(Trois-Rivières) Lorsque Cam Hillis est entré dans le bureau de son entraîneur, en octobre dernier, il n’en menait pas large.

L’Ontarien de 21 ans venait d’être retranché par le Rocket de Laval, et ce, même s’il avait passé toute la saison précédente dans la Ligue américaine. Pour cet espoir du Canadien, repêché au troisième tour en 2018, se présenter chez les Lions de Trois-Rivières, dans l’ECHL, était sans conteste un recul.

Éric Bélanger, entraîneur-chef des Lions, se rappelle avoir fait la connaissance d’un « gars qui n’avait plus de confiance, qui ne savait plus ce qui se passait ».

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Éric Bélanger, entraîneur-chef des Lions

Il était complètement dépassé… Il a fallu l’aider à se reconstruire mentalement, à rebâtir sa confiance.

Éric Bélanger, entraîneur-chef des Lions

Le lendemain de l’arrivée d’Hillis dans le chef-lieu de la Mauricie, La Presse avait succinctement discuté avec le joueur de centre dans le cadre d’un reportage sur le début de saison des Lions… avec la même perception que celle décrite par Bélanger.

Or, c’est un tout autre homme qui s’est présenté en entrevue, mercredi dernier, à quelques heures d’un duel contre les Mariners du Maine au Colisée Vidéotron de Trois-Rivières.

« Je me sens super bien ! a lancé d’emblée Hillis en souriant. Je pense que j’ai gagné en maturité. L’année a été assez folle, mais j’essaie de travailler fort et de grandir chaque jour. C’est tout ce que je contrôle. »

Année folle

L’année folle dont il parle n’est pas une figure de style. Quelques mois après avoir signé son premier contrat professionnel avec le Tricolore, Hillis a fait ses débuts avec le Rocket il y a un an. Son adaptation à ce niveau n’a pas été aisée : on l’a envoyé seulement 18 fois dans la mêlée et il n’a obtenu qu’un point (un but). Une cassure nette pour celui qui avait inscrit 83 points en 64 matchs à sa dernière saison avec le Storm de Guelph, dans la Ligue junior de l’Ontario (OHL).

Or, il était « coincé » dans la Ligue américaine. Il avait l’âge pour être cédé à son club junior, mais la campagne 2020-2021 de l’OHL a été annulée en raison de la pandémie de COVID-19. En outre, la saison dernière, le Canadien n’avait pas de filiale dans l’ECHL. Optimiste, Hillis avait néanmoins parlé d’une « bonne expérience d’apprentissage » au bilan de fin de saison.

On comprend donc mieux sa déception d’octobre dernier de se retrouver à Trois-Rivières. Il n’empêche qu’en novembre, alors que le Rocket commençait à perdre des joueurs au profit du Canadien, il s’est retrouvé à Laval et y a connu un certain succès : 4 points en 8 matchs.

Le 27 décembre, alors que la COVID-19 ravageait les vestiaires de la LNH et que les escouades de réserve avaient été ressuscitées, c’est le CH qui l’a appelé en renfort. Accueilli par Nick Suzuki, son ex-coéquipier à Guelph, de même que par Michael Pezzetta et les nombreux joueurs du Rocket à Montréal, il a accompagné l’équipe sur la route sans savoir s’il allait jouer. On a fait appel à lui le 1er janvier.

La défaite de 5-2 aurait pu être écrite à l’avance : seulement 16 patineurs du CH, au lieu de 18, ont pris part à cette rencontre contre les Panthers de la Floride. Or, de l’avis général, Hillis s’en est plutôt bien tiré, dans ces circonstances, en 10 min 15 s passées sur la glace.

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L’espoir du Canadien Cam Hillis évolue aujourd’hui avec les Lions de Trois-Rivières dans l’ECHL.

C’était incroyable. J’ai encore beaucoup de choses à apprendre, mais de me retrouver avec ces gars-là, ç’a été une grosse dose de confiance.

Cam Hillis

Alors que c’est souvent la vitesse qui est considérée comme le principal facteur de différenciation entre les ligues, Hillis évoque plutôt la qualité de l’exécution. « Tout est tellement net dans la LNH, tu n’as pas droit à l’erreur. »

Case départ

L’expérience, quoique succincte, s’est un peu terminée en queue de poisson : au début du mois de janvier, Hillis a été soumis au protocole de la COVID-19 de la LNH et, après avoir terminé son isolement, il a été envoyé chez le Rocket, puis chez les Lions. Retour à la case départ, en quelque sorte.

L’attaquant n’a pas cherché à masquer son mécontentement. Ce n’est pas passé inaperçu : après deux rencontres, Éric Bélanger l’a envoyé réfléchir dans les gradins.

« Je n’aimais pas son langage corporel, son implication. Je voulais lui lancer un message », explique l’entraîneur, qui refuse toutefois de blâmer son joueur. « C’est dans la nature humaine d’être déçu, le contraire ne serait pas normal. » Avec lui, il a passé en revue des extraits vidéo des matchs depuis son retour.

Ce qui importait à Éric Bélanger, c’était la manière de réagir d’Hillis. Et la réponse a été la bonne. Pendant un court congé qui a suivi, le jeune homme lui a écrit pour lui dire qu’il avait encore regardé ses matchs et qu’il lui donnait raison.

« Il y a beaucoup de joueurs dont ce n’est jamais la faute, poursuit Bélanger. Lui a montré de l’autocritique. Ça me parle beaucoup. Il est revenu dans la formation et il a bien fait. »

Hillis a en effet enchaîné avec quatre points en cinq rencontres.

La bonne façon

Cela étant, la production offensive du joueur de centre n’émeut que très peu Éric Bélanger.

« Les joueurs pensent qu’ils doivent faire 10 points en 4 matchs pour être rappelés dans la Ligue américaine, dit-il. Ce n’est pas ça. Si tu es bon en défense, pour écouler des punitions, dans ton positionnement ou dans les mises au jeu, le reste va suivre. Cam a joué de la bonne façon. Et ça lui a donné des points. »

Selon lui, Hillis doit encore définir son « identité » comme joueur. Car ce ne sont ni son gabarit – 5 pi 9 po et 175 lb – ni son tir « correct » qui vont décider pour lui, encore qu’il soit doté d’une bonne vitesse.

Le principal intéressé est d’accord. La fiabilité « dans les deux sens de la patinoire » pointe très haut dans sa liste de priorités. La « polyvalence » aussi.

Alors que du mouvement de personnel pourrait avoir lieu chez le Canadien d’ici la date limite des transactions, le 21 mars, il ne sait pas trop ce que l’avenir à court terme lui réserve. Dimanche, il a de nouveau été rappelé par le Rocket de Laval.

« Je ne m’en fais pas, assure-t-il. Je suis bien ici, je garde ma confiance et je me concentre sur ce que je peux améliorer. »

Surtout pour lui, et surtout cette année, si la confiance est là, c’est déjà un immense gain.

Immersion française

Cam Hillis se retrouve par ailleurs dans une situation inusitée au hockey professionnel : il est le seul non-francophone dans la formation des Lions ! Ne comptez toutefois pas sur lui pour s’en plaindre. Les entraîneurs passent à l’anglais pour des éléments spécifiques à l’entraînement. Et, surtout, il affirme comprendre la « majeure partie » de ce qu’il entend autour de lui, héritage d’une immersion française qu’il a vécue à l’école secondaire. Ses coéquipiers ne peuvent donc pas parler de lui dans son dos, « je les ai prévenus ! », dit-il en riant. Il affirme parler « un peu » la langue de Charles Tisseyre, mais sans doute pas suffisamment pour soutenir une conversation. Éric Bélanger confirme que son intégration au groupe est « excellente ».

La tempête parfaite des Lions

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Éric Bélanger, entraîneur-chef des Lions de Trois-Rivières

Lorsque le Canadien de Montréal manque de joueurs, il se tourne vers le Rocket de Laval, de la Ligue américaine. Lorsque le Rocket manque de joueurs, il se tourne vers les Lions de Trois-Rivières, de l’ECHL. Mais lorsque les Lions manquent de joueurs… il leur faut user d’imagination !

Cette saison, toutes positions confondues, 39 joueurs ont disputé au moins un match avec le Tricolore. Le Rocket en a employé 38. Les Lions, 49.

C’est ici que nous rappelons, pour celles et ceux qui ne le sauraient pas encore, que les règlements de l’ECHL prévoient une formation à 10 attaquants en uniforme par match au lieu de 12. Cela ajoute à la démesure des 49 joueurs qui ont porté l’uniforme bleu et blanc jusqu’ici.

Les blessures et les cas de COVID-19 à Montréal et à Laval ont bien sûr eu des conséquences directes sur l’effectif des Lions. Mais l’équipe a aussi dû composer avec ses propres problèmes lorsque le virus s’est invité dans son vestiaire pendant les Fêtes. Les joueurs comme les employés du club ont été atteints.

Résultat : faute de personnel en bonne santé, le coordonnateur aux communications, Gabriel Leblanc, s’est improvisé gérant de l’équipement pendant son voyage au Maine à la fin du mois de décembre. C’est aussi lui qui faisait passer les tests de dépistage de la COVID-19 aux joueurs.

Au début de la saison, l’entraîneur-chef Éric Bélanger s’amusait en racontant qu’il devait ajouter toutes sortes de tâches connexes à son emploi, puisque les Lions amorçaient la première saison de leur histoire dans un aréna flambant neuf. À l’époque, il riait du fait qu’il s’était rendu chez Walmart et chez Bureau en gros pour acheter du matériel destiné aux bureaux et au vestiaire. Le voilà toutefois « quasiment rendu à aiguiser les patins ! »

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Les Lions à l’entraînement, en octobre dernier

D’un naturel jovial, le vétéran de 12 saisons dans la LNH préfère affronter la situation avec le sourire. Mais il n’en demeure pas moins que pour ses adjoints et pour lui, les portes tournantes ont représenté un défi de taille.

Je ne sais pas combien de fois, cinq minutes avant l’entraînement, je passais de sept à quatre défenseurs. Les trios changent tout le temps, je ne suis pas sûr que j’ai eu le même avantage numérique plus que trois ou quatre matchs. Ce n’est pas évident.

Éric Bélanger, entraîneur-chef des Lions de Trois-Rivières

Le 31 décembre, contre les Mariners du Maine, il comptait sur huit remplaçants dans sa formation. « Tu ne peux pas toujours faire des miracles », dit-il.

Remplaçants

L’ECHL est, pour simplifier, le plus bas niveau de hockey professionnel en Amérique du Nord. Il n’y a donc pas officiellement de ligue « sous » elle qui puisse lui fournir des joueurs par le truchement d’une filiale désignée.

Le directeur général des Lions, Marc-André Bergeron, s’est donc tourné vers la Ligue nord-américaine de hockey (LNAH) pour trouver des remplaçants au pied levé. La ligue semi-professionnelle est à l’arrêt depuis la mi-décembre et ne reprend que ces jours-ci ses activités.

On a d’abord communiqué avec les propriétaires et les directeurs généraux des équipes, puis on s’en est remis au bon vieux bouche-à-oreille, avec l’aide notamment des joueurs déjà dépêchés d’urgence.

Plusieurs joueurs de la LNAH « ont un excellent CV de hockey », souligne Marc-André Bergeron. Nombreux sont ceux qui ont goûté au hockey professionnel et qui sont aujourd’hui « ailleurs dans leur vie ». Le DG souligne que les Lions sont chanceux, dans le contexte actuel, d’avoir la LNAH dans leur cour, alors que les clubs américains de l’ECHL puisent plutôt dans la SPHL, un circuit de calibre inférieur. « Ça nous aide à mieux performer. »

En prenant la direction des Lions, Bergeron était conscient que cette ligue, avec ses « façons de faire un peu originales », impliquait de chercher souvent de nouveaux joueurs. Alors en cette saison hors de l’ordinaire, « on a été originaux ! », s’exclame l’ancien défenseur. Lui-même affirme tirer de nombreux apprentissages de cette première saison. Et il se dit « fier de [sa] gang » – son personnel qui a dû être si imaginatif et flexible.

Il mentionne notamment son entraîneur Éric Bélanger ainsi que son adjoint Pascal Rhéaume qui, à chaque arrivée de nouveaux joueurs, devaient passer en revue le système de jeu de manière accélérée avant de les envoyer en situation de match. Le résultat a été surprenant : depuis le 15 décembre, l’équipe a compilé une fiche de 6-4-3 et conservé sa bonne posture au classement.

Bélanger lui-même ajoute avoir appris à se « virer sur un 10 cents ». Mais il ne cache pas qu’il « rêve d’un peu de calme ».

La situation semble justement se stabiliser à Montréal et à Laval, ce qui pourrait momentanément exaucer son vœu. Jusqu’à la prochaine tempête, en tout cas.