Vendredi matin, les Stars du Texas tiennent leur entraînement habituel de jour de match.

Le sujet de discussion dans le vestiaire du club-école des Stars de Dallas ? Zachary Fucale, auteur d’un jeu blanc de 2-0 avec les Capitals de Washington, la veille. À son tout premier match dans la LNH. À 26 ans. Huit ans après avoir été repêché.

« On a des gars qui ont joué avec lui. Curtis McKenzie, notre capitaine, a joué avec lui un an avec les Wolves de Chicago. Quand ça fait six ou sept ans que tu es pro, il y a toujours quelqu’un qui te connaît », nous raconte Jérémy Grégoire, attaquant des Stars et grand ami de Fucale.

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Jérémy Grégoire

Quand on dit grand ami… Grégoire venait justement de raccrocher sur FaceTime avec Fucale quand il a répondu à l’appel de La Presse. « Il ne savait pas trop ce qui l’avait frappé et il était bouche bée. Ça en dit long ! », lance Grégoire, en riant.

Grégoire riait parce qu’en tant qu’ancien colocataire de Fucale, il sait que son ami peut être bavard.

« Le nombre de messages qu’il a reçus de gars qui ont joué cinq matchs avec lui… Il se rend compte que son énergie contagieuse a touché beaucoup de gens. »

Le passage difficile

Mais en tant qu’ancien coloc, Grégoire sait aussi que Fucale en a bavé avant de se rendre là. Choix de deuxième tour du Canadien, tout premier gardien repêché lors de la séance de 2013, champion de la Coupe Memorial, le Québécois a connu une grande carrière junior, mais s’est vite heurté à un mur à son arrivée chez les pros. Après une première saison complète avec les IceCaps dans la Ligue américaine (AHL), Fucale s’est mis à faire la navette entre l’AHL et l’ECHL.

« Zach ne l’a pas eu facile à Montréal. Plusieurs fois, il aurait pu ramasser son stock et tout arrêter, rappelle Grégoire. J’étais aux premières loges. J’étais dans son condo à Laval quand il partait à Brampton pour jouer dans l’ECHL. C’était dur pour l’ego. »

Le père de Fucale, Jack, est moins diplomate. « Ils lui ont tout enlevé sa confiance, a-t-il confié, de passage au micro de la balado du 98,5 FM et de La Presse, Sortie de zone. Ils ont fait zéro de ça, zéro. J’aime mieux ne pas aller là. Zach va super bien, c’est ça qui est important. Le passé, c’est le passé. On va dire que c’est le parcours qu’il devait faire. »

Le point culminant des difficiles années avec le Canadien est certainement survenu le 6 mars 2018. L’équipe est alors larguée de la course aux séries, Carey Price est blessé, et Antti Niemi vient de tomber au combat, ce qui force le rappel d’urgence de Fucale.

Charlie Lindgren obtient le départ, mais les Devils mènent 4-0 après 20 minutes, 6-2 après deux périodes. Tous s’attendaient à voir Fucale en relève, mais Lindgren termine la rencontre. Après le match, Claude Julien explique qu’il souhaitait que Lindgren se sorte de l’adversité « plutôt que de lui donner la sortie facile en le retirant du match ».

« C’est sûr qu’il aurait aimé jouer ! Mais il n’en voulait pas à l’organisation non plus, souligne Olivier Gervais, ami proche et associé de Fucale dans son projet Living Sisu, de même qu’à l’école de gardiens Paramount. Je pense que tout le Québec était déçu ce soir-là, mais Zach était resté positif. Il a pris ça de façon constructive. »

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Zachary Fucale (au centre) et Olivier Gervais (à droite complètement)

« Il a pris ça avec un grain de sel, se souvient Grégoire. Il s’est dit : “Je ne suis pas rentré parce qu’il me reste des choses à travailler.” Il a toujours voulu le mériter, au lieu de rentrer par charité.

« L’an passé, il a eu la meilleure moyenne de la Ligue américaine [1,80]. Et là, il connaissait un bon début de saison dans la Ligue américaine. Il l’a mérité. »

Un contrat et un rappel

Après trois ans dans l’organisation du CH, Fucale s’est mis à se promener. Des contrats avec l’organisation des Golden Knights, puis celle du Lightning, contrats pendant lesquels il jouera davantage en ECHL que dans la Ligue américaine. Puis, tout juste avant la pandémie, il s’exile en Allemagne à titre de troisième gardien. Ne cherchez pas ça dans sa page HockeyDB ; il n’a finalement pas eu le temps de jouer avant que tout soit annulé.

« Il disait qu’il pensait faire le saut de l’autre bord [en Europe] », nous dit Olivier Gervais. Allain Roy, l’agent de Fucale, confirme que la KHL était alors « une option ». « Il regardait ça, ajoute Gervais. On se demandait même comment on allait travailler ensemble avec le décalage horaire ! »

Mais Fucale a eu une « très bonne discussion » avec Marc Lavigne, l’adjoint d’Allain Roy. « Marc lui a rappelé qu’il était encore jeune et qu’il devrait y penser », explique Roy. L’arrêt des activités, en raison de la pandémie, a mis tout cela en suspens.

Ce qui nous amène à l’été 2020. Fucale travaillait à l’école de hockey avec Olivier Gervais, qui raconte la suite.

« Il vient me voir et me dit : “Oli, je dois débarquer.” Je lui dis : “Ben non, on a des jeunes sur la glace !” Il me dit : “C’est le DG de Washington qui m’appelle.” Je lui ai dit : “Vas-y !” J’ai rassemblé les jeunes, je leur ai dit qu’on allait travailler en groupe aujourd’hui et qu’on allait faire des déplacements ! »

De cet appel, Fucale a décroché un contrat à deux volets avec les Capitals. En 2020-2021, il a disputé un seul match en ECHL, les 11 autres dans la Ligue américaine. Un autre bon départ cette saison (moyenne de 1,73) lui a valu un rappel quand Vitek Vanecek s’est blessé. Et ça lui a valu le filet jeudi soir à Detroit.

Fucale le leur a bien rendu en bloquant les 21 rondelles dirigées vers lui. Et il l’a fait en respectant ses propres conditions : il l’a mérité.

Une solution ?

Sur Twitter jeudi soir, Martin Biron a rappelé la dure réalité des gardiens issus des trois circuits juniors du Canada (LCH). « Fucale est l’exemple parfait qui démontre pourquoi il faut revoir le développement des gardiens, a écrit Biron, ancien gardien devenu analyste. À 20 ans, les gardiens de la LCH sont souvent trop jeunes pour jouer dans la Ligue américaine. Les Européens ont 24 ou 25 ans quand ils arrivent en Amérique du Nord. Grosse différence. » Allain Roy acquiesce. « Souvent, un Européen de 24 ans arrive et il passe devant ton jeune gardien », rappelle l’agent. Fucale a d’ailleurs été victime de ce phénomène chez le Canadien quand Charlie Lindgren, plus vieux d’un an et demi, est arrivé de l’université. Y a-t-il une solution pour favoriser le développement des gardiens issus du hockey junior canadien ? « Le problème, c’est la peur de l’ECHL, estime Roy. Il y a beaucoup de négativité associée à l’ECHL, mais c’est très bon pour un gardien de jouer là. J’ai Philipp Grubauer comme client, il a fait ça pendant un an. »