Loin d’être découragé par le rejet de l’action collective qu’il souhaitait exercer avec deux autres anciens joueurs de la Ligue canadienne de hockey (LCH) pour dénoncer les gestes d’abus sordides qui y ont été commis au fil des ans, Daniel Carcillo estime qu’il s’agit d’un premier pas pour les victimes.

« Ce que je veux dire à toutes les victimes, c’est qu’il y aura des comptes à rendre et que vous pourrez raconter votre histoire, ce qui, je pense, est la première étape vers la guérison », a déclaré l’ancien joueur de la Ligue nationale de hockey, en fixant la caméra, sur le plateau de l’émission Tout le monde en parle, dimanche soir.

Il s’y trouvait pour commenter le rejet, le 3 février dernier, d’une demande d’action collective déposée par lui et deux autres anciens joueurs de la LCH, en juin 2020 au nom des 15 000 autres ayant été associés, depuis 50 ans, à l’une ou l’autre des 60 équipes de la Ligue junior de l’Ouest (WHL), de la Ligue junior de l’Ontario (OHL) ou de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ).

Bâtons de hockey insérés dans l’anus, mutilation de parties génitales, victimes aspergées d’urine ou forcées de se lancer des excréments, séances répétées d’humiliation : les gestes présumément commis à l’endroit des plus jeunes joueurs de ces circuits lors d’initiations ont révolté le public et les autorités⁠1.

Des gestes « dont ont été témoins » des joueurs, entraîneurs ou gestionnaires d’équipes juniors canadiennes, ou qui ont été « encouragés, négligés, tolérés, camouflés ou, de manière lâche et irresponsable, ignorés » par ces personnes, rappelle le magistrat Paul Perell.

« Ce n’est que la pointe de l’iceberg », estime Daniel Carcillo, qui s’attend à voir d’autres victimes sortir de l’ombre pour faire état des supplices subis durant ces séances d’initiation de certaines équipes de la LCH.

Tout en précisant qu’il ne pouvait en dévoiler davantage dimanche soir, Daniel Carcillo a dit s’attendre à ce que soit mise en place une « procédure » pour permettre aux victimes « de se manifester de manière anonyme ou d’être entendues par un tribunal ».

Rappelons que dans sa décision de rejeter l’action collective des demandeurs, le juge Perell a toutefois statué que si l’ensemble des défendeurs ne pouvaient être poursuivis comme une entité unique pour sa « négligence systémique », chacune des organisations et des ligues peut l’être individuellement.

Une crise de panique

C’est après avoir lu un article paru il y a trois ans sur des abus subis par des joueurs du collège St.  Michael’s, à Toronto, que Daniel Carcillo a réalisé l’ampleur des sévices dont il avait lui-même été victime dans les rangs juniors.

« J’ai eu ce qu’on pourrait appeler une crise de panique. Avant cela, je n’avais jamais vraiment pensé à ce que nous avions dû endurer cette saison-là, quand j’avais 16 ans », s’est-il remémoré.

Selon lui, la culture de l’excellence et le désir très fort des joueurs juniors d’être repêchés dans la Ligue nationale de hockey (LNH) expliquent en partie la culture du silence qui règne dans le domaine.

« Si vous dites quelque chose, si vous parlez, si vous devenez un problème, vous ne serez jamais recruté », affirme-t-il en ajoutant qu’une fois qu’on a subi ces abus, « il est très facile de [les] transmettre ».

Des problèmes relationnels

D’ailleurs, Daniel Carcillo ne s’est pas défilé lorsqu’est venu le temps de répondre aux questions de l’animateur Guy A. Lepage quant aux gestes qu’il a ensuite commis plus tard dans sa vie.

« J’avais des problèmes relationnels et j’aimais vraiment blesser les gens sur la glace. Ma colère et mon agressivité se sont manifestées de nombreuses manières différentes », a-t-il raconté.

Le fait qu’il ait pu bénéficier de séances de thérapie à l’âge de 25 ans a toutefois contribué à sa guérison, dit-il, ajoutant qu’il souhaite la même chose « pour les autres victimes ». « C’est donc une grande raison pour laquelle nous faisons ça », a-t-il affirmé au sujet de l’action collective déposée par Garrett Taylor et lui. À noter, Stephen Quirk, qui a évolué dans la LHJMQ de 1995 à 1998 avec les Alpines de Moncton (devenus les Wildcats) et les Mooseheads d’Halifax, s’est plus tard ajouté au nombre des plaignants principaux.

PHOTO GERRY BROOME, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Daniel Carcillo a avoué que sa colère et son agressivité « se sont manifestées de nombreuses manières différentes » sur la glace. On voit ici le joueur en 2010, lors d'un combat contre Tom Kostopoulos.

Même dans les rangs juniors, il arrivait à Daniel Carcillo d’être abusif « verbalement [et] émotionnellement », mais « jamais physiquement ou sexuellement de la même façon qu’on l’a été envers [lui] ».

Il doute aujourd’hui que les hauts responsables de la LCH, dont le commissaire de la Ligue de hockey junior majeur du Québec, Gilles Courteau, pouvaient ignorer la nature sordide des initiations ayant lieu au sein de certaines équipes de leur circuit.

Daniel Carcillo prend notamment pour exemple le fait que la LCH a mis 14 mois avant de rendre public, en janvier dernier, un rapport qu’elle avait commandé selon lequel l’intimidation, le harcèlement et la discrimination y existent et que l’inconduite à l’extérieur de la patinoire y est une « norme culturelle »2.

« Donc, c’est difficile pour moi de croire que les hauts responsables ne savaient pas ou ne comprenaient pas », a-t-il déclaré dimanche soir.

1. Lisez « Un juge décrit des gestes sordides dans le hockey junior canadien » 2. Lisez « L’inconduite à l’extérieur de la patinoire serait “une norme culturelle” »