Le Canadien, une de nos plus prestigieuses institutions, a lancé un message percutant au hockey québécois cette semaine : pas question de vous faire confiance, pas question de repêcher un joueur issu de votre programme de développement.

Non, on ne boira pas de cette eau, nous ont dit les Glorieux, avec une clarté ne laissant aucune place à l’interprétation. Malgré son grand nombre de choix et la profondeur du talent québécois disponible, le Canadien n’a sélectionné aucun joueur d’ici.

Qui blâmer pour cette incroyable tournure des évènements ? Trevor Timmins est montré du doigt. Le directeur du recrutement du CH, avouons-le, n’a jamais montré un vif intérêt pour les joueurs de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ).

Mais Timmins comprend-il vraiment la place et la signification du Canadien dans notre histoire ?

Après tout, même ses patrons semblent avoir oublié que le CH n’est pas une simple équipe de hockey, mais qu’elle porte aussi une partie de notre identité collective, de nos espoirs et de notre fierté.

Malgré ses nombreuses années de service au sein de l’organisation, Timmins n’a manifestement jamais intégré cette réalité. Mais puisqu’il n’est pas l’ultime décideur de l’organisation, on aurait tort de lui attribuer la responsabilité de cet uppercut assené aux jeunes joueurs québécois et à leurs partisans.

Alors, à qui la faute ? Le principal responsable est le président et copropriétaire Geoff Molson. Il est le gardien de l’identité de cette équipe. C’est à lui de s’assurer que l’organisation fournisse de l’oxygène au talent d’ici. C’est à lui de maintenir cette tradition ancrée dans l’histoire. C’est à lui de rappeler ces principes à son directeur général, Marc Bergevin.

Pourquoi Molson fait-il si peu de cas de cette responsabilité ? Je risque cette hypothèse : le Canadien se comporte de cette manière au repêchage depuis plusieurs années sans provoquer de commotion. L’organisation ne croyait sûrement pas que les choses changeraient si subitement.

Mais cette fois, ça ne passe pas. Partout au Québec, des voix s’élèvent pour dénoncer l’attitude du Canadien. Comme si les braises qui couvaient depuis plusieurs années se transformaient soudainement en incendie. Trop, c’est trop.

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En 2011, Molson a permis à son DG Pierre Gauthier de choisir un entraîneur-chef incapable de s’exprimer en français. Il en a payé un fort prix. La marque du Canadien est sortie écorchée de cet épisode. Si Molson en avait tiré les leçons appropriées, peut-être aurait-il fourni à Marc Bergevin un minimum de paramètres à respecter au repêchage.

Les évènements de cette semaine démontrent en effet qu’un principe fondamental du Canadien, c’est-à-dire la priorité accordée – à talent égal – à un joueur d’ici, est officiellement abandonné. Même si la direction jure que ce n’est pas le cas, les faits parlent d’eux-mêmes. Hélas, dans l’esprit du CH, peu importe le tour de sélection, un jeune joueur d’ici n’a jamais un « talent égal » à celui d’un gars venu d’ailleurs.

Le journaliste Stéphane Leroux, de RDS, rappelait jeudi que le Canadien est la seule équipe de la LNH à n’avoir choisi aucun joueur de la LHJMQ dans les quatre premiers tours depuis 2014. Les membres du conseil d’administration du Canadien demanderont-ils des explications à Molson ou s’en moquent-ils eux aussi ?

Le CH dit « essayer » de repêcher des joueurs de la LHJMQ. Essayer. Je ne croyais pas que ce verbe banal m’irriterait un jour autant. Si le Canadien « essayait » vraiment, il réussirait.

Comment ? Tenez, voilà un truc tout simple : en n’échangeant pas son choix de septième tour aux Blackhawks de Chicago qui en ont profité pour choisir un… Québécois ! Cette transaction prend aujourd’hui valeur de symbole et illustre mieux que tout l’insolence du CH.

Dites-moi, monsieur Molson, comment expliquer que mercredi, les Blackhawks ont cru davantage au talent québécois que votre équipe ? Et comment expliquer que le Lightning de Tampa Bay repère depuis plusieurs années, et sous votre nez, des espoirs d’ici ?

Le Canadien profite d’un monopole dans le sport professionnel à gros budget au Québec. Plus que jamais, on en constate les aspects néfastes. Ainsi, au premier tour cette semaine, le Canadien détenait le 16e choix. Si les Nordiques existaient toujours et avaient profité du 17e choix, pensez-vous un seul instant que Bergevin n’aurait pas opté pour un joueur d’ici ? Le risque qu’un Hendrix Lapierre devienne une vedette dans la capitale nationale aurait été trop grand.

Ce monopole permet au Canadien d’aligner les saisons misérables et de travailler sans réelle pression. Qu’il gagne ou qu’il perde, les revenus sont au rendez-vous (sauf en temps de pandémie) et on nous répète que tout ira mieux la saison prochaine.

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Des analystes et des amateurs ne partagent pas mon point de vue à propos de l’importance pour le CH de donner une chance aux joueurs d’ici. Certains en font une démonstration bien documentée.

De mon côté, je dirai ceci : l’attitude du Canadien est inquiétante parce qu’elle est désormais instaurée en système. En regardant de haut les joueurs de la LHJMQ, l’organisation a, par exemple, raté l’occasion de repêcher l’attaquant Anthony Beauvillier en 2015. À moins d’un changement d’orientation important, perspective improbable dans une organisation si sûre d’elle-même, cela se produira de nouveau.

L’ajout de joueurs québécois à tous les niveaux de l’organisation est pourtant un atout historique du Canadien.

Comme l’a souvent rappelé Serge Savard, ils vivent ici et sont conscients de l’immense place de l’équipe au Québec. Ils sont en symbiose avec les partisans et contribuent à donner à l’équipe cette saveur si particulière : celle que lui confère le fait d’être la seule organisation francophone de la LNH.

Bien sûr, on peut estimer que tout cela ne veut plus rien dire. On peut soutenir que l’héritage sportif et culturel ne compte plus dans le hockey moderne. Si on pense ainsi, ne faisons pas grand cas de ce repêchage du Canadien.

Mais je ne fais pas partie de ce camp. Je crois – toujours et encore – que le Canadien de Montréal représente plus qu’une équipe de hockey pour le Québec. Qu’il est une institution avec des responsabilités envers son milieu. Et qu’il devrait les assumer en tout temps, parfois même au repêchage.