La saison dernière, Jillian Dempsey a terminé au troisième rang des marqueuses de la défunte Premier Hockey Federation, ligue dans laquelle évoluait notamment la Force de Montréal. La capitaine du Pride de Boston, qui était aussi la meilleure pointeuse de l’histoire du circuit, avait aisément obtenu plus d’un point par match.

Cette saison, avec l’équipe montréalaise de la Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF), l’Américaine de 33  ans a jusqu’ici récolté seulement 4 points, dont 1 but, en 19 rencontres. Lors du plus récent match de son club, le 24 mars, elle a passé à peine 6 min 32 s sur la glace.

Le cas de Dempsey n’est pas unique. Dans le nouveau circuit, à quelques exceptions près, les anciennes de la PHF ont été éclipsées sur le plan offensif par les joueuses, principalement canadiennes et américaines, issues des programmes nationaux.

Seulement 2 des 20 meilleures pointeuses de la LPHF, et 6 des 40 premières, évoluaient dans la PHF en 2022-2023. Quelques recrues arrivées des rangs collégiaux complètent le portrait. Du reste, jusqu’ici, le spectacle est principalement l’affaire des olympiennes.

La Manitobaine Sarah Bujold, de l’équipe de Montréal, a par exemple amassé des dizaines de points au cours des quatre dernières saisons dans la SDHL, en Suède, et la PHF. Dans la métropole, elle affiche une récolte de 3 points en 19 matchs.

De fait, les 10 meilleures pointeuses de la PHF, la saison dernière, ont toutes vu leur production fondre au cours de la saison inaugurale de la LPHF. Elles ont certes décroché des postes à temps plein, mais dans des rôles de soutien.

Toutes ne sont pas complètement effacées, tant s’en faut. À Montréal, par exemple, la défenseure Kati Tabin avale les minutes, tout comme la nouvelle venue Amanda Boulier. Et l’attaquante Tereza Vanisova, avant d’être échangée à Ottawa, était parmi les meilleures pointeuses du club.

La cassure, toutefois, est nette. Et le moment était parfait pour en discuter, mercredi, alors que les principales joueuses d’impact participent au Championnat du monde dans l’État de New York.

« Profondeur »

À l’Auditorium de Verdun, une quinzaine de joueuses et deux gardiennes ont repris l’entraînement, cette semaine, après quelques jours de congé. La patinoire semblait grande, en l’absence de Marie-Philip Poulin, Laura Stacey, Kristin O’Neill, Erin Ambrose, Ann-Renée Desbiens et l’entraîneuse-chef Kori Cheverie, toutes parties aux Mondiaux.

Cette longue pause de presque quatre semaines peut paraître étrange en pleine saison, mais « on avait du travail à faire », constate Sarah Lefort. On peut présumer qu’elle faisait notamment référence aux quatre défaites qu’a subies son équipe avant le congé.

La Québécoise a connu à peu près tous les calibres de jeu du hockey féminin à ce jour. Au cours de la dernière décennie, elle a joué dans la NCAA (à l’Université de Boston), dans la défunte Ligue canadienne (avec les Canadiennes), dans la défunte Association des joueuses professionnelles puis dans la défunte PHF (avec la Force de Montréal). La voilà aujourd’hui dans la LPHF.

Chez la Force, l’an dernier, elle a amassé 10 points en 17 matchs. Après 19 rencontres cette saison, elle n’en a que 5.

« Il faut se battre et faire sa place chaque jour pour un poste, raconte l’attaquante de 30 ans. Mais c’est comme ça qu’on peut avoir le meilleur produit sur la glace. »

Il y a une logique mathématique derrière le phénomène actuel. La PHF comptait sept équipes, et l’Association des joueuses professionnelles, quatre. Avec un nouveau circuit à six clubs, un écrémage était inévitable. Des dizaines de joueuses ont ainsi perdu leur emploi. Et des vétéranes aguerries ont vu leur statut changer, parfois radicalement.

« Je m’y attendais, mais je pense que d’autres s’y attendaient moins, analyse Lefort. On a constaté dès le début du camp d’entraînement que ç’allait être ça. »

Les joueuses interrogées, à l’unisson, vantent la « profondeur » des équipes de la LPHF. « Il y a du talent partout », résume Kati Tabin, une ancienne du Toronto Six, dans la PHF.

« Chaque équipe a quatre trios qui seraient une première ligne dans toute autre ligue », renchérit Jillian Dempsey. À 33 ans, et après une décennie de hockey professionnel, l’attaquante pose un regard lucide sur ce changement complet dans sa carrière.

« C’est une question d’occasions, dit-elle. Quand tu jouais 25 minutes auparavant, mais seulement 6 ou 7 aujourd’hui, il faut que chaque occasion compte. C’est une différence importante pour plusieurs joueuses. Il faut faire plus avec moins. Il y avait beaucoup de talent dans la PHF, des joueuses incroyables, dont plusieurs jouent maintenant ici. Mais il y avait davantage de disparité entre les trios en attaque ou les paires de défense. »

C’est comme une saison recrue pour moi. J’ai dû déménager et me joindre à une nouvelle équipe. Je venais de passer huit ans avec le même club, je jouais un rôle de leadership. Tout est différent ici.

Jillian Dempsey

Structure

Au-delà du talent disponible, on peut aussi se demander quelle différence fondamentale sépare la PHF d’autrefois de la LPHF d’aujourd’hui pour que des joueuses qui ont connu autant de succès dans la première peinent à ce point à générer de l’attaque dans la seconde.

Il se marque globalement moins de buts dans la LPHF que dans les ligues qui ont vu le jour avant elle, avait déjà établi La Presse il y a quelques semaines. La qualité des gardiennes avait alors été ciblée comme principal facteur. L’argument est de nouveau invoqué : dans la PHF, « chaque équipe avait une bonne gardienne, mais après, c’était moyen », souligne Kati Tabin.

D’aucunes conviennent toutefois que l’écart entre les deux ligues ne se résume pas qu’au brio des geôlières.

« Il y a beaucoup plus de stratégies, de recrutement, de vidéos, énumère Sarah Lefort. On regarde ça chaque jour. Ça nous donne accès à un autre niveau sur le plan de l’exécution. Il y a aussi moins de temps et d’espace. Le jeu, globalement, est plus rapide. »

Si la différence est manifeste sur la glace, elle l’est aussi derrière le banc. Le gain en professionnalisme, en ce sens, s’observe à tous les niveaux.

« Tout le monde déploie une structure très efficace, note la gardienne Elaine Chuli. Il y a moins de chances de marquer de grande qualité, moins de surnombres aussi. »

D’une mentalité globalement fondée sur l’attaque, on passe désormais à « la défense d’abord ».

Les défenseures sont bonnes, les gardiennes sont bonnes… C’est vraiment très serré.

Elaine Chuli

Le jeu est aussi plus physique que jamais, estime Jillian Dempsey. À ce chapitre, toutes les joueuses cherchent encore leurs repères. « On essaie encore de comprendre ce qui est une pénalité ou non, et les arbitres aussi, je crois. C’est parfois difficile à mesurer. Mais cet aspect physique rend le jeu différent de tout ce qu’on a vu auparavant. »

Qu’à cela ne tienne, peu importent les changements auxquelles elles font face, il revient aux joueuses de s’adapter, rappelle la vétérane.

« Notre rôle change, mais il faut trouver notre propre manière de contribuer et de gagner la confiance de notre équipe », conclut-elle.

Même si ça signifie passer de longs moments sur le banc et perdre des rangs dans la colonne des pointeuses.