Le choix de 3e tour du Canadien en 2022 poursuit son développement en Suisse, tout comme son compatriote David Reinbacher. L'athlète est « très intéressant », avait prévenu son entraîneur chez les Lions de Zurich, Marc Crawford. La Presse a été à même de le constater en allant à sa rencontre au sortir de l'entraînement.

(Zurich, Suisse) « Chaque fois qu’on le croise, il est soit au gym, soit en train de manger ! »

L’entraîneur-chef des Lions de Zurich, Marc Crawford, nous avait prévenu au sujet de Vinzenz Rohrer. L’espoir du Canadien mange, mange et mange encore.

Rohrer nous donne rendez-vous au restaurant du Swiss Life Arena. Il ne se doute de rien, mais on a sauvé sa santé mentale en arrivant au moment précis où Midnight in Chelsea jouait en musique de fond. Il n’aura pas à endurer l’imbuvable tube de Jon Bon Jovi.

Bref, Rohrer sort de l’entraînement, a mangé « il y a une heure et demie », mais voyant que La Presse entend casser la croûte, il se lance lui aussi. Deux pizzas sont en route.

PHOTO BEREND STETTLER \ ZSC LIONS

Vinzenz Rohrer s'aligne avec les Lions de Zurich.

L’attaquant mange parce qu’à 172 lb, sa charpente constitue la priorité. C’est même parmi les facteurs qui l’ont incité à quitter les 67 d’Ottawa, dans la Ligue junior de l’Ontario, pour poursuivre son développement chez les pros, en Europe. En fait, c’est « la principale raison ».

Les pizzas arrivent justement pendant son explication. Mahlzeit !

Ici, je peux affronter des hommes et j’ai plus de temps pour m’entraîner. En Suisse, tu dors dans ton lit tous les soirs, donc tu ne pars jamais pour cinq jours. Et le préparateur physique est très bon, les installations sont dernier cri.

Vinzenz Rohrer, choix de 3e tour du Canadien en 2022

Rohrer, choix de 3e tour du Canadien en 2022, nous fera ensuite visiter les infrastructures des Lions, où on pourra constater qu’il s’entraîne dans un environnement digne de la LNH.

PHOTO GUILLAUME LEFRANÇOIS, LA PRESSE

La salle d'entraînement des Lions de Zurich n'a rien à envier à celle d'une équipe de la LNH.

L’entraînement devrait l’aider à corriger une lacune identifiée par Crawford. « Dans plusieurs de nos mesures, comme être premier sur la rondelle et les batailles pour la rondelle, il est parmi nos meneurs, révèle-t-il. Si c’est avec ses jambes, il gagne. Mais il n’a pas développé assez de force dans ses bras, le haut du corps, donc il perd ces batailles-là. »

Français et vélo

Crawford nous avait prévenu sur un autre point : Rohrer est « très intéressant ». Le monde très conformiste du hockey peine à faire rejaillir la personnalité des joueurs. Mais celle de Rohrer ressort assez naturellement.

Elle ressort sur des détails anodins comme son moyen de transport privilégié. C’est à vélo qu’il se pointe à l’aréna tous les jours, un trajet d’une vingtaine de minutes. Un vélo électrique, précise-t-il, mais il défend son choix. « En chemin, il y a une bonne montée sur environ 500 m. Quand l’autobus nous ramène à l’aréna après un match à l’étranger, je rentre chez moi à 3 h du matin. C’est hors de question que je grimpe cette côte avec un vélo normal à cette heure-là ! »

PHOTO GUILLAUME LEFRANÇOIS, LA PRESSE

Vinzenz Rohrer compte 5 points en 18 matchs cette saison avec Zurich.

Son initiative lui vaut les moqueries de ses coéquipiers. Même son compatriote David Reinbacher est amusé. « Ça, c’est bien Vinzenz ! », lance-t-il.

« Les gars sont découragés, ils me disent de m’acheter une voiture ! », raconte Rohrer.

Il étonne également lorsqu’il affirme poursuivre ses cours de français. L’an dernier, le confrère du Droit Jean-François Plante avait mis au jour ses efforts de francisation. Et même s’il vit en Suisse allemande, il ne veut pas abandonner son projet.

Sa démarche part de l’école secondaire, où il devait choisir entre le français et l’espagnol. Conseil de sa mère, qui parle les deux : « Prends l’espagnol, c’est plus facile en tant que germanophone. »

« J’avais oublié ce bout, ma mère me l’a rappelé dernièrement. Je lui ai dit : pourquoi je parlerais espagnol ? Il n’y a pas de club de hockey espagnol. Et elle me dit : il n’y a pas de club francophone non plus. Et je lui dis : non, il y a Montréal ! Je n’aurai pas besoin d’espagnol, probablement pas du français non plus, mais je disais : il y a au moins un cas où ce serait commode ! Mais j’avais 12 ou 13 ans, l’idée de faire carrière au hockey n’était pas encore concrète. »

En semaine, les jours où il n’y a pas de match, Rohrer rencontre donc sa tutrice privée. « En arrivant ici, j’ai vu qu’on finissait nos journées vers 14 h. Que vas-tu faire du reste de ta journée ? J’ai donc demandé à l’équipe si je pouvais suivre des cours. Ils ont accepté et ils paient. »

Il a encore du chemin à parcourir. À Ottawa, ses cours portaient surtout sur l’écriture, mais il a compris qu’il a intérêt à se concentrer sur l’oral, car « je n’aurai jamais à rédiger une dissertation ! ».

« C’est difficile, toutes les règles pour prononcer les mots. En espagnol, si je vois un mot, je sais comment le prononcer. Mais en français, il y a tellement de règles. » Il cite les mots « chien » et « Autrichien », et clairement, la prononciation nasale lui donne des difficultés. « Ça sonne comme du chinois pour moi ! Je peux rouler les “r”, on le fait en allemand. Mais ce son est difficile. C’est comme le “a” et le “u” deviennent un “o”. Et la dernière lettre d’un mot, est-ce que je la prononce ? Comment suis-je censé le savoir ? »

Un projet à long terme

Rohrer compte 5 points en 18 matchs cette saison. Il est limité à une douzaine de minutes par match, mais Marc Crawford assure le projeter « dans les deux premiers trios » l’an prochain, dans ce qui sera sa dernière année de contrat à Zurich.

Le Tricolore aurait préféré qu’il demeure en Ontario. « Leur plus grosse préoccupation, ce qu’ils disaient, c’est qu’à mon âge, il faut jouer. Tu peux en faire tant que tu veux au gym, le hockey reste le hockey et si je joue cinq minutes par match, ce n’est pas mieux. La ligue ici est très bonne, l’équipe compte tant de profondeur, c’était leur plus grande inquiétude. Je ne veux pas me porter malheur, mais ça va bien jusqu’ici. »

En retournant en Europe, Rohrer devient toutefois un projet à long terme pour le CH, un avantage pour un club qui a sélectionné 29 joueurs dans les trois derniers repêchages, dans un système où les clubs sont limités à 50 contrats professionnels.

S’il était resté en Ontario, Rohrer aurait eu jusqu’en juin 2024 pour s’entendre avec Montréal. Mais maintenant qu’il évolue en Europe, le Tricolore conserve ses droits jusqu’en juin 2026. Une information qui échappait au jeune homme jusqu’à ce qu’on la lui mentionne, mais qui lui importe peu. « Que j’aie jusqu’à 2024 ou 2026, ça ne change pas grand-chose, car je dois m’améliorer. Je veux simplement aboutir dans la LNH. »