Permettons-nous de puiser dans nos souvenirs de l’école secondaire pour commencer. « It’s like ten thousand spoons when all you need is a knife », chantait une jeune Alanis Morissette en 1995.

Remplacez les ustensiles par des joueurs et c’est une phrase que l’on pourrait prêter à Dominique Ducharme : il a 10 000 défenseurs, mais a besoin d’un attaquant.

Le Canadien avait congé d’entraînement, dimanche, après avoir fait le trajet Montréal-Edmonton en soirée samedi. L’équipe reprendra l’action ce lundi contre les Oilers.

Un duel qui devrait se jouer avec exactement les mêmes joueurs que ceux qui ont subi la gênante défaite de 4-0 samedi, si on se fie aux propos d’un Ducharme exaspéré après le match. En rappel :

« Boys, ça doit faire la troisième fois que je le dis : je ne peux pas faire de changement. Je ne peux pas en faire ! C’est assez simple, je ne peux pas en faire. Si on voit une possibilité, on va en faire. »

On pourrait décortiquer cette déclaration en long et en large. Quel est le niveau de confiance de Ducharme envers ses 20 joueurs en uniforme samedi ? L’entraîneur-chef se sent-il menotté en raison des décisions de son patron ? De telles questions relèveraient toutefois de l’interprétation.

Allons-y donc de façon plus factuelle pour expliquer les propos de Ducharme.

1- La règle des quatre rappels

La règle a souvent été évoquée ces derniers jours, la revoici : en vertu de l’article 13.12, al. (l), par. (i) de la convention collective, les équipes de la LNH ont seulement droit à quatre rappels après la date limite des transactions.

Le Canadien a utilisé trois de ces quatre rappels le 12 avril, pour Xavier Ouellet, Paul Byron et Alexander Romanov.

Bref, nuançons les propos de Ducharme : le Tricolore peut bel et bien rappeler un joueur, que ce soit le centre Jake Evans ou l’ailier Cole Caufield. Mais il peut en faire un seul ; dès qu’un est rappelé, l’autre est essentiellement condamné à attendre une blessure à un attaquant.

Aussi bien ne pas se tromper…

2- Les rappels d’urgence

Dans ce même règlement 13.12, l’alinéa (m) permet cependant des rappels d’urgence, et ce, même si les quatre rappels « normaux » ont été utilisés.

Cette règle peut être employée si « une blessure, une maladie ou une suspension » empêche une équipe d’avoir 12 attaquants, 6 défenseurs et 2 gardiens. Une blessure à un défenseur ne règlerait donc rien ; le Canadien en aura huit à sa disposition quand Jon Merrill et Erik Gustafsson auront terminé leur quarantaine, respectivement mardi et mercredi matin.

Il est par ailleurs précisé que « la preuve de l’existence de conditions d’urgence devra être fournie au commissaire s’il en fait la demande ». On comprend ici que Marc Bergevin ne pourrait pas simplement « inventer » une blessure au dos à un attaquant. Cependant, en ces temps de pandémie, avec la ligue qui insiste – publiquement – sur les précautions à prendre, ce type d’urgence peut arriver assez facilement. Un simple mal de gorge ou un nez qui coule est suffisant pour laisser un joueur à la maison.

3- Le plafond salarial

La formation actuelle du Canadien (les 20 joueurs en uniforme samedi, en plus de Merrill et Gustafsson) a une masse salariale de 84,106 millions de dollars, selon les sites de référence CapFriendly et PuckPedia. C’est au-delà des 81,5 millions du plafond salarial.

« Cette année, la moitié de la ligue va dépasser le plafond grâce à la liste des blessés à long terme. Regarde le Lightning [de Tampa Bay], qui est presque à 100 millions, rappelle Hart Levine, fondateur de PuckPedia. Avec Brendan Gallagher sur cette liste, Montréal peut dépasser le plafond du montant du salaire de Gallagher (3,75 millions). »

Avec ce coussin additionnel, il y aurait de l’espace pour ajouter Evans ou Caufield. Mais, rappelle Levine, « même si tu as le droit à des rappels d’urgence en cas de blessures, tu dois avoir l’espace sous le plafond pour rentrer les salaires des joueurs rappelés. Je pense donc qu’ils retiennent leur quatrième rappel pour garder de la flexibilité en cas de blessure. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Cole Caufield

Ajoutons à cela que Bergevin peut aussi se demander si une équipe en panne offensive, à la recherche d’une étincelle, est le meilleur environnement pour accueillir un jeune sur qui les attentes sont déjà élevées. Au football, un dicton veut que « le joueur le plus populaire en ville est le quart réserviste », et il y a peut-être un peu de cela qui teinte le débat ici…

On peut aussi se demander si le Canadien, tel qu’il s’est présenté samedi, était réellement à un Caufield ou un Evans d’être compétitif. L’attaque est carrément éteinte en l’absence de Gallagher ; depuis sa blessure, elle vient au 29e rang de la LNH pour les buts par match (1,57), au 27e rang pour les tirs (26,6) et au 26e rang en avantage numérique (5,9 %).

On peut discuter longtemps des bienfaits de rappeler ou non Caufield, d’un pur aspect hockey. Mais cet épisode est un bon rappel des conséquences de se tenir trop près du plafond salarial. Deux des quatre rappels d’urgence (Byron et Ouellet) ont en effet été utilisés pour des contraintes de plafond salarial.

C’est là que les vieilles décisions du passé reviennent hanter l’équipe. Le Tricolore a en effet 4,3 millions en argent « mort » sous le plafond, soit le rachat du contrat de Karl Alzner (3,958 millions) et une partie du contrat de Jordan Weal (325 000 $).

Il y a pire que ça ailleurs dans la LNH, notamment les Rangers de New York (16,8 millions) et les Oilers (9,8 millions). Mais le Lightning n’a pas d’argent mort, et les Maple Leafs de Toronto n’ont que 1,2 million, soit le salaire de Phil Kessel qu’ils retiennent encore.

Dans une saison où chaque dollar compte, ce ne sont pas des détails négligeables.