(Buffalo) Nathan Légaré a beau avoir tout juste l’âge de commander autre chose qu’un Shirley Temple au bar, c’est déjà une pièce d’homme.

À 6 pi et 205 lb, c’est un jeune avec la carrure d’un joueur de la Ligue nationale qui se présente à nous pour l’entrevue. Mais voilà, certains se demandaient s’il était réellement athlétique ou s’il traînait certains excès. Le problème, c’est que parmi ces « certains », il y avait des dépisteurs de la LNH.

« Ils venaient dans mon bureau, et certains me posaient toujours la même question : “Est-ce qu’il est gras ? Il a une grosse face” », explique Martin Bernard, son entraîneur-chef à Baie-Comeau jusqu’à tout récemment.

Un beau jour, Bernard en a eu assez. Il a orchestré une savante mise en scène, à l’insu de Légaré !

« J’étais dans le vestiaire après un entraînement. Il me dit : “Nate, viens dans mon bureau, viens tout de suite”, nous raconte le jeune homme, rencontré à Buffalo au camp d’évaluation de la LNH. Je me demandais ce qui se passait. »

« Il me dit : “Viens de même, pas le temps de mettre un chandail.” Moi, je joue sans combine, en épaulettes seulement. Donc OK… Je suis rentré en bedaine. Il s’est mis à me parler d’une affaire pas rapport. Le dépisteur était dans le coin de la pièce. Quand le dépisteur est parti, Martin m’a rappelé dans son bureau, il m’a dit que c’était juste pour montrer que je n’avais pas de gras. »

« Comme j’ai une grosse face, il y en a qui pensent que j’ai du gras. Ils me demandent mon pourcentage de gras. Martin me disait que ça revenait souvent comme question à mon année de 16 ans. Mais Martin et Amy [Barrette, l’ancienne thérapeute sportive de l’équipe] ont été clairs, ils ont dévoilé mon taux de gras aux équipes. »

PHOTO FOURNIE PAR LA LHJMQ

Nathan Légaré

La dernière mesure indiquait un taux de gras de 8,5 %, soit bien en deçà de la cible de 10 % qu’il ne souhaite pas dépasser. D’autres préparateurs physiques suggèrent même une fourchette entre 9 et 12 %. Bref, aucune source d’inquiétude ici !

On peut toutefois trouver particulier qu’un joueur aussi productif offensivement — 45 buts et 42 mentions d’aide en 68 matchs cette saison — soit jugé sur un critère aussi banal, plutôt que sur ses performances sur la patinoire. Mais Légaré ne s’en formalise pas.

« C’est le fun, ça montre qu’ils s’intéressent à toi, qu’ils veulent apprendre à te connaître, soutient-il. Si ma façon de jouer sur la patinoire ne les intéressait pas, ils ne me poseraient pas ces questions-là. Je ne suis pas choqué quand ils me parlent de ça. »

Un classement controversé

Légaré a vraiment tout fait pour se faire remarquer cette saison. Ses 45 buts sont un sommet parmi tous les joueurs de la LHJMQ admissibles au repêchage cette année. Seul Alex Beaucage (Rouyn-Noranda) a amassé plus de points que lui parmi ce groupe.

Avec sa carrure et son style de jeu, Légaré se compare à Josh Anderson « et les dépisteurs sont d’accord avec la comparaison », assure-t-il.

Vu ainsi, l’athlète de 18 ans apparaît donc comme un projet hautement intéressant. Mais quand la Centrale de recrutement de la LNH a publié son classement final, Légaré y pointait au 54rang des patineurs nord-américains. À la mi-saison, il était 64e, un classement qui avait alors été décrié par les collègues Stéphane Leroux et Mikaël Lalancette, les deux sommités du hockey junior au Québec.

« Les journalistes de Sportsnet aussi. Tout le monde m’en parlait ! », se souvient Légaré. La situation était telle que Dan Marr, directeur de la Centrale de recrutement, l’avait même apostrophé pour lui expliquer sa position. Par pure coïncidence, ce même Marr était derrière nous à Buffalo pendant l’entrevue en marge du camp d’évaluation des espoirs de la LNH, et il est venu saluer Légaré.

Ce qui fait reculer les dépisteurs : son coup de patin. « Et ça fait longtemps, rappelle Martin Bernard. Il a du travail à faire sur ses départs, son explosion. » 

« Quand il décolle, il n’est pas lent et n’a pas de problème. Mais c’est une étiquette qui lui colle à la peau depuis longtemps et dont il ne peut pas se débarrasser. » — Martin Bernard, ancien entraîneur de Nathan Légaré

« Ce sont mes trois premières enjambées, reconnaît Légaré. Je suis quand même pesant, donc c’est plus difficile pour moi que pour un gars de 170 lb. Quand je prends ma vitesse, elle est très bonne, et c’est pourquoi j’ai connu du succès. »

Légaré a l’intention de travailler en gymnase cet été pour corriger cette lacune. Il sera bien entouré pour le faire : il s’entraîne sous la supervision de Stéphane Dubé, possiblement le préparateur physique le mieux coté au Québec, de même qu’avec son meilleur ami, un certain Alexis Lafrenière. Pas trop mal comme entourage.