À la fin du mois de mars, quand le Canadien est sorti de sa semaine de congé forcé par la COVID-19, Phillip Danault y était allé d’une prédiction audacieuse, si ce n’est risquée, pour évoquer le sprint de 25 matchs en 43 jours qui attendait son équipe : « Tu vas voir ceux qui cassent et ceux qui continuent de pousser. »

Sur le fond, le défi était individuel : il permettrait de séparer les « vrais » des autres. Or, c’est plutôt sur le plan collectif que la prophétie de Danault est en train de se réaliser. Mais ce n’est certainement pas ce qu’il avait en tête lorsqu’il a prononcé ces paroles.

En s’inclinant 5-2 aux mains des Flames de Calgary, samedi, le Tricolore a porté sa fiche à 6-9-0 au cours des 15 premiers matchs de cette séquence de 25. Trois de ces défaites sont survenues contre les Flames, qui ont, à l’évidence, trouvé la recette pour faire mal paraître les Montréalais.

Depuis le début du mois d’avril, c’est pratiquement toute l’équipe qui « casse », petit à petit. Au sens propre, alors que les blessures s’accumulent : déjà privé de Carey Price et de Brendan Gallagher, le Canadien a dû se passer samedi de Jonathan Drouin, malade, et de Paul Byron, blessé au bas du corps. Et voilà que Tomas Tatar est lui aussi tombé au combat. Il a seulement fait deux courtes présences en troisième période, et on a plus tard appris qu’il était amoché avant même que la rencontre s’amorce. Le bas du corps serait également mis à mal.

Dominique Ducharme doit donc user d’imagination pour colmater les brèches, encore que la boîte à outils est presque vide – on y reviendra.

Ça casse aussi au sens figuré. Samedi, le Tricolore a disputé une première période comme il les aime, avec des joueurs rapides, précis, premiers sur la rondelle. Le but de Nick Suzuki en a été la consécration : une rondelle envoyée vers le filet et du travail acharné à proximité du gardien Jacob Markström. Comme dans le manuel.

Pour tout dire, au premier vingt, les Flames ressemblaient au Canadien des derniers affrontements entre les deux équipes tellement ils étaient désorganisés.

Or, dès le retour de l’entracte, les Flames sont redevenus les Flames, et le Canadien, le Canadien. Une équipe méthodique et acharnée contre une autre fragile, déconcentrée, brouillonne.

« On dirait que chaque fois qu’on fait une erreur, ça finit avec la rondelle dans notre but », s’est désolé Jeff Petry. Une mise au jeu perdue en zone défensive : but de Milan Lucic. Une réception de passe ratée de Petry : deuxième but de Johnny Gaudreau. Un revirement de Jesperi Kotkaniemi jumelé à un cafouillage en défense : but de Brett Ritchie. « On doit retrouver nos instincts », a ajouté le numéro 26.

Le Canadien, a insisté Ducharme, « n’a pas lâché », réduisant notamment l’écart en fin de deuxième période. Mais à 3-1 pour les Flames, c’était malheureusement évident pour bien du monde que le miracle d’une remontée ne se produirait pas.

Et la suite ?

Avec 9 défaites au cours des 13 derniers matchs, l’entraîneur-chef du CH a souvent été interrogé sur les solutions qu’il envisageait.

Il a été beaucoup question de procéder à des séances vidéo, d’éviter les erreurs, de préciser l’exécution.

Là où l’on devine une frustration grandissante du même Ducharme, c’est face à son impuissance à modifier son effectif. La situation salariale du Canadien, jumelée au nombre de rappels limité après la date limite des transactions – il n’en reste plus qu’un avec 10 matchs à disputer –, lui rend la tâche à peu près impossible.

C’est ce qui explique qu’on s’en soit remis à 7 défenseurs et 11 attaquants au cours des deux derniers matchs – un schéma dont les entraîneurs, sauf exception, ne raffolent pas. C’est aussi ce qui explique qu’une équipe qui n’a marqué que 18 buts à ses 10 derniers matchs n’ait toujours pas fait jouer Cole Caufield, déjà reconnu comme le meilleur franc-tireur de l’organisation avant même d’avoir disputé un match dans la LNH.

« Ce n’est pas idéal », a convenu Ducharme, réaliste. Sans Byron ni Drouin, « on a essayé d’avoir 12 attaquants », mais la seule avenue envisageable sur-le-champ était de se contenter de 11.

Avec 10 rencontres à disputer cette saison, il n’y a soudain plus grand-chose d’emballant pour le Tricolore. Surtout avec les Flames qui lui soufflent dans le cou au classement – ils ne sont plus qu’à quatre points derrière le CH, avec un match de retard. Et encore davantage avec les Canucks de Vancouver, qui, bien que loin derrière, ont beaucoup plus de matchs à disputer.

Cette dernière dizaine s’amorce dès lundi contre les mêmes Flames, pour la neuvième et dernière fois de la saison. Les joueurs avaient déjà indiqué que les 5 matchs en 13 jours entre les deux équipes étaient abordés comme une série trois de cinq. Avec trois défaites au compteur, le Canadien a déjà perdu cette série.

Que reste-t-il donc à accomplir ? « On a besoin de gagner », a lucidement souligné Tyler Toffoli.

« Il faut s’assurer qu’on soit à notre meilleur, a renchéri Ducharme. Y retourner ensemble, refaire les choses qu’on a bien faites, être constants. »

Et ce, avec « 20 gars en uniforme », a-t-il convenu.

Mais lesquels ? Rien n’est moins clair.

Dans le détail

Intrigant Gustafsson

Quelle place occuperait Erik Gustafsson au sein d’un Tricolore en pleine santé ? Lire ici : lorsque six défenseurs sont en uniforme plutôt que sept ? Difficile à dire. Son jeu dans sa zone n’inspire pas particulièrement confiance – à le voir complètement déboussolé après une glissade ratée pour contrer Dillon Dube en deuxième période, on comprenait mieux pourquoi il avait regardé 10 de ses 11 derniers matchs chez les Flyers de Philadelphie des gradins. Or, sa fluidité en contrôle de rondelle ainsi que son apport en avantage numérique l’ont nettement démarqué du peloton samedi, au sein d’une brigade défensive qui peine actuellement à appuyer ses attaquants. Sur le but de Toffoli, il a habilement retrouvé Corey Perry qui était posté à l’embouchure du filet. Et sur celui de Suzuki, c’est lui qui avait envoyé la rondelle au filet. « C’est un gars qui a une bonne vision avec la rondelle et une bonne capacité à faire des jeux, on l’a bien vu ce soir », a salué Jeff Petry.

Douloureux pour Primeau

PHOTO SERGEI BELSKI, USA TODAY SPORTS

Cayden Primeau (30) et Elias Lindholm (28)

Cayden Primeau avait électrisé le Centre Bell à ses débuts dans la LNH la saison dernière. Son troisième match en carrière, disputé samedi, n’a toutefois rien eu de festif. Un tir parfait de Johnny Gaudreau – Dominique Ducharme a répété deux fois le mot « parfait » –, une rondelle qui trouve son chemin à travers la circulation lourde après une mise en jeu perdue, deux surnombres causés par des revirements… Malgré le score, le jeune gardien n’a pas mal paru du tout, réalisant même quelques beaux arrêts. D’ordinaire très réservé, Primeau ne s’est pas étendu sur sa soirée après la rencontre. « J’étais fébrile avant le match, je me sentais bien… Ç’a été un peu décousu au début, mais ça s’est replacé », a-t-il estimé. Interrogé sur le tir de Gaudreau – parfait, rappelons-le –, il a fait valoir qu’il « aimerait revoir les quatre buts » des Flames. On lui pardonnera d’avoir eu envie de garder l’analyse au strict minimum.

Faute partagée

On ne passera pas la journée sur le premier but des Flames, mais Dominique Ducharme a décortiqué la séquence d’une manière si complète qu’elle mérite qu’on s’y attarde. En réponse à une question sur l’inexpérience de certains de ses joueurs, il a évoqué la tenue d’Alexander Romanov sur ce but. Appuyant l’attaque, le défenseur russe a fait ce que son entraîneur « voulait », c’est-à-dire descendre en territoire adverse pour suivre l’ailier – en l’occurrence Johnny Gaudreau. Celui-ci s’est toutefois « accoté » sur Romanov, puis il a décollé, ne laissant aucune chance à son couvreur de le rattraper. Par contre, Ducharme a ajouté que Jon Merrill « aurait pu fermer [l’espace] plus vite pour lui donner un angle de tir plus difficile ». En somme, « les deux défenseurs auraient pu faire un meilleur travail là-dessus ». Et Romanov n’échappe pas aux « erreurs de jeunesse » inhérentes à un joueur recrue. « Ça va arriver », a prévenu Ducharme.

Ils ont dit

En première période, je ne pense pas qu’on ait manqué de sentiment d’urgence. On a mis de la pression sur leurs défenseurs, ils avaient de la misère à sortir [de leur zone]. […] En général, je trouve qu’on a mieux exécuté [que la veille], et je ne crois pas qu’ils nous ont surpassés dans la façon de jouer. On a fait des erreurs qui ont été coûteuses.

Dominique Ducharme

On doit reproduire [lundi] ce qu’on a fait en première période [samedi]. Je pense qu’on a encore de la place pour grandir et s’améliorer. Peu importe qui sera dans la formation, on doit jouer dur.

Jeff Petry

Tout le monde savait que certaines équipes se battraient pour une place [en séries éliminatoires]. On doit se regrouper. Ce sera un gros match, lundi.

Tyler Toffoli

Ils aiment entrer avec la rondelle à l’intérieur des points de mise en jeu, foncer au filet, avec de gros bonshommes qui se placent en écrans. Leur jeu de transition est aussi très bon, on l’a vu avec des échappées et des surnombres.

Cayden Primeau, à propos du succès des Flames contre le Canadien

Nous sommes contents, mais pas encore au point où on veut être… nous avons encore du chemin à faire. […] C’est encore possible pour nous d’obtenir une place en séries. Si on se charge de faire notre travail, je pense qu’on a une chance de faire une poussée d’ici à la fin de la saison.

Johnny Gaudreau

On sait que ces matchs-là contre le CH vont être serrés, mais j’ai aimé la manière dont on a abordé la 3e période lors des deux matchs de vendredi et samedi. Celui de lundi sera immense. Les gars sont enthousiastes, mais on sait qu’on est encore à quatre points derrière eux.

Mark Giordano

En hausse

Jake Evans

Malgré un rôle de soutien et une rotation constante parmi ses compagnons de trio, il s’est signalé à de nombreuses reprises. Il mérite mieux que l’escouade de réserve.

En baisse

Alexander Romanov

Largué en zone adverse sur le premier but de Johnny Gaudreau, puis coupable du dégagement refusé ayant mené au but de Milan Lucic tôt en deuxième. Pas une soirée facile, disons.

Le chiffre du match

-4

C’est le différentiel de Corey Perry dans ce match. Ça ne le rend pas coupable des buts accordés par le CH – et cela inclut le dernier dans un filet désert –, mais cela le place tout de même à -7 au cours de ses 5 derniers matchs.

avec Richard Labbé, La Presse