(Poway, Californie) Debout dans un stationnement d’aréna quelconque d’une banlieue quelconque, Joël Bouchard nous fait la conversation depuis une quinzaine de minutes en ce lundi midi semi-ensoleillé.

Tous les sujets y passent avec le nouvel entraîneur-chef des Gulls de San Diego, le club-école des Ducks d’Anaheim. Son fameux casque rouge qu’il portait ce jour-là, comme il le fait à chaque entraînement depuis toujours, encore le même qu’à l’époque de l’Académie McDonald’s, il y a 16 ou 17 ans. « Un casque de hockey, ce n’est pas comme un casque de vélo, ça n’a pas une certaine durée de vie ? », lui demande-t-on.

Réponse : « Je suis coach. » L’air de dire qu’il ne bloque pas non plus des tirs avec sa tête dans les entraînements. « Mais trois ou quatre fois par année, ça m’évite de me péter la tête. »

On parle aussi de son attaquant Jacob Perreault, de son ancien protégé Michael Pezzetta, de la vie à San Diego, de l’environnement de travail chez les Ducks.

Et vient le moment où il faut aborder son passage dans l’organisation du Canadien. « Je ne suis pas sûr que tu vas aimer mes réponses ! », lance-t-il en riant.

Quatre mois plus tard, la fin de son lien d’emploi avec le Tricolore demeure toujours aussi mystérieuse. D’un côté, elle se comprend parfaitement. À Montréal, Dominique Ducharme venait d’arriver et à force de gagner des séries, il s’assurait d’un contrat. À Anaheim, Dallas Eakins écoule la dernière année de son contrat comme entraîneur-chef des Ducks et son retour en poste est loin d’être assuré. Si le but de Bouchard est d’accélérer son accession à la LNH, sa décision allait de soi.

Mais si c’était si simple, on devine aussi que le Tricolore n’aurait pas laissé traîner ainsi la situation jusqu’au 20 juillet, jour de l’embauche de Jean-François Houle…

Mésentente avec Marc Bergevin ? Avec un de ses subalternes ? Climat de travail devenu lourd dans le contexte de l’avenir flou de Bergevin ?

« Ça ne m’énerve pas ben ben, affirme Bouchard. Je ne pense pas que rien ne m’est dû dans la vie. J’y vais avec les options du moment, comment faire ma job. Je garde ça très simple. Et à un moment donné, il faut prendre des décisions. Quand t’essaies de trop analyser dans la vie…

« J’ai aimé ce que les Ducks avaient à dire et le fait qu’ils me voyaient comme un gars de hockey. Oui, je suis coach, j’adore ça, mais je suis aussi un gars de hockey. J’ai été proprio, DG, président, DG au Championnat du monde junior. »

Je ne sais pas où l’avenir va me mener. Mais je suis un gars de hockey.

Joël Bouchard

L’été dernier, Bergevin avait dit avoir offert à Bouchard deux options comme « gars de hockey » : entraîneur-chef à Laval ou adjoint de Ducharme à Montréal. Finalement, le poste vacant d’adjoint du Canadien a été pourvu par Trevor Letowski.

Bouchard dit que Montréal est le seul endroit où il aurait accepté un poste d’adjoint, en raison justement de Ducharme. « Dominique et moi, on a une connexion extraordinaire, on est des amis, je l’aurais fait pour être avec lui. On a toujours voulu travailler ensemble.

« Sauf que c’est la vie. Je comprends, et tout le monde m’en parle. Mais j’étais dans l’organisation, je suis devenu libre le 1er juillet et ils ont appelé. Je n’étais pas malheureux avec le Canadien. Ça n’arrive pas souvent qu’un entraîneur devienne libre. Ce n’était rien contre personne, il n’y avait pas de chicane. L’occasion était là. »

Tradition de succès

À San Diego, Bouchard est enchanté par son entourage. Ça inclut bien sûr ses adjoints Daniel Jacob et Maxime Talbot. Mais l’équipe en place lui plaît aussi, à commencer par le directeur général des Ducks, Bob Murray.

« Tout au long du camp, il regardait tous les entraînements des Ducks. Et quand on [les Gulls] a commencé le camp là-bas, il était à nos entraînements, aux matchs. C’est un passionné de hockey, un gars qui est présent. D’Anaheim à San Diego, c’est une bonne heure et demie de route. Si Bob n’est pas pris avec l’horaire des Ducks, il vient à nos matchs. »

PHOTO GUILLAUME LEFRANÇOIS, LA PRESSE

Joël Bouchard, pendant l’entraînement de lundi

Bouchard arrive toutefois avec une certaine obligation de résultat. Pas parce que les Gulls sont suivis de près ; nous étions le seul média sur place lundi, comme l’ont été nos confrères de Radio-Canada et du Journal de Québec, qui sont aussi passés ces derniers jours.

Mais les Gulls ont toujours connu du succès collectivement depuis leur création, en 2015. Leur pire saison : une fiche de ,559 en 2017-2018. Après cinq matchs, l’équipe montre une fiche de 1-4-0, mais la saison est jeune.

Et avec un rang de repêchage souvent avantageux, les Gulls sont une usine à produire des joueurs pour le grand club. Douze joueurs qui ont joué pour les Ducks cette saison ont disputé au moins 30 matchs pour le club-école, que ce soit à San Diego, ou à l’époque de Norfolk pour Rickard Rakell et Josh Manson.

À titre comparatif, chez le Canadien de cette saison, ce chiffre s’élève à deux : Jake Evans et Brendan Gallagher, il y a une décennie. Un troisième, Pezzetta, pourrait s’ajouter s’il est en uniforme ce mardi.

Bouchard évalue toutefois son rôle à la lumière de la « culture » qu’il implante. Il veut implanter la même qu’à Laval, qui lui a permis de mener l’équipe au championnat de la division canadienne l’an dernier.

« On va partir sur de bonnes bases. Ça sera fait de la bonne façon. Mais c’est tough. Je l’ai fait avec le Rocket, je sais ce que c’est. Souviens-toi d’où on était quand on a commencé, et les années d’avant, et où ça a fini l’an passé. Ça a été tough. »

Bouchard estime donc que les succès du Rocket l’an dernier valident son approche. « Le Rocket, on avait amené ça à un niveau, où on pouvait dire, regarde… Tu le vois avec Pezzetta qui est rappelé. On avait fait le tour du jardin à un certain niveau. »

Ce dernier bout de phrase nous fait sursauter. Le « tour du jardin », c’est le genre de formulation que l’on attend de quelqu’un après 10 ou 15 ans dans un poste, ou avec des résultats exceptionnels. Mais après seulement trois ans ?

« Dans la Ligue américaine, trois ans, c’est beaucoup, rétorque Bouchard. T’as un roulement, tu n’as pas de contrôle, tu coaches avec des menottes. Ce n’est pas une ligue facile parce que tu ne contrôles pas grand-chose. Mais tu peux contrôler l’environnement et la façon que tu veux que les choses soient faites. »

En bref

De bons mots pour Pezzetta

Le rappel de Michael Pezzetta a fait des heureux à San Diego. Daniel Jacob, adjoint à San Diego, mais adjoint aussi à Laval lors des trois dernières saisons, se réjouissait. « Le petit gars le mérite. Il a travaillé fort et il ne l’a pas toujours eu facile. Ça a été un soldat. Avec Pezz, what you see is what you get. C’est un gars d’énergie qui connaît son rôle. On va regarder ça de loin et on va prendre pour le jeune. » De son côté, Joël Bouchard a ajouté qu’il « adore l’individu ». « Je suis fier de lui, c’est un bel exemple. »

Le vieux couple

PHOTO GUILLAUME LEFRANÇOIS, LA PRESSE

Daniel Jacob

On vous parlait de Jacob… Il suit Bouchard dans un troisième mandat, après l’Armada de Blainville-Boisbriand (LHJMQ) et le Rocket. La décision n’allait pas de soi, cependant, puisqu’il est marié et a un garçon de 10 ans qui parle français et serbe, mais pas anglais ! « J’ai appris l’anglais à 20 ans et je ne l’ai pas trouvé drôle. Pour lui, ce sera fait ! », a lancé Jacob. La famille l’a donc appuyé, et professionnellement, il y trouvait aussi son compte. « D’année en année, l’équipe a toujours performé mieux, au classement et dans le développement des joueurs. On parle souvent de Jake Evans, mais Ryan Poehling a aussi grandi avec nous. Et là, Pezzetta est rappelé. Je ne dis pas que notre travail était fait, parce qu’on aurait pu rester. Mais il y avait le challenge d’amener notre recette ici, de se réinventer et d’apprendre d’une autre organisation. On avait beaucoup à gagner à faire ça. »