En dépit de l’abandon hâtif du héros local Hugo Houle, le Grand Prix cycliste de Montréal s’est terminé en apothéose avec la victoire spectaculaire de Tadej Pogačar, qui a devancé au sprint son dauphin, le grand favori Wout van Aert, dimanche après-midi.

Échappé pendant une bonne partie de la journée, Antoine Duchesne a pris le relais de son ami Houle à l’occasion de sa toute dernière course, qu’il a conclue avec plusieurs minutes de retard, mais les bras dans les airs devant un public comblé au pied d’un mont Royal surchauffé.

Discret à Québec deux jours plus tôt, Pogačar s’est montré à la hauteur de son statut de premier mondial à son premier essai sur le mythique parcours des Mondiaux de 1974.

Pour y arriver, le double champion du Tour de France a reçu un précieux coup de main de ses coéquipiers de UAE – merci à Davide Formolo – qui ont travaillé van Aert au corps à partir de la mi-course.

L’opération des Émiratis a permis d’isoler le finisseur belge de la Jumbo-Visma, qui a dévoilé une première fissure dans son armure dans la dernière des 18 ascensions de la voie Camillien-Houde.

Peut-être inspiré par son nouveau roi Charles III, le Britannique Adam Yates (Ineos) a provoqué la sélection finale en contre-attaquant à la suite de son coéquipier Dani Martínez à quelques centaines de mètres du sommet.

Pogačar, van Aert, le Français David Gaudu (Groupama) et le jeune Italien Andrea Baggioli (Quick-Step), invité-surprise du quintette, ont été les seuls à pouvoir s’accrocher à la roue de Yates. Le malheureux Romain Bardet (DSM) a raté le coup de peu.

Rapidement, il est devenu évident que la victoire se jouerait entre ces cinq coureurs, malgré une tentative de Gaudu dans le dernier talus avant de tourner sur l’avenue du Mont-Royal.

Premier de cordée dans l’ultime kilomètre sur l’avenue du Parc, van Aert s’est astucieusement déporté vers l’extérieur dans la cuvette du dernier virage en épingle, laissant Gaudu prendre l’initiative. Le grimpeur a zigzagué comme il a pu, mais il a été forcé de lancer le sprint aux 300 m.

Pogačar a réagi pour regagner les deux ou trois longueurs de vélo concédées, avant d’en ajouter une couche à une centaine de mètres de la ligne.

Le Slovène de 23 ans a rappelé à tous à quel point il est (aussi) un formidable puncheur, laissant van Aert en plan pour filer vers son 14bouquet de la saison.

Baggioli, Yates et Gaudu, tête baissée, ont suivi dans l’ordre.

« Il n’y avait que les meilleurs coureurs au monde dans ce groupe », a souligné Pogačar en conférence de presse au sous-sol de l’église portugaise Santa Cruz, en plein cœur du Plateau.

« Il y avait en particulier le maillot vert du Tour [van Aert], qui a pratiquement gagné tous ses sprints cette saison. De réussir à le battre, et tous les coureurs qui étaient devant… Ouais, quand j’ai traversé la ligne, j’étais incrédule et si heureux. C’était incroyable. »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Tadej Pogačar

Soulignant l’excellent travail de ses coéquipiers, particulièrement celui du Norvégien Tobias Foss, qui a encore roulé devant pour contrôler l’échappée, van Aert a tiré son chapeau à Pogačar.

« Je devais vraiment survivre dans la plus longue montée. J’ai réussi à m’accrocher de justesse, mais ça m’a aussi tué. Au sprint, Tadej était plus fort. […]. J’étais dans sa roue, ce qui était mon but, mais au moment où je devais le dépasser, je n’avais plus rien dans les jambes. J’ai même dû lancer le vélo pour battre Baggioli pour la deuxième place. »

Duchesne, pour la dernière fois

Une douzaine de minutes après cette bagarre au sommet, Duchesne a franchi le dernier kilomètre sous les acclamations de la foule et de sa famille venue l’encourager pour son chant du cygne. Ses cinq derniers compagnons de route l’ont évidemment laissé rouler devant jusqu’au bout.

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Antoine Duchesne

Duchesne est tombé dans les bras de son coéquipier Anthony Roux qui, affublé d’une casquette « Québec » kitsch à souhait, tirait aussi sa révérence du cyclisme professionnel.

Les journalistes ont laissé une grosse minute au Québécois, qui a pu absorber les derniers hourras des spectateurs.

Heureusement qu’il y avait ce public parce que je n’ai vraiment pas passé une belle journée sur le vélo.

Antoine Duchesne

Après un départ sur les chapeaux de roue, le Saguenéen d’origine a vite senti que ses jambes ne lui permettraient pas d’offrir grand-chose à ses coéquipiers Gaudu ou Michael Storer vers la fin de l’épreuve de 221,4 km et 4842 m de dénivelé, bouclée à une moyenne de 36,94 km/h. « Aussi bien prendre un peu de plaisir » et partir à l’avant…

Accompagné des Andreas Leknessund, Antonio Nibali, Florian Vermeersch, Théo Delacroix et du pauvre Eddy Finé, victime d’une crevaison et éjecté sur chute, Duchesne a tenu tête au peloton principalement mené par les Jumbo-Visma pendant quelque 150 km.

Repris dans l’ascension de Polytechnique, le nouveau père n’a quasiment pas eu à pédaler, bénéficiant des poussées de ses collègues.

J’ai eu de gros frissons toute la journée. Plein d’amis étaient là. Ça faisait chaud au cœur d’avoir tout le monde près de moi. Ça ne peut pas être une plus belle fin. Choisir sa fin et finir à la maison comme ça, c’est top.

Antoine Duchesne, qui a passé la majorité de l’épreuve en échappée, avant de franchir la ligne quelques minutes après le peloton

Vidé, le maillot maculé de sel, celui qui fêtera son 31anniversaire ce lundi a même refusé la bière froide tendue par un ami. Il n’a cependant pas pu dire non à l’invitation de son pote Guillaume Boivin, qui a fait venir ce « pilier du cyclisme canadien » sur le podium durant la cérémonie protocolaire pour lui remettre son trophée de meilleur Canadien de l’épreuve.

« Moi, je pense que c’est lui, le meilleur Canadien », a tranché Boivin en prenant le micro.

Voyez Antoine Duchesne et Guillaume Boivin sur le podium

Frustré par un ennui mécanique à Québec, Boivin a pu faire amende honorable sur les routes montréalaises, s’accrochant jusque dans la dernière montée de Camillien-Houde pour contribuer au placement de Sep Vanmarcke (15e) et Jakob Fuglsang (28e), dont la maigre récolte de points n’aura pas vraiment racheté la déconvenue d’Israel-Premier Tech sur les classiques canadiennes.

« Ça a été vraiment une course difficile », a commenté Boivin quelques minutes après l’arrivée, le visage encore barbouillé de résidus de bitume. « [Les coureurs de] UAE ont commencé à mettre de la pression avec sept, huit tours à faire, ce qui est vraiment très tôt. Déjà qu’on avait fait les deux premiers tours super fort avant que l’échappée parte. Avec la chaleur, c’était selon moi le Grand Prix de Montréal le plus dur qu’on n’a jamais eu. »

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Guillaume Boivin au Grand Prix cycliste de Québec, vendredi

À son neuvième départ dans la métropole depuis l’édition inaugurale de 2010, Boivin a rallié l’arrivée au 37rang, à deux minutes du gagnant.

Ce n’est pas la température que je préfère, mais je pense que tout le monde a souffert toute la journée. Il n’y a rien d’autre à dire : j’ai donné tout ce que je pouvais avec les jambes que j’avais. Dans des courses comme ça, on peut seulement s’incliner devant plus fort que nous.

Guillaume Boivin

Il n’a pas été surpris d’apprendre que le vainqueur s’appelait Tadej Pogačar. Houle non plus, lui qui en avait fait son favori avec Gaudu pour s’imposer après son forfait à la fin du premier tour.

Éprouvé physiquement et drainé mentalement, il n’avait tout simplement plus rien dans les jambes pour le Grand Prix de Montréal. Il a été le premier des 69 partants qui ont abandonné l’épreuve.

Le représentant d’Israel-Premier Tech a expliqué s’être coincé le cou en se réveillant durant la nuit de vendredi à samedi, un état qui s’était empiré dimanche matin. Des traitements de massothérapie et d’ostéopathie ne l’ont soulagé que partiellement.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Hugo Houle a rapidement abandonné dimanche.

« Je n’ai juste aucun feeling, pas d’énergie, s’est-il désolé. Au fil des prochains jours, je ferai différents tests pour tenter de comprendre pourquoi je me sens si mal sur le vélo. Je voulais essayer, mais j’ai vite compris qu’il n’y avait rien à faire. Je me sentais juste bizarre. Même si j’avais voulu pousser, ça m’aurait donné quoi ? Un tour, deux tours de plus ? Je n’avais pas envie de m’imposer cette souffrance. »

Le vainqueur d’étape au Tour de France a promis de se reprendre. « Je suis désolé pour tout le monde qui s’est déplacé, mais vous pouvez être sûrs que je vais revenir plus fort l’année prochaine. Je l’ai déjà en tête. »