La visite des Americans de Rochester au domicile du Rocket de Laval, le 29 octobre, n’est pas perçue, a priori, comme un évènement censé ébranler le sport professionnel.

Cette rencontre, toutefois, marquera une première dans l’histoire du hockey québécois, et un pas de plus vers l’équité dans le sport tout court.

Ce soir-là, Elizabeth Mantha deviendra la première arbitre native de la province à officier pendant un match de la Ligue américaine (LAH). Elle fait partie des 10 femmes – arbitres et juges de lignes – qui rejoindront le groupe d’officiels du deuxième circuit en importance du continent. C’est l’Américaine Katie Guay qui brisera la glace samedi.

« Je suis très heureuse, mais c’est un peu inattendu. Je ne pensais pas être rendue là », a convenu Mantha, 31 ans.

Les responsables de la ligue « nous disent qu’ils croient en nous, qu’ils savent qu’on est capables de faire le travail, qu’on mérite notre place et qu’on n’a pas à se sentir comme des imposteurs », raconte-t-elle. En somme, « qu’on a juste à se faire confiance et à faire notre travail ».

Avec l’initiative de la LAH, le hockey professionnel rattrape peu à peu le retard qu’il accuse par rapport à d’autres sports majeurs en ce qui a trait à l’inclusion des femmes dans le sport masculin. La NFL compte déjà sur cinq arbitres féminines. L’une d’entre elles, Sarah Thomas, était en poste au dernier Super Bowl, une première.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Elizabeth Mantha

Elles sont aussi cinq dans la NBA, mais comme le basketball compte moins d’officiels que le football, elles y sont proportionnellement mieux représentées. La pratique y existe depuis 1997, mais ce n’est qu’en janvier dernier que deux d’entre elles ont été impliquées dans un même match.

Promotion

Voilà plusieurs années qu’Elizabeth Mantha – oui, c’est la sœur d’Anthony, attaquant des Capitals de Washington – affirme à qui veut l’entendre qu’elle rêve de la LNH. Soudain, son souhait ne relève plus de l’utopie.

Le parcours des arbitres et juges de lignes ressemble en effet, à presque tous les égards, à celui des joueurs. On monte les échelons un à un, dans l’espoir d’être remarqué par les décideurs du niveau suivant.

« Je vois un peu ça comme une promotion », analyse-t-elle.

Elle-même une ex-joueuse, elle a fait ses classes comme arbitre du côté féminin dans les rangs universitaires, mais aussi dans les ligues masculines aux niveaux midget AAA et junior AAA. Elle avoue que le jeu plus rapide et plus robuste, chez les hommes, lui a permis d’aiguiser ses réflexes.

Les structures de Hockey Québec ne lui ont imposé « aucun obstacle », souligne-t-elle.

Au contraire, on m’a mis dans les situations qu’il fallait pour que je puisse bien progresser.

Elizabeth Mantha

Avec d’autres femmes, elle a déjà participé aux « combines » organisés par la LNH, évènements où les espoirs les plus prometteurs sont regroupés pour montrer leurs habiletés et se faire connaître. Encore une fois : exactement de la même manière que les joueurs avant le repêchage.

Elle est donc bien présente sur l’écran radar de la LNH, qui a continué à offrir de la formation continue et du mentorat à ses futurs officiels au plus fort de la crise de la COVID-19, alors que le hockey, surtout au Canada, était complètement paralysé.

Voilà qu’au début du mois de septembre, ses collègues et elle ont reçu l’invitation de la Ligue américaine. Le circuit jonglait avec ce projet depuis quelques années, a expliqué le commissaire Scott Howson à l’Associated Press ; à l’évidence, le temps était venu.

Mantha s’est donc rendue au camp d’entraînement des arbitres, où elle s’est soumise à des tests physiques sur la glace et en gymnase et a suivi différentes formations, notamment concernant le resserrement du règlement sur le double-échec.

Sur place, les officiels d’expérience ont accueilli leurs nouvelles collègues à bras ouverts, assure-t-elle. « Ils étaient curieux, ils voulaient apprendre à nous connaître, en savoir davantage sur notre parcours. Ç’a super bien été. »

Notons par ailleurs qu’elle s’entraîne activement, ces jours-ci, en vue d’un camp de sélection olympique qui aura lieu en novembre. Si elle était choisie, elle participerait, en février à Pékin, à ses premiers Jeux.

Stress

Elizabeth Mantha ne s’en cache pas : elle compose avec une bonne dose de stress à l’idée de mettre un pied dans la Ligue américaine.

« Comme quand j’ai commencé dans le midget AAA, nuance-t-elle. Il y a des appréhensions, je ne sais pas trop comment ça va se passer, je vais faire de mon mieux. Ç’a toujours bien été, je ne vois pas pourquoi ce serait différent. »

À chaque niveau, dans chaque ligue, la routine est la même. Tout nouvel arbitre doit « apprendre à se faire respecter ». Et pour une femme, cela signifie évidemment s’imposer lorsque la testostérone déborde sur la glace… ou derrière le banc.

On le sait, c’est un monde d’hommes, ça peut être macho, on peut entendre des commentaires plus difficiles. Ça, tu y fais face.

Elizabeth Mantha

Puis la relation de respect s’installe, et elle est en mesure de faire son travail.

Quant à l’argument de la limite physique invoquée pour discriminer l’accès des femmes aux emplois d’officiels chez les hommes, aussi bien le classer tout de suite parmi les mythes, selon Elizabeth Mantha.

Déjà, de par son statut d’arbitre, et non de juge de lignes, ce n’est pas elle qui est en première rangée pour séparer les échauffourées. Et même si elle doit s’y coller, « on est capables de faire la job », insiste-t-elle.

« On n’est pas obligées d’utiliser la force, il y a d’autres moyens pour arriver à nos fins. On le voit dans la LNH : souvent, il suffit de se placer entre les deux joueurs… »

Le test sera toutefois bien réel à la fin du mois d’octobre lorsqu’elle s’élancera sur la patinoire de la Place Bell, à Laval. Mais elle n’en démord pas : « Je ne m’en mets pas trop sur les épaules. Il y a une raison pour laquelle on est rendues là. »

« Je veux juste avoir du plaisir et profiter de chaque instant, conclut-elle. Le reste, on verra ! »