Quelque part au Centre Bell, dans ses hauteurs ou au niveau de la glace, Pierre Turgeon avait l’impression que sa fille Elizabeth allait veiller sur lui, mardi soir, lors de la belle cérémonie en son honneur, au lendemain de son intronisation au Temple de la renommée du hockey.

« À un moment donné, je vais la voir », confiait-il à La Presse quelques heures avant le match, dans l’intimité de l’un des salons privés du Canadien, avant de se présenter devant les journalistes. « Ce soir, elle va être là, j’en suis convaincu… »

Elizabeth avait 18 ans, le 23 décembre 2010. Elle était membre de l’équipe féminine de hockey américaine des moins de 18 ans et allait entamer la saison suivante à l’Université du Minnesota lorsque la camionnette qu’elle conduisait a heurté de plein fouet un semi-remorque sur une route du Nouveau-Mexique enveloppée de brouillard.

Sa grande amie et coéquipière Brittany Kraemer a été gravement blessée, mais Elizabeth n’a eu aucune chance.

On a eu de la misère pendant bien des années. Encore aujourd’hui, je peux entendre une pièce de musique qui me la rappelle et je deviens émotif, mais je vis ça différemment. Je l’ai avec moi cette semaine. Elle fait partie de tout ça. C’est un membre de notre famille. Ça fait toujours quelque chose en dedans. C’est très émotif.

Pierre Turgeon

Presque une trentaine de membres de la famille du « magicien de Rouyn » l’ont accompagné à Toronto lundi soir. Environ la moitié a suivi à Montréal, dont ses deux autres filles et les petits-enfants. Dominic, son fils de 27 ans, est rentré précipitamment en Suède pour y poursuivre sa saison avec Södertälje, après plusieurs années dans la Ligue américaine au sein du club-école des Red Wings.

PHOTO COLE BURSTON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Pierre Turgeon (à gauche) a été intronisé au Temple de la renommée du hockey lundi soir.

Premier choix au total de la LNH en 1987, Pierre Turgeon a connu une carrière grandiose. Il occupe toujours le 34rang de l’histoire au chapitre des points avec 1327, dont 515 buts, en 1294 matchs, un point de plus que Gilbert Perreault, 26 de moins que Guy Lafleur.

Même s’il a disputé seulement 104 matchs chez le Canadien, en 1995 et 1996, il y a vécu les plus grands moments de sa carrière. Il a participé à la fermeture du Forum de Montréal et à l’ouverture du Centre Bell (alors appelé le Centre Molson) à titre de capitaine.

« De fermer le Forum et d’ouvrir le Centre Molson, de me retrouver dans le même amphithéâtre que Maurice Richard, Jean Béliveau et Guy Lafleur, rien ne pourra battre ça, c’est l’histoire qui s’écrivait », racontait-il quelques instants plus tard dans la salle d’interview du Centre Bell, entouré de dizaines de reporters.

PHOTO GRAHAM HUGHES, LA PRESSE CANADIENNE

Pierre Turgeon

À sa seule saison complète avec le Canadien, en 1995-1996, Turgeon a amassé 96 points, dont 38 buts. Il allait passer aux Blues de St. Louis en octobre 1996, presque un an après le départ de son grand copain Patrick Roy, pour Shayne Corson et Murray Baron dans une transaction dont le CH allait mettre plusieurs décennies à se remettre.

Turgeon venait d’être relégué au poste de troisième centre par l’entraîneur Mario Tremblay, derrière Saku Koivu et Vincent Damphousse. « C’est moi qui ai demandé à être échangé. J’avais seulement 27 ans et je n’étais pas prêt à changer de rôle. »

Il allait amasser 562 points en 355 matchs à St. Louis, avant de se joindre aux Stars de Dallas, puis à l’Avalanche du Colorado.

Pierre Turgeon a néanmoins attendu 10 ans avant de recevoir l’appel tant attendu du membre du comité de direction du Temple, l’ancien hockeyeur émérite Lanny McDonald.

Je me trouvais sur le tapis roulant, à Vegas, pour célébrer l’anniversaire de ma belle-sœur, quand le téléphone a sonné. J’ai vu l’indicatif régional 416 et je n’ai pas répondu. Ça a rappelé, rappelé et rappelé. J’ai finalement décroché et quand Lanny McDonald s’est nommé, je n’avais pas besoin d’explications…

Pierre Turgeon

Turgeon vient de connaître des journées folles, avec son intronisation au Temple de la renommée à Toronto, puis sa place au sein de l’anneau d’honneur du Centre Bell.

« Les dernières journées ont été extraordinaires, confiait-il lors de son entretien en fin de journée. Trois, quatre jours, ça passe vite. Tout ça va finir, mais j’essaie de rester le plus possible dans le moment présent. Je travaille là-dessus chaque jour. C’est ce que j’ai appris avec elle [Elizabeth]. La vie est tellement fragile. Il ne faut jamais perdre l’instant présent, même dans des moments comme ceux-là, où tout va tellement vite. J’apprécie chaque instant. »