Plus de 15 ans après son test antidopage positif et ses aveux subséquents, Geneviève Jeanson a « tourné la page ».

Libérée de ses démons et réconciliée avec le sport – et son ancienne rivale Lyne Bessette –, la cycliste et entraîneuse s’engage dans la promotion de la pratique du sport de façon saine et sûre.

« C’est mon devoir de partager mon histoire », estime Jeanson dans une balado qui sera diffusée ce mercredi par l’organisme Sport’Aide, dont elle devient une porte-parole.

Après une « reconstruction » toujours en cours qui lui demande « beaucoup de travail et beaucoup de patience », la femme de 41 ans se sent maintenant prête à prendre la parole publiquement, quitte à s’exposer à la critique.

Elle a véritablement entrepris cette démarche en 2020 en écrivant une lettre ouverte à l’Union cycliste internationale (UCI) dans laquelle elle se désolait de la sanction trop clémente accordée à un gérant d’équipe belge auteur de multiples abus.

« J’étais rendue à un point où je me fichais de ce que les gens allaient penser, explique-t-elle. Je devais partager pour aider les autres. J’ai grandi au point où je ne peux pas garder ça pour moi. Si ça peut en aider une, donner des idées, ouvrir l’esprit aux fédérations internationales, au CIO… […]

« Je suis tellement bien dans ma peau maintenant. J’ai été brisée pendant plusieurs années, mais ça s’est reconstruit. Ma vie est riche. Je l’adore et je suis bien. Je suis prête à prendre toutes les critiques. Mais pour les femmes et les athlètes en général, je ne peux pas rester silencieuse. »

Dans la balado, enregistrée l’été dernier dans le gym de son conjoint où elle est entraîneuse-chef, Jeanson est entourée de Sylvain Croteau, directeur général de Sport’Aide, et de Louis Barbeau, directeur général de la Fédération québécoise des sports cyclistes (FQSC).

S’interrogeant lui-même sur le rôle qu’aurait pu jouer la FQSC auprès de la jeune cycliste, Barbeau est à l’origine de sa rencontre avec Sport’Aide, en décembre. Interpellé par sa lettre à l’UCI, le DG de la FQSC a écrit à Jeanson, qu’il connaît depuis qu’elle a 11 ans.

« Je voulais prendre de ses nouvelles et lui dire que je trouvais courageux et généreux ce qu’elle avait fait, a-t-il relaté en entrevue lundi. Quand ça fait plus de 10 ans que tu n’es plus dans le milieu, tu ne dois rien à personne. […] Elle n’a tué personne et payé cher pour ce qu’elle a fait. »

Elle a quand même été suspendue 10 ans. Peu de cyclistes ont eu des sanctions aussi sévères.

Louis Barbeau, directeur général de la Fédération québécoise des sports cyclistes

Soulignant que Jeanson « coche toutes les cases en matière de violence sportive », Sylvain Croteau a su dès « les premières minutes » de sa rencontre qu’il souhaitait établir une collaboration.

« C’était un no brainer, a assuré le DG de Sport’Aide. Pour moi, c’était clair qu’elle n’était pas là pour redorer son image. Elle ne recherchait pas ça et elle n’avait pas besoin de ça dans la vie. C’était vraiment pour elle une intention de venir changer quelque chose dans la pratique sportive, mettre son grain de sel dans la discussion et faire en sorte que les jeunes aient une expérience positive. »

« C’était l’horreur »

Pour Jeanson, ce fut tout le contraire dès l’âge de 14 ou 15 ans, moment où son ex-entraîneur André Aubut, qu’elle ne nomme jamais, a commencé ses abus. D’abord de façon « minuscule », jusqu’à commettre une agression sexuelle et un viol, comme elle en avait témoigné lors d’un webinaire de l’Agence de contrôles internationale (ACI) contre le dopage, en avril.

« De 14 ans jusqu’à ma retraite à 24 ans, c’était l’horreur », a résumé Jeanson dans la balado.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Geneviève Jeanson en 2001

Louis Barbeau raconte comment l’adolescente enjouée se renfermait dès que son entraîneur s’approchait. Comme après ce vol vers la Colombie-Britannique pour les championnats canadiens de 1998, où elle avait rigolé avec le coéquipier assis à ses côtés.

« Lorsque son entraîneur s’est présenté à l’aéroport, c’est comme si on venait d’éteindre toutes les lumières, a-t-il raconté. J’ai vu un changement. Ça devenait très sérieux, sombre. C’est la Geneviève qu’on a pu observer dans les années qui ont suivi. »

La principale intéressée juge que la meilleure façon d’éviter un tel péril est l’éducation de l’athlète et de son entourage.

« En tant qu’athlète, tu veux faire plaisir à ton coach. Tu aimes gagner, tu veux te pousser. On est souvent super vulnérables et on dépend un peu de nos performances. Notre estime de soi est souvent reliée à ça. Notre vision d’un entraîneur sévère mais sain par rapport à un entraîneur sévère mais malsain, elle est brouillée. »

Dans une lettre qu’elle adresse à la « petite Geneviève » dans le cadre de sa collaboration avec Sport’Aide, elle s’invite justement à écouter ses signaux intérieurs.

« Si t’as une boule dans l’estomac, le cœur lourd ou l’esprit embrouillé, ce n’est pas normal, écrit-elle. Crois-moi, Geneviève, rien de tout ça n’est normal. Je peux t’en parler, car je l’ai malheureusement vécu pour les mauvaises raisons. Ça et cette maudite obsession de gagner. »

Lisez la lettre

À la longue, elle s’est mise à penser que ce qu’elle vivait était « acceptable ».

« On te dira peut-être que j’ai fait de mauvais choix. Oui, c’est vrai. Mais quelle autre solution avais-je ? J’étais seule. J’avais peur que personne ne me croie et j’avais aussi peur de tout perdre. J’avais tellement peur de tout et de perdre mon entraîneur que j’en étais même venue à me souhaiter un accident à vélo ! »

Son plus grand regret est qu’elle ne connaîtra jamais sa véritable valeur athlétique. Son « petit cœur brisé » envie « Hugo Houle et toute la gang de boys au Tour de France » qui ont la chance de vivre une expérience positive.

J’aurais aimé savoir ce que c’est, mon talent, sans toute la panique du dopage, avec un entraîneur super positif qui ne m’aurait pas traumatisée à ce point-là.

Geneviève Jeanson

Inspirée par deux cyclistes professionnelles européennes dont elle est aujourd’hui mentore, Jeanson a renoué avec la course à vélo de gravelle cette année.

« Je n’ai peut-être pas eu ces expériences-là dans la vingtaine, mais ça ne veut pas dire que parce que j’ai maintenant 40 ans, je ne peux pas changer cette connexion que j’ai avec la compétition, les entraînements difficiles et les gens du sport. J’ai encore la possibilité de créer de nouvelles connexions dans mon cerveau et d’avoir de bons souvenirs. »

Jeanson ne cache pas que ce retour, amorcé tout doucement et sans attentes, a rallumé « la petite flamme » en elle. Elle a trouvé un entraîneur avec qui elle découvre avec bonheur la notion de collaboration.

« Après quelques courses, pas que je suis tannée d’être en arrière parce que je ne le suis pas, mais j’ai hâte d’animer. Ça revient tranquillement ! »

Dimanche, elle était sur la ligne de départ des 100b7, l’épreuve amicale organisée pour la 10fois par Lyne Bessette dans la région de Lac-Brome. En juillet, les deux anciennes rivales avaient déjà renoué dans le cadre de la Buckland sur Gravelle, une course de 130 km disputée près du Massif du Sud. Bessette avait terminé troisième suivie de… Jeanson.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE GENEVIÈVE JEANSON

Geneviève Jeanson et Lyne Bessette

Geneviève Jeanson est également la vedette d’une bande dessinée produite par Sport’Aide dans laquelle elle invite un garçon poussé par un entraîneur obsédé par la victoire à retrouver le plaisir de pédaler. La BD sera offerte dès vendredi.