Dans les arénas de la Ligue nationale, le mot «guerrier» est devenu une sorte de cliché inévitable. De nos jours, des guerriers, toutes les équipes affirment en avoir au moins quatre ou cinq dans leurs rangs. Mais dans le temps, chez ce Canadien qui trébuchait trop souvent, quand on parlait du guerrier Koivu, ce n'était pas un cliché. C'était juste la vérité.

Ce guerrier-là, rappelons-nous, était arrivé ici en surmontant quelques obstacles. Au départ, il a débarqué de Finlande trop petit, avec tous les doutes que cela pouvait supposer. Par exemple, qu'allait-il faire contre les gros Bruins de Boston, quand ça allait brasser pour vrai au mois d'avril? Connaissait-il seulement le jeu physique comme on le pratique sur nos petites glaces inhospitalières?

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Il a été le capitaine du Canadien pendant 10 saisons - seul le grand Jean Béliveau aura porté le C aussi longtemps - et certains ont trouvé le moyen de douter encore plus. De remettre en question ses capacités de leader. Sans oublier le fait français. Mon Dieu, le fait français...

Puis, sans avertissement, il y a eu cette maladie. Vicieuse, hypocrite. Une maladie qui lui a brièvement coupé les ailes lors de la saison 2001-2002. Comment l'oublier? Surtout, comment oublier le soir du grand retour? Pour les plus jeunes partisans du club, ceux qui n'ont pas connu l'ivresse de 1986 ou 1993, ce moment-là, c'est un peu leur Coupe Stanley à eux: Saku droit sur la glace, conquérant, triomphant au visage du cancer, prêt à amorcer des lendemains plus heureux.

Dans l'histoire récente du club, il s'agit probablement du moment le plus fier. Du moment le plus fort.

Dans son dos, pour une raison que la raison ignore, il s'est dit des faussetés qu'aucun autre capitaine du Canadien n'a jamais eu à encaisser. Pas récemment, en tout cas. On a dit de lui qu'il n'avait pas le sort de l'équipe à coeur. Pourtant, j'ai encore en mémoire ce soir d'hiver dans un lobby d'hôtel de St. Louis, quand Koivu, les yeux rougis par l'émotion, avait été incapable d'accepter la transaction de Mark Recchi, son grand ami et l'un des vétérans du groupe.

On a dit de lui qu'il n'était pas un leader. Pourtant, c'est lui qui avait forcé tous ses coéquipiers à affronter les micros au terme d'une défaite gênante au Centre Molson. On a dit de lui qu'il était froid, désagréable et distant. Pourtant, je le revois me saluer du bâton depuis la glace de l'aréna Hartwall, à Helsinki, juste avant un entraînement de la formation finlandaise en vue de la Coupe du monde de 2004.

Ignorons tout ça pour ne retenir que l'essentiel: Koivu a mené ce club à sa façon, sans jamais se plaindre, malgré ces années de misère dans le camp tricolore, malgré ces coéquipiers peu talentueux qui l'entouraient trop souvent (Chad Kilger, quelqu'un?).

Ce ne sera jamais suffisant, remarquez. Encore aujourd'hui, certains se plaisent à rappeler que Saku Koivu n'a jamais gagné la Coupe Stanley. Il faudrait leur dire que le Canadien de la fin des années 90 et du tournant des années 2000 ne comptait pas sur plusieurs futurs membres du Temple de la renommée. Loin de là.

Oublions donc un peu cette bague qui lui a toujours échappé. Oublions donc un peu ces rares mots de français qu'il hésitait à prononcer devant les caméras. À Montréal, Saku Koivu a été un grand capitaine. Si certains de ses coéquipiers avaient eu son désir de vaincre, le Canadien de son époque aurait peut-être gagné plus souvent.

Ce guerrier-là aimait Montréal. Profondément. Il y a de ces joueurs qui, parfois, disent aimer notre ville et nos terres, mais qui ne le pensent pas vraiment. Ce n'était pas lui, ça. Lui, il aimait la place. Lui, il aimait porter ce maillot-là. Souvent, au terme de nos conversations téléphoniques estivales, il concluait avec la même phrase: «Tu diras salut aux gens de Montréal...»

C'est fait. Pour la dernière fois.