« C’est un joueur très talentueux, aucun doute là-dessus. Il possède des habiletés individuelles rares et il réussit des jeux que beaucoup d’autres ne peuvent accomplir. Mais il y avait des choses qui ne nous satisfaisaient pas dans son cas et nous avons préféré un autre joueur. »

Cette citation ne provient pas de Kent Hughes, mais de son confrère des Sharks de San Jose, Mike Grier. Elle concerne évidemment Matvei Michkov, le « Connor Bedard russe », selon plusieurs observateurs, repêché au septième rang par les Flyers de Philadelphie.

Michkov deviendra peut-être une grande vedette dans la Ligue nationale de hockey. Il en a le talent. Mais les Ducks d’Anaheim, les Blue Jackets de Columbus, les Sharks, le Canadien et les Coyotes de l’Arizona ont préféré ne pas courir de risque. Et c’est leur droit.

PHOTO GEORGE WALKER IV, ASSOCIATED PRESS

Matvei Michkov

Il n’y a pas seulement la situation contractuelle dans le cas de Michkov. D’ailleurs, les Coyotes ont repêché un autre Russe avant lui au sixième rang, le défenseur Dmitry Simashev, sous contrat avec le Yaroslavl jusqu’en 2025.

L’un des recruteurs des Capitals de Washington, Andrei Nikolishin, un ancien attaquant de l’organisation entre 1996 et 2002, a même osé émettre publiquement des opinions négatives sur le jeune homme, dans une vidéo diffusée sur YouTube, une douzaine de jours avant le repêchage. Nikolishin a tenté de rejoindre le jeune homme cet hiver pour s’entretenir avec lui. « Je pourrais vous montrer notre correspondance quand j’ai voulu le rencontrer pour apprendre à le connaître. De toute ma vie, je n’ai jamais été témoin d’un aussi grand manque de respect pour autrui ».

Michkov a été à l’origine de multiples conflits avec son entourage en Russie, à l’entraînement comme dans le vestiaire. Il pouvait défier l’autorité de ses entraîneurs et refuser carrément de suivre le plan de match.

Nous vous épargnerons le reste des détails. Le jeune homme a 18 ans, vient de perdre son père tragiquement et peut toujours gagner en maturité ces prochaines années. Mais il y avait assez de drapeaux rouges dans son cas pour que cinq équipes, après le choix de Bedard à Chicago, optent pour un autre joueur.

Daniel Brière a choisi de prendre ce risque. Tant mieux si Michkov s’épanouit chez les Flyers à son arrivée en Amérique du Nord, en 2026 ou plus tard. Philadelphie entame sa reconstruction et peut se permettre de l’attendre.

Et on a déjà vu de jeunes joueurs immatures en début de carrière se transformer. « Je ne considère plus les Penguins comme mon équipe ; j’ai déjà deux bagues de la Coupe Stanley, je n’en ai pas besoin d’autres, je veux seulement de l’argent, des plages et des femmes », a déclaré Jaromir Jagr après deux saisons dans la LNH. Jagr souhaitait être échangé dans une ville où il faisait beau et chaud.

Jagr est demeuré neuf ans de plus à Pittsburgh et a connu une saison de 90 points ou plus et quatre de 100 points ou plus. À 51 ans, après avoir amassé 1921 points en carrière, il joue toujours au hockey, à Kladno, où il n’y a pas beaucoup de plages.

C’est la grâce qu’on souhaite à Brière et aux Flyers.

Comparaison boiteuse avec David Fischer

La réaction de certains fans est étonnante. Certains ont même osé faire un parallèle entre le choix du défenseur droitier David Fischer en 2006 devant Claude Giroux.

David Fischer jouait pour l’équipe de son école secondaire Apple Valley, au Minnesota, à son année d’admissibilité. L’équipe américaine ne l’avait même pas sélectionné pour le Championnat mondial des moins de 18 ans.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

David Fischer

À 18 ans, David Reinbacher était un pilier à Kloten, dans la Ligue nationale suisse. Son coéquipier depuis deux ans, le Québécois Éric Faille, 33 ans, ne tarit pas d’éloges à son endroit, dans une interview à nos collègues de RDS.

« Il a fait plus de points que Josi à sa première année dans la même ligue. C’est quand même quelque chose. C’est un joueur complet, avec une bonne première passe, des mises en échec, un flair offensif et un bon patin. David dirigeait notre jeu de puissance et il avait 18 ans. Il jouait contre des adultes de 25-30 ans. Il était rendu notre meilleur défenseur et personne ne parlait de lui en début d’année, personne ne le connaissait. Tout le monde parlait de Michkov, Fantilli, Bedard. »

Un membre de la même organisation, coéquipier, entraîneur ou directeur général, aura toujours tendance à embellir le portrait. Comme on ne verra jamais un coéquipier de Michkov à St. Petersburg ou Sotchi émettre publiquement un commentaire négatif sur celui-ci. Il n’en demeure pas moins que toute comparaison avec David Fischer est farfelue.

Les crises se suivent et se ressemblent

À pareille date ou presque l’an dernier, de nombreux fans criaient au scandale parce que le Canadien avait osé bouder le centre tant espéré, Shane Wright, au profit d’un ailier, Juraj Slafkovsky. Montréal venait de rater l’occasion de repêcher leur Patrice Bergeron, un centre que plusieurs qualifiaient de joueur le plus doué de sa génération.

Douze mois plus tard, le club junior de Wright a été balayé en quatre matchs, dans une série au cours de laquelle le jeune homme a amassé trois points. En séries éliminatoires de la Ligue américaine, Wright a obtenu 9 points en 25 matchs, dont seulement 2 buts.

Aujourd’hui, les mêmes qui reprochaient au Canadien de ne pas avoir choisi un centre parce qu’il s’agissait d’une carence au sein de l’organisation blâment l’équipe d’avoir préféré un défenseur droitier pour combler une carence à ce poste.

Et si David Reinbacher constituait le meilleur joueur disponible au cinquième rang aux yeux du CH compte tenu des inquiétudes à propos de Michkov ? Si Kent Hughes comparait le style de jeu de Ryan Leonard à celui des frères Tkachuk, deux des meilleurs attaquants de puissance de la LNH, pourquoi ne pas l’avoir choisi ? N’aurait-il pas voulu envoyer des signaux contradictoires pour brouiller les pistes ?

Les probabilités…

Un club de la LNH a une chance sur deux de mettre la main sur une vedette avec un choix situé entre le premier et le cinquième rang, selon des données internes. Ce taux chute à 20 % entre le sixième et le dixième choix.

Reinbacher sera peut-être l’éventuel partenaire de Kaiden Guhle au sein de la première paire de défenseurs, peut-être pas. S’il devient un troisième ou quatrième défenseur, il entrera dans la catégorie de l’autre 50 %. Mais il ne sera pas un vilain choix pour autant. Comme rien ne garantit à Ryan Leonard des saisons de 40 buts, ou à Zach Benson une production annuelle de 80 points.

Quand Moritz Seider a été repêché au sixième rang par les Red Wings de Detroit en 2019, avec Dylan Cozens, Trevor Zegras et Vasili Podkolzin parmi les joueurs encore disponibles, on a entendu des murmures dans la foule.

« On ne l’a pas vu venir, c’est un choc, a déclaré le commentateur à la télé. Seider a connu une très bonne saison, évidemment. Il me rappelle Brandon Carlo, même s’il est meilleur offensivement. Mais je vois exactement Brandon Carlo (le défenseur à caractère défensif des Bruins de Boston) quand je vois jouer Seider. On croyait que les premiers défenseurs seraient repêchés entre le 10e et le 20rang. »

PHOTO PAVEL GOLOVKIN, ASSOCIATED PRESS

Moritz Seider

Il ne s’agit pas ici de comparer Reinbacher à Seider. Mais méfions-nous des idées préconçues. On doutait du potentiel offensif de Seider avant le repêchage. À 20 ans, il a amassé 50 points et remporté le trophée Calder remis à la recrue par excellence. Il est déjà le défenseur numéro un à Detroit. Et on se demande aujourd’hui comment Kaapo Kakko, Kirby Dach et Alex Turcotte ont pu être repêchés avant lui.

On avait également mal réagi à Montréal en 2020 lorsque le CH a préféré un défenseur de l’Ouest, Kaiden Guhle, à l’attaquant québécois Hendrix Lapierre au 16rang. Aujourd’hui, personne ne remet en question ce choix de l’ancienne administration.

Laval, Montréal ou Kloten ?

Le Canadien n’a pas encore dévoilé ses plans concernant le développement à court terme de David Reinbacher.

Le jeune homme pourrait tenter de mériter un poste à Montréal au camp d’entraînement (il aura 19 ans en octobre, donc l’un des plus vieux joueurs de sa cuvée), poursuivre son apprentissage avec le Rocket de Laval ou disputer une autre saison à Kloten.

La Ligue américaine demeure une option intéressante puisque les Européens y sont admissibles, contrairement aux joueurs provenant des rangs juniors. Deux autres défenseurs droitiers, Simon Nemec, deuxième choix au total en 2022, et David Jiricek, sixième au total la même année, ont suivi cette voie cet hiver.

La direction de l’équipe optera peut-être aussi pour la Suisse, où Reinbacher pourra continuer à se développer à son rythme, à l’abri des murmures et des critiques. La réaction de nombreux fans depuis mercredi soir aurait de quoi faire réfléchir les gestionnaires du CH…

À ne pas manquer

  1. Alexandre Pratt est plus ou moins emballé par le travail du Canadien depuis quelques jours. Sa chronique ici.
  2. Rien ne pourra freiner l’accession de David Reinbacher, estime son directeur général en Suisse, Larry Mitchell. Simon-Olivier Lorange revient sur le choix du CH.
  3. Daniel Brière se réjouit d’avoir pu mettre la main sur Matvei Michkov au septième rang. Simon-Olivier Lorange a recueilli ses propos sur place à Nashville.