Mercredi matin. Nous rencontrons Geoff Molson dans un Centre Bell méconnaissable.

Le niveau 1, celui de la patinoire, devrait grouiller d’activité à ce temps-ci de l’année. Les lieux sont plutôt déserts ; en fait, nous y rencontrons exceptionnellement une dizaine de personnes, car c’est jour de vaccination contre la grippe pour les employés.

Le propriétaire et président du Canadien nous retrouve dans le magnifique salon des joueurs, adjacent au vestiaire. Pensez à une pièce double cuisine/salon, version un brin plus spacieuse que dans un 4 ½ du Vieux-Rosemont. Ici aussi, c’est le calme plat, mais deux semaines plus tôt, l’état-major du Tricolore s’y était installé pour mettre les touches finales à la réinitialisation de l’équipe.

Deux semaines qui ont plu à M. Molson.

« Je suis très satisfait du travail de Marc [Bergevin] cet automne. Tous les objectifs qu’il m’a communiqués, il les a atteints, a-t-il indiqué, dans une table ronde d’une heure avec La Presse. J’ai vraiment hâte de voir cette équipe avec le nouveau gardien [Jake Allen], le défenseur [Joel Edmundson], les deux attaquants [Josh Anderson et Tyler Toffoli], Alexander Romanov qui s’en vient et les deux jeunes centres [Nick Suzuki et Jesperi Kotkaniemi]. Ce sera le fun à voir. »

Un plan devancé

Ce que Bergevin a accompli depuis l’élimination n’est pas anodin. Le directeur général du Tricolore a investi à un rythme fou, au moment où les revenus du monde du hockey sont à peu près nuls. Un rappel des sommes impliquées :

– 39 millions de dollars sur 6 ans pour renouveler le contrat de Brendan Gallagher ;

– 38,5 millions sur 7 ans pour Anderson ;

– 25 millions sur 4 ans pour renouveler le contrat de Jeff Petry ;

– 17 millions sur 4 ans pour Toffoli ;

– 14 millions sur 4 ans pour Edmundson.

Depuis la paralysie complète du hockey, le printemps dernier, seulement 26 joueurs ont signé des contrats d’une valeur totale de 10 millions ou plus dans la LNH, selon CapFriendly. Cinq d’entre eux l’ont fait avec le Canadien ! Quinze équipes n’en ont fait signer aucun, et dix équipes, un seul.

Alors, Geoff Molson, qu’est-ce qui vous a poussé à être si « agressif », en pleine contraction du marché ?

« Ça a pris beaucoup de discipline de la part de Marc depuis deux ou trois ans pour attendre ce moment, répond-il. Car chaque année, il avait le droit de dépenser jusqu’au plafond salarial, s’il le voulait. Mais ça ne vaut pas la peine de le faire tant qu’on ne pense pas qu’on a quelque chose pour les prochaines années. On est rendus à ce point-là.

« On a des jeunes qui s’en viennent. On a d’autres jeunes qui ne sont pas ici, ils seront bons aussi. Et il a [stabilisé] le noyau de vétérans. C’était le moment de dépenser jusqu’au plafond. Le timing était bon par rapport aux autres équipes parce qu’on avait l’espace pour le faire. »

Il y a beaucoup d’audace derrière cette stratégie, car l’impulsion d’agir est venue en grande partie de la performance de l’équipe en séries éliminatoires. « C’est sûr qu’on a été chanceux de participer aux séries, mais on y a participé. La performance a été très encourageante et ça a démontré beaucoup à Marc et à son équipe. Ça nous a donné la confiance que c’était le temps de faire ce qu’on a fait. »

Or, cette performance n’a duré que 10 matchs, dans un contexte hyper particulier où certaines équipes n’avaient visiblement pas leur pleine concentration. Mais n’oublions pas aussi que le vieillissement de Carey Price et de Shea Weber, et les déclarations de Gallagher, ont ajouté une autre forme d’urgence d’agir…

Molson croit toutefois que Bergevin serait allé de l’avant avec son plan, même sans succès en séries.

« Probablement que oui, mais avec moins de confiance. Nos jeunes ont beaucoup appris pendant les séries. Nos vétérans sont à un point où ils sont prêts, les Price, Weber, Gallagher, Chiarot. Les jeunes, avant les séries, on pensait qu’ils étaient presque là. Mais ils nous en ont montré beaucoup. […] On dit que c’est dur d’attirer des joueurs autonomes au Québec, mais pas cette année. Peut-être à cause des 15 équipes qui n’ont pas dépensé. »

Ce n’était pas difficile de convaincre les joueurs de signer un contrat avec nous, parce qu’ils y croient, ils voient un avenir prometteur.

Geoff Molson

Le résultat, c’est que pour la première fois depuis longtemps, les attentes changent. Chaque année, Bergevin les tempère, en répétant que le but est d’abord de participer aux séries. « Ensuite, tout est possible », ajoute-t-il à tout coup.

Encore l’an dernier, M. Molson disait entretenir des espoirs de succès dans un délai « de trois à huit ans ». L’échéancier est-il devancé ?

« Je ne peux rien confirmer. Mais l’équipe qu’on a construite sera bonne et si ce n’est pas une bonne équipe, ce sera décevant. […] On est rendus à un point où les attentes sont plus élevées. Comme partisans, on peut avoir bon espoir qu’ils vont bien performer. »

Le prochain gros dossier

Marc Bergevin et Claude Julien détiennent des ententes jusqu’au terme de la saison 2021-2022. Ça vous semble loin ? N’oubliez pas que les équipes préfèrent généralement éviter de laisser leurs dirigeants se rendre en dernière année de contrat.

Il sera intéressant de voir en quoi ces attentes changeront l’obligation de résultat des deux hommes de hockey.

« Je ne pense pas vraiment comme ça. Si j’avais des doutes, il y aurait déjà eu des changements, rétorque Geoff Molson. On ne peut pas avancer avec des gens sur qui on a des doutes. Moi, je n’ai pas de doutes sur Marc et Claude. Mais ce n’est pas moi qui décide de Claude, c’est Marc et son équipe.

« Marc est arrivé [en 2012] avec une bonne équipe, avec le potentiel de se rendre jusqu’au bout. On n’a pas réussi. Avec mon soutien, il a décidé, il y a trois ans, de faire un reset, un rebuild, peu importe. Et je l’ai soutenu. Nous voici trois ans plus tard et je trouve qu’il a fait un excellent travail. On atteint le point où on va voir, sur la patinoire, le résultat de trois ans de travail. On n’achète pas une équipe du jour au lendemain. Ça ne fonctionne pas comme ça dans cette ligue. Mais je suis très content de son travail. »

Donc sa présence à long terme est assurée ?

« Aujourd’hui, je ne vois pas pourquoi pas. Mais il reste deux ans à son contrat. Il reste beaucoup de temps. »

Une certitude : Bergevin n’a pas à craindre d’apprendre son sort par les médias. Lui et son patron ont une relation étroite. Ils se parlent au lendemain de chaque match pendant la saison. Et « cinq ou six fois par jour » pendant la récente période des joueurs autonomes.

« Si je n’ai plus confiance en lui, il va le savoir en deux minutes, parce qu’on se parle tout le temps ! »