Cinq saisons complètes dans les rangs juniors. Trois repêchages sans entendre son nom. Trois invitations à des camps de la LNH. Et enfin un contrat.

Au bout du fil, Jérémie Biakabutuka parle vite… et beaucoup. Et pour cause : quelques heures plus tôt, il a apposé sa signature au bas d’une entente le liant aux Blues de St. Louis pour les trois prochaines saisons.

« Ça fait longtemps que, ma famille et moi, on travaille fort pour avoir ce contrat-là, lance tout de go le défenseur de 21 ans. C’est très émouvant. Je me sens choyé. »

Ce bout de papier, en effet, représente l’aboutissement d’une longue et patiente attente. Le colosse de 6 pi 4 po et un peu plus de 200 lb a disputé précisément 300 matchs dans la LHJMQ, séries éliminatoires comprises.

Ex-choix de premier tour des Foreurs de Val-d’Or, il était promis à un avenir florissant. La Presse l’avait d’ailleurs inclus, en janvier 2020, dans sa liste des 17 espoirs de 17 ans les plus prometteurs de la province. Il y apparaissait entre autres avec Hendrix Lapierre, Mavrik Bourque et Thomas Bordeleau, tous repêchés quelques mois plus tard par des équipes de la LNH.

Biakabutuka, lui, a attendu son tour. Une fois. Puis deux. Puis trois. Les Sharks de San Jose l’ont invité à leur camp de développement en 2020. Il en est reparti bredouille.

L’automne dernier, ce sont les Red Wings de Detroit qui l’ont invité à leur camp d’entraînement. Il a résisté aux premières coupes et a piqué la curiosité du personnel d’entraîneurs. L’organisation lui a soumis une offre pour retenir ses services, mais le jeune homme et son entourage ne l’ont pas jugée suffisamment intéressante pour l’accepter. Il a donc fait le pari d’aller disputer une cinquième et dernière campagne dans la LHJMQ.

Explosion

Jusque-là, Biakabutuka estimait avoir plus ou moins pu montrer aux recruteurs tout ce dont il était capable, se retrouvant dans des équipes matures au sein desquelles il jouait un rôle plus limité.

À Charlottetown, à 20 ans, il était soudain parmi les plus expérimentés d’un groupe jeune qui amorçait un nouveau cycle. L’entraîneur-chef Jim Hulton l’a rencontré rapidement pour lui annoncer le plan de match.

« Il m’a dit : “Tu vas jouer 30 minutes, dans toutes les situations”, raconte le défenseur. En avantage numérique, en désavantage, à quatre contre quatre, en prolongation… J’ai pu montrer toutes les facettes de mon jeu. Je pense que quand les gens ont vu ça, ça les a intéressés davantage. »

PHOTO FOURNIE PAR JÉRÉMIE BIAKABUTUKA

À Charlottetown, à 20 ans, Jérémie Biakabutuka (13) s’est retrouvé parmi les joueurs les plus expérimentés d’un groupe jeune qui amorçait un nouveau cycle.

Son explosion offensive n’a pas dû nuire : 42 points, dont 17 buts, en 56 matchs. De loin sa récolte la plus prolifique chez les juniors.

Après l’élimination éclair des Islanders, le téléphone a sonné : les Red Wings lui offraient un essai avec les Griffins de Grand Rapids, club-école de la Ligue américaine. Il y a disputé les trois premiers matchs de sa jeune carrière professionnelle.

L’expérience ne s’est pas poursuivie avec les Wings, bien nantis en défense. Mais la bonne impression qu’il a laissée a fait du chemin. Au début de l’été, les Blues l’ont invité à leur camp de développement, dans l’intention avouée de l’embaucher.

Le Longueuillois s’y est présenté avec prudence. « Dans ce monde-là, on n’est jamais sûr de rien », rappelle-t-il. On connaît toutefois la suite.

« Pas facile »

Bien que l’heure soit aux célébrations chez les Biakabutuka, Jérémie avoue que les moments de doute ont été inévitables, au cours des dernières années.

« Tant qu’on y croit jusqu’au bout, de bonnes choses peuvent arriver », philosophe-t-il, avouant néanmoins que « ça n’a pas été facile ». Il a vu des joueurs de son âge passer devant lui, sans pour autant qu’à ses yeux, ils soient meilleurs que lui. « C’est sûr que tu te demandes : pourquoi eux et pas moi ? », avoue-t-il.

Son père, « première personne qui a cru » en lui, partageait souvent son incrédulité. « Mais il me poussait et me répétait de ne pas lâcher, même quand c’était dur. »

« C’est sûr qu’il y a des frustrations. Mais il faut apprendre à gérer ses émotions, à ne pas se décourager. Même si tu es fâché, quand tu as un rêve et que tu aimes le hockey, tu te lèves chaque matin pour travailler et tu n’abandonnes pas, malgré les épreuves. »

La vie fait bien les choses.

Jérémie Biakabutuka

D’ici à son départ pour le camp des recrues à St. Louis, en septembre, le défenseur poursuivra son entraînement intensif près de chez lui à Longueuil ainsi qu’à Montréal. Le personnel des Blues a déjà communiqué avec lui pour amorcer un suivi individuel. « Je vis sur un nuage en ce moment », lance-t-il.

« J’ai été bien traité par toutes les équipes, mais quand tu es un joueur invité, tu le sens. Là, je me fais souhaiter la bienvenue dans la famille des Blues. C’est un sentiment incroyable et ça me donne une motivation de plus. Je ne veux pas laisser tomber ces gens-là ; je veux leur prouver qu’ils ont fait le bon choix. C’est vraiment tripant ! »

Au moins une saison l’attend probablement dans la Ligue américaine. Or, il attaquera tout de même le camp en visant « la grande ligue ».

« On ne sait jamais ce qui peut arriver », souligne-t-il.

Il est bien placé pour en témoigner.