadeau.

« Leurs capacités de récupération et d’endurance à subir ces charges d’entraînement ne sont pas les mêmes que celles des joueurs adultes et matures physiquement. »

Trop pousser la note va carrément « limiter [leur] développement ».