(Montréal) On ne mesure sans doute jamais autant la valeur d’une ligne de centre que lorsqu’il lui manque des morceaux.

Le Canadien en a fait le triste constat samedi dans une gênante défaite de 3-1 à Calgary, la deuxième en deux matchs contre les Flames.

D’ordinaire impitoyable, la prolifique industrie de l’opinion montréalaise avait donné un laissez-passer pour le revers de jeudi : l’équipe était la victime d’un calendrier malencontreux qui l’avait forcée à sabrer ses heures de repos. Le manque d’énergie subséquent a été rapidement pardonné.

Depuis, deux nuits de sommeil réparatrices et un congé complet d’entraînement vendredi étaient censés avoir rechargé les batteries. À la télévision, on a même vu les joueurs s’étirer et jouer avec insouciance au ballon, samedi matin, sous un soleil majestueux dans le stationnement de leur hôtel. Avec les sourires complices et les yeux brillants de circonstance.

Pourtant, c’est ni plus ni moins que sa pire première période de la saison que cette équipe a offerte à son arrivée sur la glace du Saddledome. Ce qui tombait plutôt mal, car les Flames, eux, avaient planifié d’envahir le territoire du CH. Et ils ne se sont pas gênés pour le faire pendant les 30 premières minutes.

« Il n’y a pas d’excuse » pour justifier ce faux départ, a insisté Jeff Petry.

PHOTO SERGEI BELSKI, USA TODAY SPORTS

Jeff Petry (26) effectue une mise en échec contre Andrew Mangiapane (88).

Ça s’est certes (un peu) replacé par la suite, mais c’était déjà bien trop peu, bien trop tard.

Trêve de digression, il était question de la ligne de centre. En début de saison, le mot le plus à la mode, chez le Canadien, était la « profondeur ». Cette boîte à outils remplie à rebord censée prémunir l’équipe contre toutes les tempêtes.

Il faudra peut-être passer en revue la hiérarchie à certaines positions avant de claironner de nouveau à ce sujet. En défense, la blessure subie par Ben Chiarot expose les faiblesses en relève (voir la capsule à ce sujet). Mais c’est au centre que la situation a semblé la plus fragile.

Équilibre chamboulé

Avant la rencontre, on apprenait que Jake Evans sauterait un tour. Il n’y a pas lieu de se formaliser de ce qu’un joueur recrue, qui n’a récolté que 3 points à ses 20 derniers matchs, regarde un match depuis les gradins. Mais le fait qu’il soit remplacé par Paul Byron, qui n’est pas un centre naturel, donne un indice des ressources limitées à cette position.

Surtout, une mystérieuse blessure subie par Phillip Danault en première période a complètement chamboulé l’équilibre des trios. Il est difficile de déterminer ce qui est arrivé, mais le Québécois n’a presque pas joué au premier tiers, et il a semblé incommodé pendant le reste du match.

PHOTO SERGEI BELSKI, USA TODAY SPORTS

Phillip Danault (24) tente un tir face à Jacob Markstrom (25)

« Rien de grave », a assuré l’entraîneur-chef Ducharme, « sauf que ça l’empêchait de performer à son maximum ». Danault étant « en traitement » après la rencontre, il n’a pas été possible d’avoir sa version des évènements.

« Il a été une grosse partie de cette équipe pour longtemps », a dit Petry de son coéquipier, avant d’ajouter que « quand un gars comme lui [manque à l’appel], il laisse un trou difficile à combler ».

Nick Suzuki et Jesperi Kotkaniemi ont donc été davantage sollicités. Suzuki cherche résolument ses repères, alors que son trio avec Jonathan Drouin et Josh Anderson a perdu l’étincelle qui le rendait si efficace plus tôt cette saison. Et Kotkaniemi, pourtant sur une bonne séquence, a connu une soirée pour le moins feutrée.

En visioconférence, Suzuki a réitéré à quel point il ne demandait qu’à être défié et à affronter les meilleurs adversaires. Mais avant toute chose, il doit « retrouver [sa] confiance ».

Ironiquement, au même moment, chez les Flames, le nouvel entraîneur Darryl Sutter a fait l’apologie de sa ligne de centre, composée de « quatre bons vétérans » – Sean Monahan, Elias Lindholm, Mikael Backlund et Derek Ryan.

Il n’y a pas lieu ici de mener un débat sur l’expérience contre la jeunesse. Mais à n’en point douter, les centres arborant le C enflammé ont eu le dessus sur leurs opposants, et ce, deux fois plutôt qu’une.

Si, en plus, Danault devait s’absenter pendant quelques matchs, la profondeur pourrait bien trahir une soudaine précarité.

« Support » en panne

On présume qu’il n’est pas assez mesquin pour ça, et qu’il a de toute façon mieux à faire. Mais on comprendrait Claude Julien de sourire.

Avec cette dernière défaite, le Canadien présente désormais une fiche de 3 victoires, 3 défaites et 3 revers en prolongation sous la gouverne de Dominique Ducharme.

Lorsque ce dernier a été promu, un fort accent avait été mis sur l’importance du « support » que devaient s’offrir les joueurs dans les trois zones : il fallait supporter un défenseur dans sa couverture, supporter un attaquant en lui offrant des options pour compléter des jeux.

La machine à support n’a pas seulement fait défaut, samedi. Elle semblait carrément brisée.

« On laissait nos partenaires en suspens », a résumé Petry. Une remarque qui pourrait s’appliquer directement à Joel Edmundson, qui a erré sur le troisième but des Flames.

« On ne bougeait pas, a quant à lui estimé Dominique Ducharme. Et quand tu ne bouges pas, tu n’exécutes pas. »

Le Canadien s’est donc retrouvé prisonnier de son territoire. Et lorsqu’il en sortait enfin, il arrivait à bout de souffle en zone adverse, devant une défense organisée et méthodique, comme Darryl Sutter les aime.

Le site de statistiques avancées Natural Stat Trick compile les lieux d’où sont effectuées les tentatives de tir à cinq contre cinq au cours d’une partie. Un coup d’œil à la situation du Tricolore après deux périodes démontre rapidement à quel point le gardien Jakob Markstrom a eu la vie facile.

ILLUSTRATION TIRÉE DU SITE NATURALSTATTRICK. COM

Provenance des tentatives de tir du Canadien à cinq contre cinq après deux périodes, samedi

On pourrait en rire. Mais c’est de moins en moins drôle. Car le Canadien s’est amené à Calgary avec une avance de six points sur les Flames au quatrième rang de leur division, le dernier donnant accès aux séries éliminatoires. Il en repart avec un coussin de seulement deux points. Et ça ne s’annonce pas plus facile à Winnipeg. Ni nulle part ailleurs, en fait.

Car il ne reste que deux matchs à disputer contre les Canucks de Vancouver. Il faudra bien trouver une autre équipe à battre.

En hausse : Carey Price

De loin le plus méritant de son camp, il est la seule raison pour laquelle la correction n’a pas été plus sévère.

En baisse : Nick Suzuki

Depuis quelque temps, le jeune centre n’est que l’ombre du joueur créatif et dynamique qu’il était en début de saison.

Le chiffre du match : 21

C’est le nombre de minutes que le Tricolore a disputées cette saison à 4 contre 4 avant d’enfin marquer un premier but – celui de Petry.

Ils ont dit

Je ne dirais pas que nous sommes inquiets, mais plutôt déçus. On est une bonne équipe. Les points vaudront cher jusqu’à la fin de la saison. On doit amasser des victoires.

Nick Suzuki

Quand tu ne bouges pas, tu passes plus de temps dans ta zone, alors quand tu récupères la rondelle, tu la dégages à la ligne rouge et tu viens changer. Ça ne produit pas beaucoup d’attaques.

Dominique Ducharme

On aurait dû savoir à quoi s’attendre, après le dernier match. On a passé beaucoup plus de temps dans notre zone que prévu. […] Je ne crois pas que ce soit une question de système ou de style de jeu de notre part, mais bien un problème d’exécution.

Jeff Petry

On travaille beaucoup plus fort, on joue de la bonne façon. On est forts défensivement, on joue vite, on se soutient […] dans tous les aspects du jeu.

Andrew Mangiapane, sur l’effet du changement d’entraîneur à Calgary

C’est bien meilleur d’avoir l’avance que de courir après. On a eu ça depuis deux matchs. Le jour viendra où on aura de l’adversité. Il y a eu des moments en deuxième période où on a dû écouler des pénalités. Et ils ont marqué à 4 contre 4. Si on enlève ça, on a joué de la bonne façon à 5 contre 5.

Darryl Sutter

Propos recueillis par Simon-Olivier Lorange et Guillaume Lefrançois, La Presse

Dans le détail

Armia en eaux troubles

Il y a de ces buts qu’on voit venir de loin. Le premier de Sean Monahan, en tout début de match, appartenait à cette catégorie. Joel Armia était en possession de la rondelle dans le coin de sa zone et avait amplement d’espace et de temps pour s’en débarrasser. Or, il a hésité en voyant Monahan s’avancer vers lui et a entrepris de semer son adversaire derrière le filet de Carey Price. Mauvaise idée. Brett Ritchie a flairé la vulnérabilité d’Armia et est parti à toute vitesse à sa poursuite. L’attaquant du Canadien, d’ordinaire efficace en possession du disque, s’est retrouvé les quatre fers en l’air pendant que Monahan héritait de la rondelle dans l’enclave pour marquer. Peut-être l’une des pires bourdes d’Armia depuis qu’il joue avec le Canadien.

Duo à risque

Luke Richardson, entraîneur des défenseurs du Canadien, doit prier tous les saints du ciel pour que la fracture qu’a subie Ben Chiarot à la main droite ne nécessite pas d’opération (on en saura davantage à ce sujet lundi). Car le mouvement de personnel qu’a entraîné sa perte a réuni Victor Mete et Brett Kulak sur le troisième duo. Et samedi, leur association a eu des airs de catastrophe. Alors que Mete était sur la glace, les Flames ont obtenu 21 tentatives de tir, contre seulement 2 pour le Canadien – Kulak a « mieux fait » avec un ratio de 2-18. Le retard était particulièrement flagrant contre le premier trio des Flames, celui de Matthew Tkachuk, Elias Lindholm et Dillon Dube. Petite consolation, Alexander Romanov a joué avec beaucoup plus d’aplomb à la droite de Shea Weber qu’il ne l’avait fait l’avant-veille. Mais cela n’empêche pas qu’il faudra consolider la troisième paire en défense avant longtemps.

Canadien sur Canadien

Un adversaire aurait frappé Nick Suzuki avec cette violence qu’on aurait crié au scandale. Mais ç’a été un peu plus difficile de le faire en constatant que c’est Corey Perry qui était l’« assaillant ». En début de troisième période, les deux coéquipiers sont entrés en contact derrière le filet des Flames alors qu’ils tentaient de soutirer à rondelle à Derek Ryan, qui s’est retiré de la circulation juste à temps. Suzuki s’est spontanément touché le visage en tombant au sol et a retraité quelques instants au vestiaire, où il a dû se soumettre au protocole pour déceler une commotion cérébrale de la LNH. Il a raté environ cinq minutes de jeu. En point de presse, il a expliqué n’avoir senti aucun coup à la tête et qu’il s’était coupé à la lèvre sur l’impact. C’est un observateur de la LNH qui a communiqué avec le Tricolore afin qu’il retire Suzuki du jeu. « Mais je n’avais aucun symptôme, a insisté Suzuki. J’ai passé le test facilement. »

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