Une équipe qui procède à un grand ménage en profite généralement pour changer aussi d’approche.

Prenez le Canadien de 2012. L’ancien DG était Pierre Gauthier, diplômé d’universités américaines, recruteur de métier, discret socialement, bâti comme Billy Tellier, qui appelait ses joueurs « Monsieur ». Son remplaçant : Marc Bergevin, un gars de Pointe-Saint-Charles, 1000 matchs dans la LNH, les biceps de Dino Bravo, doté d’un bon sens de l’humour, qui parlait de « Donnie » Meehan, de « Kenny » Holland et de « Gally », « Eddie » et « Ty » (dans l’ordre, Brendan Gallagher, Joel Edmundson et Tyler Toffoli).

L’ère Bergevin est maintenant derrière nous, et l’arrivée de Jeff Gorton amènera visiblement un changement de culture sur certains aspects. Le nouveau vice-président aux opérations hockey du Canadien a annoncé ses couleurs dès la deuxième réponse de son point de presse de 30 minutes, vendredi.

Regardez les autres équipes pour lesquelles j’ai travaillé. On voudra être rapides et talentueux. On devra travailler sur le développement des joueurs. J’aimerais aussi ajouter des ressources en statistiques avancées.

Jeff Gorton, vice-président aux opérations hockey du Canadien

Au sujet de la vitesse, l’attitude de Bergevin a évolué au cours de son mandat. Il a eu ses périodes où il la valorisait (quand il a acquis Jeff Petry, Paul Byron et Torrey Mitchell, par exemple), mais ces dernières années, il penchait beaucoup plus pour la lourdeur, avec notamment Edmundson, Ben Chiarot et Eric Staal.

Le développement des joueurs était clairement une des faiblesses de Bergevin, mais c’est autre chose que de dire que c’était le résultat d’un manque d’intérêt de sa part. Il suffisait d’interviewer les espoirs pour constater qu’ils étaient en contact régulier avec des membres de l’organisation, principalement Rob Ramage et Francis Bouillon, mais aussi Martin Lapointe et Scott Mellanby.

« C’est important d’être en contact avec [nos espoirs] au quotidien, pour parler de leur jeu, de leur alimentation, a détaillé Gorton. Il faut regarder tout ce qu’on peut leur offrir. Du moment qu’on les repêche jusqu’à la LNH, on peut faire un meilleur travail pour former ces jeunes et en faire des hommes. »

On devine que Bergevin aurait pu tenir les mêmes propos. Seulement, Gorton semble déterminé à y investir plus de ressources.

Peu de cueillette de données

Mais le passage sur les statistiques avancées était particulièrement rafraîchissant pour quiconque a suivi de près le règne de Bergevin. Chaque fois que l’ancien DG en parlait, il s’empressait d’ajouter un « mais ». Prenez ce qu’il disait à notre confrère Alexandre Pratt en 2019.

« Pendant les conflits en Irak et en Afghanistan, tu envoies des drones. Ils vont prendre des photos. Te donner de l’information. Mais à la fin de la journée, ça te prend aussi des bottes sur le terrain. Au hockey, on va [étudier] les statistiques. Mais ça prend aussi des dépisteurs », expliquait-il.

Lisez la chronique « Comment le Canadien utilise les statistiques avancées »

Sous Bergevin, la cueillette de données pour les statistiques avancées était quelque peu bancale. À l’interne, on collectait quelques données, principalement les chances de marquer et les batailles individuelles pour la rondelle. Le travail était fait par l’entraîneur responsable de la vidéo, Mario Leblanc. Pour le reste, on s’en remettait à Sportlogiq, mais le Canadien n’est qu’une des nombreuses équipes avec lesquelles cette firme montréalaise fait affaire.

Pendant un certain temps, l’équipe avait cependant fait affaire avec un consultant externe, Matt Pfeffer, dont le contrat n’a pas été renouvelé à l’été 2016. Quelques jours avant la fin de son mandat, Pfeffer avait livré un fort plaidoyer à la défense de P.K. Subban, plaidoyer qui n’a pas été retenu puisque Subban a été échangé contre Shea Weber.

Cela dit, Bergevin n’avait pas tout faux pour autant. On l’a dit et redit : son service du recrutement professionnel a su repérer des joueurs sous-utilisés au fil des ans, de Byron à Chiarot, en passant par Tomas Tatar. Mais quand c’était lui qui analysait, l’instinct prenait vite le dessus. « Après quelques shifts, je peux te dire les forces et les faiblesses d’un joueur », racontait-il dans l’entrevue citée ci-dessus.

Un historique

Le profil de Gorton est aux antipodes de celui de Bergevin. Décrit comme calme et posé, il n’a jamais joué au hockey à un haut niveau. Son premier accès à la LNH, il l’a eu à la faveur d’un stage en relations publiques avec les Bruins de Boston, en 1992.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Marc Bergevin

« Il était à l’aise avec les ordinateurs, ce qui était rare à l’époque. Harry Sinden a réalisé qu’il avait quelqu’un de spécial entre les mains », nous racontait la semaine dernière une source consultée pour un portrait de Gorton.

Les journalistes étaient limités à une question chacun lors du point de presse de vendredi, si bien qu’il était difficile d’entrer dans les détails. Par contre, en août dernier, le Bostonien était invité à l’émission balado The Cam & Strick, où il avait donné une meilleure idée de son apport aux Bruins. La cueillette d’information était manifestement au cœur de sa démarche.

« J’ai commencé à faire de la vidéo, de même que des statistiques pour nos joueurs qui allaient en arbitrage salarial. Les dépisteurs m’emmenaient avec eux, je filmais les matchs, je les analysais et on se montait une bibliothèque vidéo », avait-il expliqué.

Écoutez la balado Sortie de zone

En point de presse, Gorton a été relancé sur l’utilisation de données plus poussées. « On a besoin de mieux bâtir notre service des statistiques avancées, de le moderniser. Je crois en ces statistiques. À voir là où le hockey s’en va, c’est de l’information importante. J’aimerais donc assembler une équipe pour s’y attaquer. » Une telle démarche irait de pair avec ce qu’il avait développé chez les Rangers, où il avait établi une équipe maison de quatre personnes affectées à la cueillette de données.

Ce n’est là qu’un début. On ne connaît pas encore le groupe qui entourera le nouveau patron des opérations hockey, à commencer par son directeur général. Il doit aussi nommer un nouveau recruteur-chef ; il faudra peut-être attendre quelques mois avant d’en connaître l’identité, puisqu’il a refusé d’avancer une date limite pour son embauche.

À son arrivée en poste, Bergevin avait retenu les services de Trevor Timmins, et il lui a même offert une promotion comme adjoint au directeur général en cours de mandat.

Là aussi, il y aura changement de culture.