« Je suis conscient que j'aurais pu rester sur la glace et ne jamais me relever », confie à La Presse Julien Desrosiers, des Boxers de Bordeaux, au bout du fil.

Lors d'une mêlée générale dans un match de séries éliminatoires entre les Boxers de Bordeaux et les Gothiques d'Amiens, l'ancien attaquant de l'Océanic de Rimouski a été projeté tête première sur la patinoire par un autre Québécois, Holden Anderson, au moyen d'une prise de judo d'une rare violence dont les images sont désormais virales sur la Toile.

Desrosiers a perdu connaissance pendant quelques minutes, avant d'être transporté à l'hôpital.

« Je m'en sors bien dans les circonstances, mentionne-t-il. J'ai une épaule en vrac, comme on dit en France. Ma tête semble aller bien, même si j'ai l'impression d'avoir de petites pertes de mémoire depuis deux jours. J'ai des maux de tête en fin de journée. Pour l'instant, ça se résume à ça.

« J'ai confiance que ça va se replacer et que les maux de tête vont disparaître. »

Fin abrupte

Julien Desrosiers, 38 ans, est une figure de proue du hockey français. Après une fructueuse carrière dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec entre 1997 et 2001, dont deux saisons avec l'Océanic de Rimouski en compagnie de Vincent Lecavalier et Brad Richards, il s'est exilé en France, où il joue depuis 2003.

Il a participé à dix Championnats mondiaux en sélection nationale avec la France et a pris part à deux tournois de qualification olympique.

Desrosiers était à la retraite depuis quelques mois et était entraîneur chez les U20 et les U17 au niveau national lorsque son club l'a appelé en renfort fin décembre pour terminer la saison.

« C'était juste pour rendre service à mon club, dit-il. Le club comptait trop de blessés et ils n'avaient pas de sous pour embaucher un autre joueur, alors ils m'ont demandé de recommencer à jouer. Normalement, je terminais la saison avec l'équipe pro avant de reprendre mes fonctions avec les U20. »

« C'est malheureux que ma carrière et ma saison se terminent comme ça. »

- Julien Desrosiers

Incompréhension

Ce hockeyeur originaire de Saint-Anaclet-de-Lessard, près de Rimouski, se souvient parfaitement de l'incident. « J'ai un trou de mémoire entre le moment où ma tête frappe sur la glace et mon arrivée à l'hôpital, mais je me rappelle très bien ce qui s'est passé.

« Il y a eu un rassemblement des deux équipes devant le banc et, généralement, ça ne va pas plus loin.

« Je n'avais aucune intention de me battre. Lui, il a commencé à être plus agressif, à me tirer le maillot pour me sortir de l'attroupement. Je me suis retourné pour regarder ce qui se passait derrière et il en a profité pour me passer une balayette. Je ne m'y attendais pas du tout. Je ne sais pas pour quelle raison il a décidé de commettre ce geste-là. »

Desrosiers ressent beaucoup de colère envers son agresseur, cela va de soi. « C'était vraiment gratuit.

« J'ai joué junior majeur pendant quatre ans au Québec, à l'époque où les bagarres étaient autorisées, encore plus qu'aujourd'hui, et en 18 ans chez les professionnels en France, je n'avais jamais vu ça. Surtout me faire ça à moi qui ai une très belle carrière derrière moi en France, qui impose un certain respect, si je peux dire. »

« Je n'ai pas du tout la réputation d'être un bagarreur ou un joueur physique, je suis en fin de carrière, j'ai 38 ans. Vraiment, je ne comprends pas. »

- Julien Desrosiers

Anderson, 25 ans, originaire de Montréal, en est à sa première saison en France. Il a joué au Danemark un hiver l'année dernière, après trois saisons à l'Université Cornell, dans la NCAA.

« Je ne le connais pas du tout, mentionne Desrosiers. Je sais que c'est un gars qui est né au Québec. C'est encore plus inexplicable parce que normalement, il y a un certain respect entre les joueurs canadiens et québécois. Ça reste quelque chose de grave. »

Conséquences ?

L'ancien entraîneur de Desrosiers à Bordeaux, le Québécois Martin Lacroix, autre figure populaire du hockey français, de retour dans la Belle Province cet hiver, a sauté sur le téléphone en voyant l'incident.

« J'ai appelé Julien et les gars là-bas. J'ai joué longtemps contre Julien et je l'ai dirigé, ce n'est pas ce type de joueur là, c'est un joueur très technique, rapide, qui a été très bon, et très longtemps membre de l'équipe nationale. Logiquement, tu ne t'attaques pas à Julien Desrosiers. »

« Je ne sais pas si ce gars-là, Anderson, fait du judo, mais ç'a été exécuté de façon spectaculaire, parfaite et disgracieuse en même temps. Julien aurait pu se casser le cou. »

- Martin Lacroix, ancien entraîneur des Boxers de Bordeaux

« On m'a raconté que sur le coup, ils n'ont pas identifié l'agresseur, le numéro 73. Tanner Glass, qui a longtemps joué dans la Ligue nationale, le cherchait. Malheureusement, le gars n'a pas payé le prix pour ce qu'il a fait. Sinon, ça aurait dégénéré beaucoup plus que ça par la suite. »

Holden Anderson a été suspendu par son propre club pour le reste des séries. « Les équipes professionnelles ne veulent pas être associées à ce type de geste, dit Julien Desrosiers. C'est le minimum qu'ils pouvaient faire.

« J'ai été très surpris que le club d'Amiens ait pris cette décision [de le suspendre], je suis satisfait, j'attends toujours la décision finale de la Fédération, qui pour l'instant l'a suspendu indéfiniment. »

« Je ne veux rien savoir »

L'agresseur aurait tenté de s'adresser à Desrosiers depuis l'incident. « Apparemment, il aurait demandé à me joindre au téléphone par l'entremise de mon manager d'équipe, mais je n'ai pas envie de lui parler. »

« Je ne veux rien savoir de ses excuses. »

- Julien Desrosiers

« C'est un geste qui est inacceptable, surtout que je n'avais aucune méchanceté en moi à ce moment-là. En plus, il m'a pris dans un moment où j'étais vulnérable, je ne regardais pas. C'est encore plus frustrant. Je ne veux pas avoir de contact avec lui. »

Desrosiers suivra le reste de la série de chez lui. « Je reste à la maison pour suivre le protocole des commotions cérébrales. Après ce match, on devait partir directement pour Amiens pour le match cinq [hier] soir, mais je suis cloué chez moi, je vais suivre le match à la télé, sans plus. Les premières journées, c'est repos complet. Pour l'instant, je ne sors pas. C'est quand même une commotion cérébrale assez grave. »

La famille de Julien Desrosiers a été vite rassurée sur son état de santé. « Mes parents habitent Rimouski et mon frère à Deux-Montagnes. Ma blonde était avec moi au match et à l'hôpital et elle les a rassurés par téléphone. Ils ne l'ont pas vu en direct - le match, présenté sur internet, a été coupé à ce moment-là -, mais c'était difficile de ne pas voir l'incident par la suite. Je ne croyais pas que ça prendrait des proportions internationales. »