Cole Caufield vient de terminer sa première année dans la NCAA. Une belle saison : 19 buts en 36 parties, un sommet parmi les recrues du circuit. L’espoir du Canadien est maintenant pressé de passer à l’étape suivante.

La Ligue nationale.

« Mon but, c’est de me joindre au Canadien à la fin de la saison si l’équipe se qualifie pour les séries éliminatoires », a-t-il confié à mon collègue Guillaume Lefrançois plus tôt cette saison. L’attaquant de 19 ans ajoutait du même souffle ne pas vouloir s’éterniser à l’Université du Wisconsin.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER @BADGERMHOCKEY

Cole Caufield a passé la dernière saison avec les Badgers de l’Université du Wisconsin.

Sauf que son futur patron, Marc Bergevin, n’est pas du même avis. Le directeur général du Canadien prêche plutôt la prudence. Je le soupçonne même d’avoir adhéré récemment à ce joli vers du marquis de Vauvenargues : la patience est l’art d’espérer…

Je cite Bergevin, en entrevue avec Mathias Brunet : « À nos yeux, [Cole] n’est pas prêt. […] S’il veut vraiment quitter le collège, on ne le forcera pas. Mais on va lui recommander de rester [au Wisconsin]. Ça ne veut pas dire que c’est une déception. On vise le mieux pour son développement à long terme. »

Les deux hommes doivent se rencontrer cette semaine. Leur but : s’entendre sur la suite des choses. On devine que ce sera une discussion émotive. Et c’est normal. Qui a raison ? Qui a tort ? La réponse est purement subjective.

Certains dirigeants préfèrent que leurs espoirs se développent dans la NCAA ou le junior majeur. Les joueurs, eux, voudraient tous être dans la LNH depuis l’année dernière.

Mais dans les faits, qu’en dit la science ?

Est-ce une bonne idée pour un joueur d’élite de la NCAA de faire le saut chez les pros si rapidement ?

Ça tombe bien, on a justement des données toutes fraîches sur le sujet. Une étude de l’Université du Michigan. Et les résultats risquent de vous étonner…

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L’Université du Michigan, c’est la grande dame du hockey universitaire américain. Neuf titres nationaux. Un record. Plusieurs joueurs étoiles ont porté son uniforme jaune et bleu. Notamment Quinn Hughes, Max Pacioretty, Dylan Larkin, Zach Werenski, Brendan Morrison et Michael Cammalleri.

Sauf que depuis quelques années, les Wolverines gagnent moins souvent. Ils voient leurs joueurs d’élite quitter l’université de plus en plus tôt. Larkin, Kyle Connor et Jacob Trouba ont fait le saut chez les pros après seulement une saison. Hughes et Werenski ne sont restés que deux ans. Un gros problème. Ses dirigeants se sont alors posé la question : comment retenir nos vedettes plus longtemps ?

Un employé de l’équipe, Trevor Greissinger, a eu une idée. Produire une étude afin de prouver aux joueurs qu’un séjour prolongé dans la NCAA est bénéfique pour leur carrière professionnelle. M. Greissinger a présenté sa démarche le mois dernier, lors d’une conférence sur les statistiques avancées organisée par les Blue Jackets de Columbus.

« Mon hypothèse initiale, c’était qu’il y aurait une corrélation positive entre des années supplémentaires à l’université et les succès chez les professionnels. »

Comment s’y est-il pris ?

En étudiant les parcours de 289 hockeyeurs professionnels qui ont disputé au moins une saison complète dans la NCAA, entre 2007 et 2017. D’abord, il a accumulé le plus grand nombre de données possible sur leurs carrières universitaires (position, âge, buts, points, années passées à l’école). Ensuite, il a observé leurs succès professionnels.

Plus facile à dire qu’à faire. Car quelle est l’unité de mesure du succès d’un joueur ? Ses buts ? Ses points ? Ses victoires ? Ses trophées ? Fallait-il créer un nouvel indice statistique ?

Trevor Greissinger a opté pour la mesure la plus simple : les parties jouées chez les pros. Banal, direz-vous. Mais hautement pertinent dans le contexte de l’étude.

Ses explications : « Lorsqu’on tente de convaincre un joueur de rester plus longtemps à l’université, celui-ci doit renoncer aux revenus des premières années de son contrat d’entrée [dans la LNH]. Il faut donc lui démontrer que [ces revenus] peuvent être rattrapés plus tard. Notre présomption, c’est que des années supplémentaires dans le hockey universitaire généreront [au final] une plus grande valeur contractuelle. »

C’est pour ça qu’il a choisi les parties jouées. Car plus un hockeyeur aura de succès chez les pros, plus il disputera de matchs, et plus il gagnera d’argent. Trevor Greissinger a ensuite croisé tous les indicateurs de succès pour dégager de grandes tendances. Il en a noté trois : 

> Il existe bel et bien une corrélation entre la productivité dans la NCAA et le nombre de parties jouées chez les pros ;

> Les défenseurs formés dans la NCAA jouent en moyenne six ou sept matchs de plus par saison que les attaquants chez les professionnels ;

> Mais surtout – et c’est là la surprise –, rien ne permet de conclure que des années supplémentaires dans la NCAA ont un impact sur les succès professionnels futurs.

Ni positivement. Ni négativement.

C’est juste… neutre.

« Mon hypothèse de départ était fausse », a reconnu Trevor Greissinger.

Et nous revoici à la case départ.

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Désolé pour ce grand détour. Je le trouvais nécessaire. Pour démontrer – entre autres – que dans le débat émotif sur le développement des espoirs, il n’existe pas de vérité absolue. Ni de recette magique. Ce qui vaut pour un joueur ne vaut pas nécessairement pour un autre.

Alors oui, je comprends l’empressement de Cole Caufield. Tous les athlètes doués de 19 ans veulent jouer avec les plus grands. Pas l’année prochaine. Pas la semaine prochaine. Maintenant.

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Cole Caufield

C’est tout à leur honneur. Sauf que cette ambition peut aussi les aveugler. Les empêcher de voir une dure réalité. Celle des premiers de classe qui frappent le mur pour la première fois de leur carrière. C’est très fréquent. Surtout à cet âge. Jesperi Kotkaniemi et Ryan Poehling peuvent en témoigner.

Le Canadien a aussi constaté à la dure ces dernières années qu’un jeune homme de 19 ans doit posséder une maturité extraordinaire – et je pèse mes mots – pour passer d’une vie rangée en pension ou en résidence universitaire à la jungle que peut être le centre-ville de Montréal.

Pour toutes ces raisons, je me range du côté de Marc Bergevin. Cole Caufield devrait accepter de rester au Wisconsin une année de plus. Pour réduire les attentes. Pour parfaire son jeu défensif. « Il a encore du chemin à faire sans la rondelle », précise Bergevin.

Mais d’abord et avant tout, pour arriver le mieux préparé possible pour le grand cirque. Tout simplement.