Depuis presque un an, Benoît Groulx réfléchit. À sa propre carrière, s’entend, mais aussi au métier d’entraîneur en tant que tel. Et sans que personne ne s’y attende vraiment – y compris lui –, c’est en Russie qu’il mettra en pratique les fruits de sa réflexion.

Le Traktor de Tcheliabinsk, dans la KHL, a annoncé lundi avoir embauché le Québécois de 56 ans, qui a dirigé plus de 1400 matchs de saison dans la LHJMQ et dans la Ligue américaine (LAH) au cours des deux dernières décennies. Groulx a préféré l’offre du Traktor à celle d’une équipe de la LAH. Par ailleurs, ce natif de Gatineau n’a pas été considéré pour le poste d’entraîneur-chef des Sénateurs d’Ottawa, dans la LNH – « je n’ai pas eu d’appel », dit-il.

En discutant avec lui, on comprend rapidement que sa décision, quoique surprenante, n’a pas été prise par dépit, et surtout pas sur un coup de tête.

« Chaque fois que j’ai parlé aux dirigeants [de l’équipe], je me rapprochais d’eux », raconte au bout du fil celui qui affirme partir avec « le couteau entre les dents », survolté à l’idée d’aller diriger une « équipe talentueuse » qui aspire aux grands honneurs. Le Traktor s’est incliné en demi-finale de la Coupe Gagarine, il y a quelques semaines, après avoir défait le puissant Dynamo de Moscou au tour précédent.

L’organisation avait pressenti Groulx une première fois en octobre dernier, mais celui-ci avait décliné l’invitation – nous y reviendrons. Le mois dernier, lorsque son futur employeur est revenu à la charge, il se trouvait toutefois dans de meilleures dispositions pour écouter l’offre qui lui était faite.

Il a alors communiqué avec neuf personnes ayant déjà évolué dans la KHL, comme joueurs ou comme entraîneurs. « Tous, sans exception, m’ont dit qu’ils avaient adoré ça et que ce serait un beau défi, assure Groulx. C’est une très bonne ligue. Quand tout le monde te dit ça, tu écoutes encore plus l’équipe qui te parle. Alors on a discuté de leur manière de voir les choses, de la raison pour laquelle ils voulaient m’avoir, etc. J’ai pris ma décision samedi dernier. Je leur ai dit que c’était le meilleur endroit pour moi, que je voulais relever ce défi. »

Le contexte géopolitique a « fait partie de sa réflexion », dit-il. Le choix d’aller travailler dans un pays en guerre vient avec une inévitable charge. En envahissant l’Ukraine il y a deux ans, la Russie s’est essentiellement aliéné le monde occidental.

Je ne suis pas politicien. Ça ne m’empêche pas de réfléchir et de savoir ce qui se passe. Mais les meilleurs joueurs russes jouent dans la LNH, et plein de joueurs canadiens et américains jouent en Russie. Je ne suis pas différent de ces gars-là. Je suis là pour pratiquer un sport, pour coacher, pour me dépasser.

Benoît Groulx

Devoirs

Si Benoît Groulx a finalement dit oui au Traktor, c’est parce qu’il estimait avoir fait ses devoirs.

Il se trouvait en Suisse, l’automne dernier, au moment de la première approche. « Ma tête n’était pas à aller coacher dans la KHL à ce moment-là, se souvient-il. Quand tu fais ce saut-là, il faut que tu te prépares adéquatement, du point de vue personnel, mais aussi du point de vue du hockey. Je n’aurais pas eu le temps nécessaire pour me sentir dans mon élément : connaître la ligue, regarder des vidéos, etc. J’aurais été dans l’urgence, et ça, ça ne me tentait pas. »

Un peu de contexte : en juin 2023, le Lightning de Tampa Bay et Benoît Groulx ont convenu, « d’un accord relativement commun », comme l’a écrit La Presse à l’époque1, de mettre fin à son mandat comme entraîneur-chef du Crunch de Syracuse, club-école du Lightning. En sept ans sous sa gouverne, l’équipe a conservé une fiche de 256-152-71, en plus d’avoir été le tremplin de futurs joueurs clés de l’organisation – Yanni Gourde, Anthony Cirelli et Ross Colton, notamment.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

En sept ans sous la gouverne de Benoît Groulx, le Crunch de Syracuse, club-école du Lightning de Tampa Bay, a conservé une fiche de 256-152-71.

Au cours de la dernière année, donc, Groulx a fait du travail de recrutement pour le Lightning dans la région de New York, où il est demeuré. Mais il a aussi réfléchi à son avenir.

Il désirait avant tout travailler pour « un club qui [l’]intéresse ». Ainsi, s’il était au pays de Mark Streit, en octobre, c’était tout simplement pour… « découvrir le hockey suisse ». La même démarche l’a aussi amené en Allemagne.

« Si je veux savoir, je dois aller voir », s’est-il dit. Son voyage lui a permis de « croiser plein de DG et d’entraîneurs » avec lesquels il a « échangé sur le hockey européen ». Il s’est aussi « promené » dans la LNH et dans la LAH. Cela dans le même but, celui d’« approfondir ses connaissances » et de s’initier à de nouvelles « façons de faire ».

« Comme disait ma grand-mère : j’avais du temps dans mes poches, alors je l’ai utilisé. »

« Ça m’a permis de rencontrer plein de monde et de réfléchir à plein de choses, poursuit-il. Il me reste peut-être cinq, sept, dix ans à coacher ? Je ne le sais pas. C’était ma chance, à 55 ans, de me ressourcer, de faire un reset ; de regarder ailleurs, ce qui est en avant, ce que le coaching demande aujourd’hui. La communication et le message, ce sont des choses primordiales. Cette année-là m’a permis de travailler sur ces choses-là, simplement pour être un meilleur coach. »

Galvanisé par cette énergie nouvelle, il a commencé à envisager concrètement son prochain emploi. Une équipe de la LAH lui a proposé de devenir son entraîneur-chef. Puis le Traktor est revenu dans le portrait. Cette fois, il était prêt à tendre l’oreille.

« La Ligue américaine, c’est une très bonne ligue, et je vais peut-être y retourner un jour, conclut-il. Mais je n’irai pas en Russie à 60 ans. Le défi est arrivé à point. J’ai hâte de coacher. »

1. Lisez l'article de Guillaume Lefrançois : « Les coachs, comme les joueurs, ils veulent monter ! »