C'est curieux comme toute la saison de golf a été complètement oubliée depuis trois semaines. On ne parle plus que de Tiger Woods et pas vraiment pour ses exploits sportifs.

La révélation de l'infidélité du golfeur dans des circonstances étranges - un «accident» de circulation à 30 km/h, au petit matin, tout près de son domicile - est l'événement médiatique de l'année. Un comble pour un homme qui avait réussi à protéger sa vie privée pendant une douzaine d'années, même s'il était la plus grande vedette sportive de la planète.

On a donc beaucoup commenté l'affaire et nul doute qu'on le fera encore longtemps, même si Woods a rangé ses bâtons pour une période indéterminée. Le TigerGate a évidemment beaucoup de ramifications, mais il convient de revenir sur l'individu, d'une part, mais aussi sur son sport, d'autre part.

Le produit de modèles sexistes

De Tiger Woods, certains ont déclaré que ses frasques prouvaient qu'il était un être humain, pas seulement un robot. Joyeuse simplification, qui lui permettra sans doute de revenir bientôt en se présentant comme un «nouvel homme».

La réalité est toutefois moins «jolie». Tiger est le produit de deux univers profondément sexistes et machistes. Son père, militaire de carrière, l'a formé comme un soldat, à la dure, en lui inculquant le goût de la compétition, bien sûr, mais aussi une soif insatiable de la victoire et une hargne qui l'amène souvent à écraser ses rivaux.

Par ailleurs, le milieu du golf est l'un des plus conservateurs qui soient. Au-delà de l'histoire, du code d'honneur et de l'éthique, les clubs de golf ont longtemps été des bastions du racisme et du sexisme, Tiger lui-même en a largement témoigné au début de sa carrière. S'il a contribué à atténuer les dimensions racistes du sport, il n'a rien fait pour aider à améliorer la situation des femmes dans le golf.

On s'imagine parfois que les golfeurs sont plus «civilisés» que d'autres athlètes parce qu'il pratique un sport entouré d'une certaine noblesse. Sans même juger cette «noblesse» (on pourrait pourtant vite l'ébranler), il est de notoriété publique que plusieurs golfeurs sont aussi rustres que certains joueurs de baseball ou hockeyeurs, par exemple.

Un champion très populaire, vainqueur de tournois majeurs et encore actif, avait l'habitude de passer plusieurs soirées dans un bar de danseuses bien connu du centre-ville quand il venait dans la métropole.

Il en a le droit, là n'est pas la question, mais son exemple, qui était imité par plusieurs, permet de relativiser un peu l'image idéale du golfeur professionnel.

Ce sont d'ailleurs tous les golfeurs qui écopent de la chute du héros Tiger, car sa «perfection» rejaillissait sur l'ensemble de sa profession.

Retour à la réalité

Woods va certainement perdre beaucoup d'argent à la suite de ce scandale, mais ce n'est rien en comparaison des pertes que subira l'industrie du golf.

Personne ne sait quand Tiger va revenir au jeu, mais on peut déjà affirmer que le golf professionnel n'est pas près de revivre une période dorée comme celle qu'il connaît depuis son arrivée sur le circuit, en 1996.

Qu'il suffise de dire qu'en 13 ans, les bourses du circuit de la PGA sont passées de 70 millions en 1996 à 278 millions en 2009. Les cotes d'écoute de la télé ont atteint des niveaux record lors de ses victoires mémorables au Tournoi des Maîtres ou à l'Omnium des États-Unis.

Woods lui-même est devenu le premier athlète milliardaire de l'histoire et tous les golfeurs professionnels sont plus riches grâce à lui. En 2009, pas moins de 91 golfeurs ont remporté au moins 1 million en bourses.

Mais la réalité va maintenant rattraper le golf. Steve Stricker, le numéro trois mondial, a avoué le week-end dernier que le circuit de la PGA est entièrement dépendant de Woods. «Bien sûr, il est important pour les commanditaires et les réseaux de télé, a rappelé Stricker. Mais il est l'image même de la PGA. Sans lui, une bonne partie du grand public va se désintéresser des tournois.»

Mauvais «timing», la PGA doit renouveler cette année une douzaine de contrats de commandites de tournois, ainsi que ses ententes de diffusion à la télé. Avec la crise, on savait déjà que ce ne serait pas facile, mais l'absence de Woods place le circuit dans une position très vulnérable.

En misant tout sur son joueur vedette, en l'érigeant tel un demi-dieu au sommet de sa stratégie de communication, le golf professionnel s'est condamné à payer avec lui le prix de ses erreurs.

Et même le retour de Woods n'y changera probablement rien.