(Nashville) En février dernier, un recruteur du Canadien a demandé à Larry Mitchell, directeur général de l’EHC Kloten, en Suisse, ce qui pourrait freiner l’accession de David Reinbacher à la LNH.

Sa réponse a été rapide, sans ambiguïté : « Rien. »

Le message s’est bien rendu à Montréal. Mercredi soir, à Nashville, le défenseur est devenu le choix de premier tour du Tricolore. Son nom a été prononcé au cinquième rang, soit bien plus tôt que ce que la plupart des projections prévoyaient.

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Rencontré dans les hauteurs du Bridgestone Arena après que son protégé fut devenu un membre du CH, Mitchell a poursuivi l’anecdote. « J’ai dit au recruteur que j’étais certain qu’il allait jouer dans la LNH, mais sans pouvoir prédire quand. Ensuite, il a regardé quelques matchs et quelques entraînements. On a pris un café, et il m’a avoué qu’il était d’accord. Il avait vu la même chose. »

Toute la direction montréalaise est arrivée à la même conclusion. Car au cinquième échelon, l’attaquant Matvei Michkov était encore disponible. L’organisation a toutefois jeté son dévolu sur Reinbacher, dont le nom était lié à celui du Canadien depuis un moment déjà. Kent Hughes, directeur général, l’a même décrit comme un « diamant brut qui a encore beaucoup de potentiel ».

L’Autrichien est reconnu pour son calme en possession de la rondelle et pour son coup de patin hors pair. Fiable en couverture dans sa zone, il a éclos offensivement au cours de la dernière saison en première division suisse, inscrivant 22 points en 46 matchs. Certains modèles analytiques voient en lui la plus grande vedette en défense à arriver de ce pays depuis Roman Josi. Heureux hasard, le capitaine des Predators de Nashville est justement l’idole de Reinbacher, qui a avoué avoir eu les larmes aux yeux en le croisant à l’aréna mercredi soir.

Posé et franc devant l’armée de journalistes québécois autour de lui, il a souligné à quel point un « sentiment incroyable » l’habitait. « Je peine encore à y croire ! », a-t-il lancé.

Il ne s’attendait pas à être sélectionné si tôt, a-t-il avoué, encore que sa dernière rencontre avec les membres de l’état-major du CH, mardi, lui avait laissé l’impression qu’il était leur homme.

Ascension

Le jeune homme a connu, au cours de la dernière année, une ascension exceptionnelle. À Kloten, il n’était pas destiné à jouer en avantage numérique. Il est rapidement devenu le quart-arrière sur la première vague d’attaque massive. Son entraîneur, Jeff Tomlinson, a confirmé qu’il avait « dépassé toutes les attentes » fondées sur lui, sans pourtant être particulièrement spectaculaire sur la patinoire.

« C’est un gars qui garde les choses simples et qui crée de l’attaque de cette manière, a détaillé Tomlinson. Il présente des atouts dans toutes les facettes de son jeu. » À sa première saison en division 1, a fortiori dans l’une des ligues les plus rapides d’Europe, « il a très bien géré les situations sous pression », a poursuivi l’entraîneur, qui croit que son poulain saura transposer ces performances sur une patinoire nord-américaine.

Kent Hughes, lui, a vanté « son intelligence défensive très, très élevée ».

Il est très bon défensivement, il a une longue portée. Et il transporte bien la rondelle. Ses prises de décision en sortie de zone sont super bonnes. On voit son sens du jeu.

Kent Hughes, directeur général du Canadien

Il est perçu « probablement comme un deuxième défenseur », mais on ne semble pas s’attendre à ce qu’il pilote un premier avantage numérique dans la LNH.

À 6 pi 2 po et 194 lb, il devra par ailleurs gagner du muscle.

L’impression qu’il a laissée en entrevue avec la direction a aussi pesé lourd dans la balance. Hughes a apprécié son humilité et sa volonté évidente de « mettre ses bottes pour travailler et nous aider à gagner la Coupe Stanley ».

Confiant sans être exubérant, Reinbacher a assuré que le marché montréalais ne l’effrayait pas du tout. Il espère atteindre la LNH le plus tôt possible, mais ne semble pas se formaliser de la perspective de retourner en Suisse pour y disputer une dernière saison. Il pourrait aussi se joindre au Rocket de Laval, dans la Ligue américaine. Le Tricolore n’a pas de plan établi pour l’instant à cet égard.

Invité à dire ce qu’il connaissait du Canadien, le jeune homme a énuméré les noms de quelques attaquants – Juraj Slafkovsky, Cole Caufield, Nick Suzuki – et d’un défenseur, Lane Hutson, qui n’a pourtant encore jamais joué dans la LNH.

« Il a marqué un beau but contre nous au Championnat mondial, a rappelé l’Autrichien en souriant. J’ai hâte de le rencontrer. »

Priorité

Si le choix hâtif de Reinbacher a causé une certaine surprise dans le public et chez les observateurs de la LNH, Kent Hughes n’a laissé aucun doute sur les intentions du Canadien. C’était bien son nom qui était en tête de liste pour le cinquième rang.

Plusieurs équipes ont tenté de gagner des échelons au premier tour et ont fait des offres pour obtenir le choix du CH. En fin de journée, mercredi, Hughes a toutefois consulté son groupe de recruteurs, et il a été décidé que l’équipe utiliserait son choix pour obtenir le défenseur. Les Coyotes de l’Arizona et les Flyers de Philadelphie, entre autres, l’avaient en haute estime.

Choisir Reinbacher, c’était néanmoins faire l’impasse sur Matvei Michkov, attaquant russe aux qualités offensives indéniables, mais que le Canadien n’avait jamais eu la chance de voir jouer en personne.

Matvei Michkov à Philadelphie, Daniel Brière aux anges

« Il y a tellement de facteurs qui entrent en ligne de compte, a expliqué Hughes. Je crois beaucoup à la vidéo, mais il n’y a pas que ça. On ne l’a pas vu jouer. »

Le DG a insisté sur un point : il a choisi le meilleur joueur possible selon l’évaluation de son équipe, sans égard à la position. Le fait que Reinbacher soit un défenseur droitier, une rareté dans le bassin d’espoirs du club, est perçu comme un boni.

C’est la troisième fois en quatre ans que le CH repêche un défenseur au premier tour. En 2020, l’équipe avait réclamé Kaiden Guhle au 16rang, tandis qu’en 2021, au 31rang, Montréal avait créé la commotion en sélectionnant Logan Mailloux. Guhle vient de passer la saison en entier avec le grand club, tandis que Mailloux devrait théoriquement amorcer sa carrière professionnelle l’automne prochain.

Reinbacher est le défenseur repêché le plus tôt dans l’histoire du Canadien, à égalité avec Petr Svoboda, en 1984, et Pierre Bouchard, en 1965.

Le faux pas de Carey

L’annonce de la sélection de Reinbacher par le Canadien a donné lieu au moment le plus cocasse de la soirée. À l’invitation de Hughes, Carey Price s’est avancé au micro. Il a salué la foule et prononcé le prénom « David ». Il a alors figé, ayant visiblement oublié le nom de famille de Reinbacher. La foule a commencé à s’animer, et après d’interminables secondes, le DG l’a finalement sorti de sa misère. « C’était embarrassant. Désolé, David… Reinbacher ! », a par la suite écrit le gardien sur Twitter, ajoutant des émojis qui confirmaient son autodérision. Kent Hughes a raconté avoir dit à Price qu’il n’avait pas à se sentir mal, puisque le jeune défenseur, lui, se souviendrait probablement davantage de sa sélection que de l’incident.