Comme le nom de George Chuvalo sera toujours associé à celui de Muhammad Ali, le mien est resté collé au 17e trou du club de golf TPC Sawgrass. On a tous les deux livré une bonne bataille contre des adversaires coriaces, mais à la fin, on a dû s'avouer vaincu. Par décision pour Chuvalo, par addition pour moi.

C'est quand même bien de pratiquer un sport où il n'y a pas de juges ou d'arbitres pour influencer les résultats. On additionne les coups, un par un, et celui qui en a le moins à la fin peut soulever le gros chèque le dimanche après-midi.

Le 17e trou est une toute petite normale 3 de 137 verges, mais elle inspire le plus grand respect (le fait qu'elle est entièrement entourée d'eau y est sûrement pour quelque chose). Certains joueurs avouent commencer à y penser plusieurs trous avant d'y arriver. Pour d'autres, ça remonte jusqu'au réchauffement, soit plus de cinq heures avant d'avoir à l'affronter. Si vous pouvez rester dans le moment présent et ne pas y penser avant d'avoir à y faire face (sans l'aide de drogues dures), vous êtes l'exception, ou menteur.

Je ne sais pas si Pete Dye, l'architecte du parcours, l'a fait exprès, mais le 16e, une courte normale 5, partage sur son côté droit l'immense étang qui entoure le vert du 17. On commence à voir l'eau (et l'île) au deuxième coup, et même si on s'efforce de regarder ailleurs, on ne peut pas ignorer les réactions de la foule, ce qui nous dit exactement où chaque coup s'est arrêté. Les applaudissements polis pour une balle sur le vert, et bien nourris pour un coup en dedans de 10 pieds.

Puis, il y a des sons qu'on associerait plus à Rocco Siffredi qu'à Rocco Mediate, quand une balle s'approche dangereusement du trou. Mais ce qui étourdit le plus, ce sont les longs murmures parsemés d'éclats de rire, évidence auditive claire qu'une autre balle a rejoint les alligators.

Et les pires sont les longs applaudissements accompagnés d'encouragements, signe qu'un joueur a épuisé sa réserve de balles avant de finalement toucher terre. Le même genre d'encouragements qu'on réserve au skieur qui franchit la ligne d'arrivée 3 minutes 29 secondes derrière le meneur après avoir perdu un ski et le quart de son quotient intellectuel au huitième virage.

Zone de confort

Mon expérience avec l'île remonte à 1982 et à la qualification finale pour la fameuse carte qui donne accès au circuit de la PGA. Deux cents joueurs qui bataillent pour une des 50 places disponibles. La qualification se jouait sur deux parcours: le Sawgrass, situé plus près de l'océan et le tout nouveau TPC (Tournament Players Club), deux rondes au Sawgrass et quatre au TPC.

Le Sawgrass était le plus difficile des deux, mais je n'avais jamais rien vu comme le TPC. Chaque coup devait être frappé à un endroit précis, et les obstacles étaient tellement sévères. Les lacs touchaient les verts, il y avait des waste bunkers, des fosses de sable qui pouvaient mesurer plus de 100 verges de longueur avec des plantations d'arbustes pour attraper les balles. Les buttes en bordure des allées étaient aussi à éviter, car si la balle s'y arrêtait, on devait exécuter un coup qu'on n'avait jamais eu l'occasion de pratiquer de notre vie.

Les bordures de lacs en planches de bois, les monticules pour spectateurs, les verts durs et pleins de bosses et de plateaux, tout était en place pour que le joueur se retrouve bien en dehors de sa zone de confort.

Je frappais bien mes fers en ce temps-là, aussi bien que n'importe qui, et ma confiance était bonne. J'avais commencé la dernière ronde en 21e place, une bonne position pour terminer parmi les 50 premiers, mais le dernier tour allait être compliqué. Le vent a tourné au nord et la température a chuté d'une trentaine de degrés (Fahrenheit, pour mieux se situer dans le temps), tous les trous se jouaient soudainement avec un vent venant d'une direction contraire à ce qu'on s'était habitués... facile pour personne.

J'avais réussi à bien m'en tirer sur le 17e, trois normales faciles à mes trois premiers passages, mais pour la ronde finale, le vent était de face, au lieu du fer 9 tranquille habituel, j'hésitais maintenant entre un 6 et un 7.

J'entends encore les longs murmures parsemés d'éclats de rire.

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Jean-Louis Lamarre est professionnel au club de golf Beloeil