Rafaël Harvey-Pinard roule sur l’autoroute 20 à la hauteur de Drummondville quand il nous appelle ce midi. Encore environ quatre heures et il arrivera à la maison.

Quand on parle de « la maison », ce n’est pas un terme générique pour évoquer sa région du Saguenay. Il rentre réellement à la maison, la maison d’Arvida où il a grandi. Où il a encore sa chambre au sous-sol.

Après tes trois ans à Rouyn-Noranda, tes parents n’ont pas encore transformé ta chambre en bureau?

« Non, ils ne l’ont pas transformée, mais on a eu un dégât d’eau dans le sous-sol, donc je n’ai pas de chambre pour le moment! En attendant, ils ont mis mon lit dans une autre pièce », décrit le jeune homme, un brin amusé par la situation.

Jouer au hockey implique souvent de se déraciner. C’est ce que Harvey-Pinard a fait à l’été 2016, quand il s’est joint à temps plein aux Huskies de Rouyn-Noranda, à 9 h de route de la maison, via des routes où, disons, les embouteillages ne sont pas un enjeu. Mais une transaction conclue à la fin mai l’a fait passer aux Saguenéens de Chicoutimi, si bien qu’il passera la saison chez lui.

« Ça ne m’aurait pas dérangé de retourner à Rouyn, ou d’aller à Laval. Je suis habitué à être loin de la maison. Et j’étais très bien nourri dans ma pension à Rouyn, je n’ai pas à me plaindre!

« Mais maintenant, quand je voudrai parler à mes parents, au lieu de les appeler, j’aurai juste à monter en haut pour aller les voir. Ça, ça me manquait! »

Impression favorable

Malgré sa bonne humeur au bout du fil, Harvey-Pinard l’admet : il était déçu quand Trevor Timmins, Francis Bouillon, Joël Bouchard et Rob Ramage l’ont convoqué, mardi, pour lui annoncer qu’il était retranché au camp des recrues. Comme il a 20 ans, il pouvait décrocher un contrat au camp et commencer sa carrière professionnelle dès cet automne, avec le Rocket de Laval.

« C’était une déception. Je voulais aller au camp principal. J’aurais vraiment adoré jouer un match préparatoire, ça aurait été un bon baromètre pour voir où j’en étais, ce que je devais améliorer », explique l’attaquant.

N’empêche : pour un joueur ignoré deux années de suite au repêchage, finalement réclamé au 7e tour en juin dernier, Harvey-Pinard a laissé une belle carte de visite. Bouchard l’a jumelé aux deux meilleurs attaquants des espoirs montréalais, Ryan Poehling et Nick Suzuki. C’était là une belle marque de confiance, et il en a pleinement profité.

« Je peux retenir du positif, ils ont aimé mon camp. Ce qu’ils ont aimé, c’est que j’avais toujours la pédale au plancher, je travaillais, je faisais les petits détails, que je me sois ajusté à mes compagnons de trio.

« Je me dis que j’ai donné mon 100%. J’ai fait connaître mon nom et je n’ai aucun regret. »

Le cas Barré-Boulet

Il faut remonter à Charles Hudon, repêché en 2012, pour trouver un Québécois qui a suscité autant d’engouement à un camp du CH que l’a fait Harvey-Pinard ces derniers jours. C’est peut-être ce qui explique la déception de bien des partisans suite aux annonces de mardi.

« Des fois dans la vie, on veut tout tout de suite. Amazon, on commande et si ça n’arrive pas l’après-midi, on panique, illustre Joël Bouchard. On a un processus, une vision à court, moyen et long terme pour nos joueurs. Ce n’est pas parce qu’il a raté son coup ou qu’il y a un manque de passion, on l’a tous vu. C’est à lui de continuer à faire ses devoirs, à travailler sur des choses dans son jeu, sur sa force physique. »

Cela dit, c’est un gros mandat qui attend Harvey-Pinard. Les Saguenéens l’ont acquis, puis nommé capitaine. Après une campagne de 85 points en 66 matchs, il pourrait être encore plus productif cette saison, au sein d’une équipe qui aspire aux grands honneurs.

« Il y aura peut-être un peu de pression. Ça fait plusieurs années que les partisans des Saguenéens n’ont pas eu une équipe comme celle qu’on a cette année. Je sais que les attentes seront élevées. Quand j’étais jeune, j’assistais aux matchs des Sags dans les gradins et les partisans voulaient la Coupe. Ça sera encore ça cette année. »

À l’inverse, s’il avait amorcé la saison à Laval, il se serait retrouvé au sein d’une équipe qui aura beaucoup de profondeur. Ses minutes auraient été limitées, et qui sait s’il n’aurait pas eu à faire la navette entre la Ligue américaine et l’ECHL?

« Je n’aurais pas dit non au Rocket, convient-il. Mais pour mon développement, je vais jouer beaucoup plus à Chicoutimi et je vais peut-être m’améliorer plus là-bas. »

« Je vois un parallèle avec Alex Barré-Boulet même s’ils ne sont pas pareils comme joueurs, ajoute Bouchard. C’est un cheminement. On pense parfois que retourner junior à 20 ans est un échec. Zéro. C’est juste positif et ça fait partie de son cheminement comme joueur de hockey. »

Le cas Barré-Boulet est effectivement éloquent. Jamais repêché, sans contrat avec une équipe de la LNH, l’attaquant avait 20 ans à l’amorce de la saison 2017-2018 avec l’Armada. Il l’a conclue avec 116 points en 65 matchs, menant son club à la finale de la Coupe du Président. Ses succès lui ont valu un contrat avec le Lightning, et voilà qu’il a été nommé recrue de l’année dans la Ligue américaine.

« Il y a aussi Alexandre Alain, Jimmy Huntington, Peter Abbandonato, rappelle Harvey-Pinard. Ils ont tous connu une grosse saison à 20 ans et ont été chercher un contrat. Si j’ai une grosse saison, j’aurais des chances pour un contrat. »

Un championnat et un contrat : voilà qui ressemble à une fin heureuse pour Rafaël Harvey-Pinard.

- avec Jean-François Tremblay