(Québec) La Ligue de hockey junior Maritimes Québec (LHJMQ) et ses équipes ainsi que la Ligue canadienne de hockey savaient que des abus étaient commis contre certains de ses joueurs recrues. Ils ont « soit ignoré, soit toléré » cette situation. Et l’action collective est le meilleur véhicule pour faire valoir les droits des victimes de cette « négligence systémique », a plaidé mardi l’avocat David Stolow, qui représente l’ex-hockeyeur Carl Latulippe dans cette action.

Au contraire, l’action collective n’est « pas le bon véhicule procédural » dans ce dossier, a rétorqué MChristian Trépanier, qui représente la LHJMQ.

Toutes les parties étaient réunies au palais de justice de Québec devant le juge Jacques G. Bouchard dans le cadre de l’audition visant à autoriser l’action collective intentée par M. Latulippe au nom de tous les joueurs de la LHJMQ ayant subi des abus alors qu’ils étaient mineurs dans la LHJMQ, de 1969 à aujourd’hui. À ce stade-ci, la demande d’action collective n’est pas jugée sur le fond. Le juge Bouchard doit plutôt déterminer s’il permet ou non à la procédure d’aller de l’avant.

La Presse avait présenté en avril 2023 l’histoire de Carl Latulippe. L’homme racontait avoir été victime de sévices physiques, psychologiques et sexuels chez les Saguenéens de Chicoutimi après avoir été sélectionné comme premier choix au repêchage de 1994.

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M. Latulippe, qui aurait aussi été victime de sévices chez les Voltigeurs de Drummondville, a déposé une demande d’action collective en mai 2023. Il réclame 650 000 $ aux défendeurs et 15 000 000 $ de dommages-intérêts punitifs et exemplaires collectifs.

« Malheureusement, tragiquement, [M. Latulippe] n’est pas le seul », a plaidé MStolow, qui reproche à la LHJMQ et aux autres défendeurs d’avoir « omis d’instaurer des procédures efficaces en temps utile pour prévenir les abus ». « Ils savaient tous et personne n’a rien fait », dit-il.

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Me David Stolow

Plus de 21 000 joueurs ont évolué dans la LHJMQ depuis 1969, mais il est trop tôt pour déterminer exactement combien de personnes seraient visées par l’action collective si elle est autorisée.

Selon MStolow, le dossier de M. Latulippe « répond aux critères pour être autorisé » comme action collective. Selon lui, la Ligue canadienne de hockey (LCH), la LHJMQ et ses équipes ont fait preuve de « négligence systémique » en tolérant « une culture d’abus et de silence ». « On parle d’une faute d’omission […] Tout le monde était au courant et personne n’a rien dit », a plaidé l’avocat.

Des équipes qui ont changé de propriétaire

L’avocat de la LHJMQ, Christian Trépanier, estime plutôt que la demande d’autorisation d’action collective doit être rejetée, entre autres parce que « joindre tout le monde dans une même réclamation et demander leur responsabilité solidaire sans égard à leurs actions concrètes […] est une thèse indéfendable ».

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MChristian Trépanier

L’avocat a rappelé que « sur 18 des équipes visées dans le recours, 13 n’existaient pas au moment des faits ». Il critique le fait que l’action tente de rendre toutes les équipes responsables solidairement des abus, « sans égard aux changements de propriétaires » survenus au fil des ans. Pour Me Trépanier, « la culture va avec les opérateurs ». « Ici, on a 18 personnes morales différentes avec des cultures différentes […] On ne peut pas [tenir] pour acquis qu’elles étaient toutes pareilles », plaide-t-il.

Le spectre des procédures ontariennes

Les avocats des deux parties ont aussi évoqué « l’affaire Carcillo », une procédure similaire se déroulant en Ontario depuis des mois. Là-bas, une demande d’autorisation d’action collective intentée par trois anciens joueurs de hockey disant avoir été victimes d’abus, dont Daniel Carcillo, a été rejetée en février 2023 par le juge Paul Perell. La décision a été portée en appel. Mais en parallèle, le juge Perell a proposé aux parties un autre véhicule pour régler le litige, soit des actions individuelles déposées pour chaque équipe par des groupes de plaignants.

Pour MStolow, « l’utilité du dossier Carcillo pour ce tribunal [québécois] est limitée ». Les exigences des actions collectives en Ontario et au Québec sont différentes, a-t-il plaidé. Quant à l’idée de déposer des procédures individuelles, MStolow estime que c’est justement pour éviter ce genre de multiplication des procédures que les actions collectives existent. Selon Me Trépanier, il faut au contraire considérer le recours Carcillo et rejeter la demande d’action collective de M. Latulippe, qui serait « une utilisation peu efficiente des ressources judiciaires ».

À sa sortie de la salle d’audience, Carl Latulippe a dit ne pas vouloir se joindre à la procédure ontarienne et a dit « préférer que son dossier soit entendu ici ». « Que les gens en parlent [des abus dans la LHJMQ], que les gens soient conscients de ce qui se passe, c’est bien », dit-il. Le juge Bouchard a mis la décision en délibéré.

Rectificatif :
L’avocat de la LJHMQ s’appelle Christian Trépanier et pas Mathieu LeBlanc-Gagnon comme dans une version précédente. Nos excuses.