« Se casser la main… pour ça ? »

C’est la réflexion qu’ont exprimée bien des partisans du Canadien, jeudi, en apprenant que Ben Chiarot était rentré à Montréal la main droite dans le plâtre. Le défenseur a subi une fracture en livrant un combat à J.T. Miller, des Canucks de Vancouver.

La bagarre s’est amorcée dès la mise en jeu, dans les dernières minutes de la première période. Miller avait soufflé l’invitation à Chiarot quelques instants plus tôt. Offre acceptée. Et voilà que le Tricolore pourrait être privé des services de l’un de ses principaux défenseurs pendant des semaines.

Presque immanquablement, lorsqu’une bagarre éclate dans la LNH, on la justifie par une volonté de fouetter l’équipe, de changer le cours de la rencontre.

Encore mercredi, Phillip Danault a décrit son coéquipier comme un « guerrier », un « gars d’équipe », dont le courage a « allumé » [sparké] les troupes. Shea Weber, lui, a rappelé que le Tricolore avait marqué son premier but dès les secondes suivantes, avançant que ses coéquipiers s’étaient « nourris » de l’énergie du moment.

Afin de valider ces hypothèses, La Presse a analysé les 26 bagarres qui ont eu lieu jusqu’ici cette saison dans la division Nord de la LNH. La conclusion est sans équivoque : si c’est un catalyseur de qualité que l’on recherche, il faudra regarder ailleurs.

Voici ce qui se dégage de notre compilation.

PHOTO NICK TURCHIARO, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Jake Muzzin engage le combat avec Brady Tkachuk.

Violence au nord

Est-ce l’euphorie de retrouver du hockey 100 % canadien ? La division Nord est nettement la plus violente de la LNH cette saison. Avant les matchs de vendredi soir, on s’était battu 26 fois au cours des 97 matchs disputés de notre côté de la frontière. Cela équivaut à une moyenne de 0,27 bataille par rencontre ; exprimé autrement, si vous regardez quatre matchs au hasard entre des équipes canadiennes, il est presque assuré que vous tomberez sur un combat. Il s’agit d’une cadence 66 % plus élevée que dans la division Ouest, la plus sage du circuit avec 0,16 bagarre par match. Les trois joueurs ayant jeté les gants le plus souvent cette saison représentent une équipe canadienne – Austin Watson, 5 fois, ainsi que Brady Tkachuk et Ben Chiarot, 4 fois chacun. Et 5 des 10 équipes qui se sont le plus battues amorcent leurs matchs par l’Ô Canada.

Un effet limité

On peut présumer que lorsque l’objectif d’un bagarreur est de stimuler son équipe, c’est parce que celle-ci joue mal ou tire de l’arrière. Or, le succès n’est pas au rendez-vous : après seulement 5 des 26 bagarres de notre compilation, l’équipe qui tirait de l’arrière a inversé la tendance. Et cela inclut deux bagarres qui ont éclaté à moins de 90 secondes d’intervalle pendant la plus récente Bataille de l’Alberta, quintessence annuelle du pugilat unifolié. Autrement, à 15 reprises, l’équipe déjà en avance a remporté le match. Les six occurrences restantes ont eu lieu avec un score de 0-0, en première période. De ces six affrontements, quatre ont eu lieu dans les 4 premières minutes du match, un autre après un peu plus de 6 minutes, et un dernier après 15 minutes – celui-là a coûté une main à Ben Chiarot, justement.

PHOTO SERGEI BELSKI, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Combat entre Zac Rinaldo et Austin Watson

Soigneusement planifiées

Les abolitionnistes en ont d’abord et avant tout contre les bagarres qui ont manifestement été préméditées par les deux adversaires, en opposition à celles qui éclatent de façon spontanée dans le feu de l’action. La scène est archi connue : on discute à la mise en jeu ou bien on se fait de gros yeux en retrait de l’action et, au moment convenu, les gants et les dents volent. Sur les 26 empoignades que nous avons recensées, 11 appartiennent à cette catégorie, et même si on a planifié le combat aussi bien qu’un shower de bébé, on constate qu’il y a peu à tirer de l’expérience. Sept d’entre eux ont eu lieu dans les sept premières minutes de jeu en première période, et deux autres dans les sept dernières minutes d’un match à sens unique. Seules deux de ces rixes chorégraphiées échappent à cette tendance : un choc entre Zac Rinaldo et Austin Watson, en début de deuxième période d’un match entre les Flames et les Sénateurs, ainsi que celui entre Chiarot et Miller.

« Préparer le prochain match »

Combien de fois a-t-on vu des joueurs « préparer le prochain match » en s’empoignant en fin de match éliminatoire ? Bonne nouvelle pour la frange conservatrice du hockey : le calendrier de la saison 2021 a permis de recycler le concept pendant tout l’hiver. Sur les 10 bagarres qui ont éclaté en troisième période dans la division canadienne cette saison, 9 ont eu lieu au début ou au milieu d’une série de matchs à laquelle il restait au moins une autre rencontre. Aussi, les 6 matchs dont les combats ont eu lieu dans les 10 dernières minutes de jeu se sont soldés par une marge de deux buts ou plus au pointage final. Signe de frustration ? Poser la question, c’est y répondre.

PHOTO FRANK GUNN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Combat entre Wayne Simmonds et Ben Chiarot, le 13 janvier dernier.

Le flair de Chiarot

Défenseur au solide gabarit, Ben Chiarot a toujours été reconnu pour sa robustesse, mais pas nécessairement pour ses talents de boxeur. Au cours de ses 374 premiers matchs dans la LNH, il a jeté les gants à 5 reprises en saison régulière. En 2021, le voilà à 4 combats en seulement 25 matchs. Sa pugnacité en a-t-elle valu la chandelle ? Pas vraiment. Son premier duel de la saison, en lever de rideau à Toronto, a eu lieu contre Wayne Simmonds, alors que le CH menait 3-1 en deuxième période. Les Leafs ont finalement remporté le match 5-4 en prolongation. Sa deuxième bagarre l’a opposé à Matthew Tkachuk, le 28 janvier, alors que les Montréalais menaient 4-0 en troisième période. Au combat suivant, le 23 février, l’adversaire s’appelait encore Tkachuk, mais se prénommait cette fois Brady. Certes, le Tricolore a effacé un déficit de deux buts dans cette défaite de 5-4 en tirs de barrage, mais il a amorcé sa remontée longtemps après le combat de Chiarot. Puis est arrivé l’affrontement (et la blessure) contre J.T. Miller, alors que le Canadien dominait largement les Canucks malgré le score de 0-0.

« Des choses qui peuvent arriver »

Interrogé sur la décision de Chiarot d’accepter le combat contre Miller, l’entraîneur-chef du Canadien, Dominique Ducharme, s’est montré évasif. « Une fois qu’on sait qu’un joueur s’est blessé, c’est facile de dire qu’il n’aurait pas dû y aller », a-t-il reconnu. « Ce qui est arrivé est malheureux, mais quand tu jettes les gants, c’est des choses qui peuvent arriver », a-t-il ajouté. C’était quelques heures avant le match de jeudi à Calgary, au cours duquel Josh Anderson s’est par ailleurs mesuré à Milan Lucic en troisième période. Anderson s’en est tiré indemne, mais au moins deux fois, par le passé, une bagarre lui a valu une blessure importante. En tout début de carrière, en 2015, une blessure à l’os occipital a retardé ses débuts officiels chez les professionnels. Et sa saison 2019-2020 a pris fin en décembre après qu’un affrontement contre Mark Borowiecki, des Sénateurs, l’eut obligé à subir une opération à l’épaule. Ducharme ne s’est toutefois aucunement formalisé que son ailier droit se frotte à Milan Lucic : « C’est correct, c’est arrivé. Pas de problème. » Ç’a le mérite d’être clair.