En consultant les sommaires des parties de la Ligue de hockey junior majeur du Québec, cette semaine, un détail m’a frappé.

Les bagarres ont disparu.

Enfin, presque. J’en ai trouvé seulement 20. En cinq mois. Une révolution. Les joueurs se battent trois fois moins que l’hiver dernier. Six fois moins qu’il y a cinq ans. Jamais, jamais, jamais, dans l’histoire de la ligue, les jeunes n’ont été aussi disciplinés.

Le plus étonnant ? Avec les restrictions sanitaires, les mêmes clubs s’affrontent plus souvent. Les rivalités s’annonçaient plus intenses. Les entraîneurs étaient convaincus que le nombre de combats allait augmenter. Mais non. C’est le contraire qui s’est produit.

Pourquoi ?

La réponse se trouve dans une série de mesures adoptées l’automne dernier. Souvenez-vous. C’était en septembre. La ministre responsable des Sports, Isabelle Charest, était tannée de voir des adolescents se battre à mains nues dans nos arénas. Elle exigeait des changements. Le commissaire de la LHJMQ, Gilles Courteau, a soumis un plan aux propriétaires – qui l’ont refusé. La ministre, très fâchée, a répliqué du tac au tac.

L’aide de 12 millions que vous réclamez ?

Si vous préférez les bagarres, oubliez-la.

Gulp.

PHOTO ANDRÉ ÉMOND, LA PRESSE CANADIENNE

Pierrick Dubé, Christophe Farmer et Dawson Mercer, des Saguenéens de Chicoutimi, célèbrent un but contre les Remparts de Québec dans un match présenté dans un environnement contrôlé, à Saguenay.

Une semaine plus tard, tout était réglé. De nouvelles sanctions étaient adoptées. Les bagarreurs allaient désormais passer 15 minutes au cachot, plutôt que 5. Et être suspendus après trois combats. Des mesures dissuasives qui, avec le recul, se sont révélées très efficaces, m’a confirmé Gilles Courteau.

« Je parlais avec un entraîneur qui me disait : 15 minutes, c’est frustrant pour le joueur. Mais ça l’est tout autant pour le coach. Il doit changer ses lignes. Ça casse le rythme. Quand un gars se bat en fin de période, tu le perds pour les trois quarts de la période suivante. Ça ajoute un élément de frustration. Les joueurs l’ont vite compris. 

« On ne peut pas empêcher complètement les batailles. Il y en aura toujours. Mais en imposant des conséquences plus sévères, on peut en réduire le nombre. Notre nouvelle réglementation le prouve. Ça démontre que le sport évolue. C’est très positif. »

Qui d’autre se réjouit des résultats ?

La ministre Isabelle Charest, qui a réussi là où tous les ministres précédents ont échoué.

Je ne m’attendais pas à ce que la baisse soit aussi drastique. Je suis très satisfaite. C’est super encourageant.

Isabelle Charest, ministre responsable des Sports

« Il y a eu de la pression, m’a confié Mme Charest. Il y avait du monde qui disait que la petite patineuse de vitesse ne connaissait rien aux sports. Que le hockey, c’est un sport viril. Sauf que j’en connais pas mal à propos des sports virils [rires]. Mon ex-mari [Steve Charbonneau] a joué 10 ans dans la Ligue canadienne de football. Et la bataille n’était pas tolérée. En fait, elle n’est tolérée dans aucun sport [d’équipe]. La mentalité au hockey doit changer. »

La ministre soulève toutefois une interrogation : quelle a été l’influence de l’absence de spectateurs sur la diminution des bagarres ? « Ce rapport-là m’intrigue. J’ai hâte de voir les résultats l’année prochaine. »

C’est une hypothèse intéressante. Je l’ai soumise à l’entraîneur-chef des Saguenéens de Chicoutimi, Yanick Jean. Il côtoie les juniors au quotidien depuis 18 ans. Il a aussi joué quatre ans dans la LHJMQ. Bref, c’est probablement la personne la mieux placée pour tenter une réponse.

« Bonne question. Sais-tu quoi ? Je ne le sais pas. Mais j’ose croire que les spectateurs n’influencent pas le nombre de bagarres. Du moins, je l’espère. »

Ce que Yanick Jean a remarqué, par contre, c’est que les sanctions plus sévères ont modifié le comportement des jeunes sur la glace.

« Leur intensité n’a pas diminué. Il n’y a pas moins de jeu physique. Mais comme la saison est plus courte, les gars ne veulent pas rater de matchs. Ils ne veulent pas être suspendus. D’ailleurs, on le constate. Oui, il y a moins de bagarres. Mais il y a moins de coups salauds aussi. Et moins de suspensions. Je suis convaincu que les nouvelles sanctions ont eu un impact. Tout ça, ce sont de très bonnes nouvelles. »

***

Avec l’aide financière de Québec, les clubs ont pu poursuivre leurs activités. Et la LHJMQ a pu présenter une saison. Même sans spectateurs. Un exploit.

Le plus impressionnant ?

Tous les clubs ont disputé de 16 à 34 parties. En pleine pandémie. C’est beaucoup. La Ligue de l’Ouest, elle, a présenté 25 matchs. Au total. Celle de l’Ontario ? Aucun. Cela a permis à nos jeunes espoirs de profiter d’une visibilité accrue auprès des recruteurs.

Mais bon, il faut le souligner, ce fut un parcours d’obstacles.

Le premier match de la saison, j’étais à Sherbrooke. Les gradins étaient vides. Je m’assurais que tout le monde respecte les consignes. Puis bang. Il y a eu une éclosion au sein du club visiteur [l’Armada]. J’ai fait : “Wô. Ça commence raide. Si c’est comme ça toute la saison, ce ne sera pas drôle.”

Gilles Courteau, commissaire de la LHJMQ

« Il a fallu gérer deux éclosions en même temps. Ç’a été notre premier vrai test avec la Santé publique. Il a fallu réviser notre protocole. Rassurer les parents. Les familles de pension. Tout le monde. »

Dans les semaines suivantes, la Santé publique du Québec a refusé les déplacements. Les matchs en zone rouge. Au Nouveau-Brunswick, les parties ont cessé pendant trois mois. Il y a aussi eu des éclosions à Drummondville, à Victoriaville et maintenant, deux cas à Baie-Comeau.

PHOTO IFTEN RADJAH, LA PRESSE CANADIENNE

Un match entre les Voltigeurs de Drummondville et les Foreurs de Val-d'Or, présenté devant des gradins vides.

« On savait qu’on allait avoir des embûches, explique Gilles Courteau. Des tests positifs. Des éclosions. Sauf qu’il y a aussi eu beaucoup d’imprévus. Comme le couvre-feu. Nous nous sommes adaptés. Nous avons créé un environnement contrôlé à Québec. Ça a bien fonctionné. Nous avons reproduit le format ailleurs. Avec succès. »

Gilles Courteau est très fier de son équipe. « Je pense que nous avons été avant-gardistes. » Mais ses plus beaux compliments, il les a réservés aux joueurs.

« C’est un privilège de pouvoir jouer [présentement]. Les jeunes le savent. Ils parlent à leurs chums dans le Junior AAA ou la Ligue collégiale, qui ne peuvent pas jouer. Ils ont compris que pour être capables d’avoir une saison, ils devaient faire des sacrifices. Ça prenait une discipline et une volonté de tous nos joueurs. Ils y sont parvenus. Je leur lève mon chapeau. Dans 15 ans, je suis convaincu que cette expérience les aura rendus plus forts pour affronter les défis de la vie. »