Plus vite, plus haut, plus fort. La devise olympique est devenue le refrain de nombreux détracteurs dans le monde du golf. Les golfeurs repoussent sans cesse les limites de leur sport, si bien que certains craignent qu’il ne devienne trop facile d’envoyer la balle au fond de la coupe. Or, le défi restera entier. Portrait de la situation.

Bryson DeChambeau en a effrayé plus d’un lorsqu’il est arrivé avec sa nouvelle musculature et ses exploits hors du commun en 2019. Certains avancent qu’il faudrait limiter le développement de nouveaux équipements. D’autres qu’il faudrait allonger les terrains. Le golf est-il devenu trop simple pour les professionnels ?

La réponse est unanime dans le milieu du golf : non. Au contraire. Évidemment, les nouvelles technologies et les méthodes d’entraînement sont favorables à des coups de départ plus longs. Néanmoins, le golf est encore un sport extrêmement difficile à maîtriser, même pour les meilleurs au monde.

Bryson DeChambeau a épaté tous les amateurs, ainsi que ses compétiteurs, lorsqu’il s’est présenté avec 30 lb supplémentaires en 2019. Trente livres de muscles. La distance moyenne de ses coups de départ est passée de 302,5 verges à 322,1 verges au cours de la saison qui a suivi. Il a ainsi battu un record de distance vieux de 17 ans. En 2021, le scientifique a augmenté cette moyenne à 323,7 verges par coup de départ.

Certains observateurs ont craint que le golf ne soit plus un défi assez significatif pour DeChambeau et les autres athlètes qui gagnent en puissance et en distance.

Une moyenne stable

Toutefois, même si ces éléments peuvent faire craindre le pire, les statistiques ne mentent pas. La moyenne du pointage par ronde disputée est restée relativement stable depuis 20 ans dans la PGA. En 2002, le score moyen du circuit était de 71,411 et le meilleur joueur était Tiger Woods avec un pointage moyen de 68,561. Aujourd’hui, la moyenne totale est de 71,344 et le joueur avec le meilleur score moyen est Cameron Smith avec 69,338.

Ce qui est beau du golf, c’est que même si tu frappes 350 verges, il faut quand même que tu finisses par la mettre dans le trou. Ce n’est jamais fini.

Antoine St-Jean, entraîneur à l’Université McGill, propriétaire du centre Génération Golf et entraîneur de l’année en 2021 chez PGA Québec

Rémy Arnaud, ingénieur à la fabrication chez Taylormade, abonde dans le même sens : « C’est évident que c’est un avantage pour Bryson, mais est-ce qu’il gagne tous les tournois auxquels il participe ? Non. Il a aussi fait des concessions et là, il est blessé depuis un moment. »

Selon Massimo Roch, fondateur et directeur de l’East Coast Pro, il est clair que le golf a subi plusieurs transformations. Les joueurs et l’équipement dont ils bénéficient sont meilleurs, certes. Néanmoins, il croit qu’il ne s’agit pas d’un problème si la compétition demeure égale et relevée. « Les gars jouent dans les mêmes conditions. Ils jouent tous sur le même terrain, la même journée, avec la même météo. Pour moi, il n’y a pas de problème. Faisons avancer le sport le plus possible et voyons où sont les limites du sport pour l’être humain. »

Le plus dangereux, à son avis, est de comparer les statistiques des joueurs d’aujourd’hui avec celles d’anciennes générations. Il est évident qu’il y a eu du progrès depuis l’ère Palmer, Nicklaus et Player. Cette différence n’est pas pour autant problématique. Elle est normale.

Lorsqu’il est question de régression, Antoine St-Jean pense aux golfeurs amateurs et récréatifs, qui comptent pour la majorité des golfeurs sur la planète. Les équipements à la fine pointe de la technologie aident ces golfeurs à générer plus de puissance, à être plus précis et, en fin de compte, à éprouver plus de plaisir.

C’est pourquoi Yohann Benson, professionnel du Club de golf Le Mirage, cadet professionnel et analyste à RDS, croit qu’il devrait exister deux standards d’équipements différents : un pour les professionnels et un pour les amateurs.

« Le PGA Tour est un animal différent. Les associations veulent imposer des limites très strictes sur l’effet trampoline sur la face du bâton, mais les fabricants seraient capables de faire des bâtons beaucoup plus performants pour monsieur et madame Tout-le-Monde. Il faudrait juste le réglementer pour que les professionnels ne puissent pas avoir ce genre de bâtons », a précisé Benson.

À ce sujet, Rémy Arnaud confirme que les fabricants ont déjà entamé ce virage, en accordant de plus en plus d’importance aux amateurs : « Taylormade était vraiment concentré sur le PGA Tour, il y a quelques années […] On a changé notre position et maintenant, on a seulement quelques golfeurs professionnels sur le Tour qu’on a vraiment ciblés, qui représentent nos valeurs et qui vont avoir peut-être une influence plus particulière sur les réseaux sociaux. On a vraiment changé cet aspect et maintenant, on se concentre plus sur le client. »

La véritable révolution

Tous les intervenants le confirment, le changement le plus significatif dans le monde du golf professionnel n’a pas été le gain de distance ou les nouveaux équipements, mais plutôt le fait que les golfeurs soient devenus de véritables athlètes.

Yohann Benson, qui côtoie régulièrement certains des meilleurs joueurs au monde, parle de « l’effet Tiger Woods ». Grâce au Tigre, les golfeurs sont devenus de grands athlètes, qui s’entraînent et qui passent de nombreuses heures au gymnase. Woods a imposé un mode de vie. C’était le seul moyen de pouvoir suivre son rythme à l’époque. C’est encore le cas aujourd’hui, d’autant plus que comme le confirme Benson, la plupart des joueurs sur le circuit de la PGA ont excellé dans d’autres sports, comme le baseball, le basketball ou le hockey, avant de choisir le golf.

« Même si tu leur donnais une branche de bambou avec une tête en bois, ils frapperaient la balle à 300 verges. Brooks Koepka peut soulever 250 lb au développé couché, ce n’est plus la même game. On se fait constamment parler d’équipement, mais Koepka pourrait être un secondeur dans la NFL ! C’est ça, le gros changement », a ajouté Benson.

PHOTO ERICH SCHLEGEL, USA TODAY SPORTS

Brooks Koepka

Aujourd’hui, c’est davantage le fait que les golfeurs prennent soin d’eux qui favorise l’acquisition de puissance. Benson observe le même phénomène chez les golfeuses de la LPGA. Il prend en exemple les sœurs Nelly et Jessica Korda. « Les sœurs Korda pourraient exceller dans différents sports, elles s’entraînent comme des forcenées », explique-t-il. Nelly est au deuxième rang du classement mondial, a 22 ans, mesure 5 pi 7 po et la distance moyenne de son coup de départ est de 268,64 verges.

« Il y a une prise de conscience des joueurs et on s’adapte à cette évolution, souligne Rémy Arnaud. Avec des taux de rotation de balle et des angles de lancement qui sont différents d’il y a 10 ou 15 ans. Les balles vont très haut, très vite. Avant, elles étaient beaucoup plus basses et avaient plus de roulement. Nos bâtons sont vraiment programmés pour augmenter la performance, que ce soit en matière de vitesse de balle, de distance ou de tolérance. »

Malgré tout, jouer au golf ne devient pas nécessairement plus facile, selon Antoine St-Jean. Le sport devient plus simple à analyser. Avec les nouvelles méthodes d’entraînement, les cueillettes de statistiques avancées et des outils technologiques comme le Trackman, qui est capable de décortiquer un élan avec des tonnes de données et d’images, les golfeurs travaillent beaucoup mieux et s’améliorent plus facilement.

Avant, ils frappaient des balles pour frapper des balles et ils s’amélioraient à la longue. Aujourd’hui, ils peuvent frapper 100 balles dans la journée et ce sera mieux que de frapper 1000 balles sans savoir ce qu’ils font. C’est plus rentable.

Antoine St-Jean, entraîneur à l’Université McGill

Même si ces changements de paradigme, de culture et d’approche peuvent être vertigineux, tous les intervenants rencontrés s’entendent pour dire que c’est bénéfique pour le golf. Le sport n’a jamais été aussi spectaculaire, relevé et tendance.

La puissance est une chose, certes, mais les meilleurs joueurs au monde, actuellement, ne sont pas nécessairement de gros cogneurs. Scottie Scheffler, Cameron Smith et Collin Morikawa ne sont pas les plus dominants en matière de distance de frappe, mais ils excellent dans toutes les facettes du jeu, notamment avec leur jeu court.

Le golf est un sport difficile et il le restera. Heureux constat pour les amateurs de salon qui aiment profiter de leur dimanche, mais conclusion un peu moins charmante pour les golfeurs amateurs qui espèrent fracasser la marque des 90 avant longtemps.