(Québec) À 17 ans, Antoine Duchesne s’est acheté un billet aller simple pour la France avec l’ambition de devenir cycliste professionnel, après avoir découvert le cyclisme pendant son adolescence sur les routes du Saguenay.

Treize ans plus tard, après deux Tours de France, des Jeux olympiques, de multiples championnats du monde et un titre national, le « petit gars de Chicout’ » est prêt à tourner la page.

« Jamais je n’aurais pensé être ici 13 ans plus tard pour vous dire que ce rêve-là, je l’ai fait », a expliqué un Duchesne émotif en annonçant sa retraite à la fin de la saison.

Dans une petite salle d’un hôtel de Québec, jeudi après-midi, le silence était total. Seuls le cliquetis des caméras et les cris du petit Jules, quatre mois et demi, l’ont interrompu.

Nouveau père de famille, Duchesne a changé ses priorités. À 30 ans, il était pourtant au sommet de son art. En juillet, il a conclu son deuxième Tour dans l’euphorie après avoir été un précieux allié pour son capitaine David Gaudu, quatrième de l’épreuve.

Son équipe française, Groupama-FDJ, souhaitait prolonger son contrat pour une sixième année. Israel-Premier Tech avait aussi témoigné de l’intérêt pour lui.

« On voit peu ça des coureurs, a souligné le principal intéressé. Refuser des contrats quand ils auraient pu continuer et tirer leur révérence quand ils sont encore jeunes. Pour moi, c’est ce qui rend l’histoire plus belle. On a tendance à voir les fins comme tristes. Mais quand quelqu’un choisit son moment, c’est plutôt une occasion de s’arrêter, de regarder derrière et de célébrer ce qui a été fait. »

Blagueur comme d’habitude en posant avec ses amis Hugo Houle et Guillaume Boivin avant son annonce-surprise, Duchesne a dû s’arrêter quelques fois durant son discours prononcé avec prestance et sans notes.

« C’est émotif en ce moment, mais je n’ai vraiment aucune tristesse, a-t-il précisé. Je ressens beaucoup de fierté. »

Au bout du compte, l’appel de la famille a été plus fort que tout.

J’ai toujours dit que la famille était ce qu’il y a de plus important. Aujourd’hui, j’agis en conséquence.

Antoine Duchesne

PHOTO YVES PERRET/GPCQM

Antoine Duchesne avec sa femme, Chloé Rochette, et leur fils Jules

« Faire ma job »

Après neuf saisons dans le peloton européen, il n’a aucun regret ni aucune amertume.

« J’ai beaucoup de gratitude pour l’expérience que j’ai eu la chance de vivre. Tout, les hauts comme les bas. Surtout les bas. J’en ai eu pas mal. Ce sont ceux-là qui ont forgé l’homme que je suis. »

Coureur au tempérament offensif, Duchesne a su exploiter au maximum un talent qui ne sautait pas aux yeux à ses débuts.

« C’est un fighter », a résumé le cycliste Guillaume Boivin, venu assister à la conférence de presse de son ami. « Plus jeune, Antoine n’était pas celui qui gagnait toutes les courses. Il s’est toujours battu pour devenir pro. […] La persévérance et la résilience, c’est ce qui le caractérise beaucoup. »

Après une saison avec l’équipe américaine Bontrager, Duchesne a suivi les traces du nouveau retraité David Veilleux chez Europcar en 2014.

Deux ans plus tard, il a obtenu le maillot à pois de meilleur grimpeur à Paris-Nice, ce qui lui a valu une première invitation au Tour de France. Il est donc devenu le deuxième natif du Québec après Veilleux à disputer la plus grande épreuve cycliste au monde.

En août 2016, il s’est aligné à la course sur route des Jeux olympiques de Rio avec Hugo Houle et Michael Woods.

Un an plus tard, Jean-René Bernaudeau, manager de ce qui était devenu DirectEnergie, l’a brutalement laissé tomber simplement parce qu’il avait décidé d’être représenté par un agent.

Marc Madiot l’a recruté chez FDJ, effectif bleu-blanc-rouge avec lequel il donnera donc ses derniers coups de pédale en compétition. D’abord pressenti pour préparer les sprints d’Arnaud Démare, il a noué une relation particulière avec le grimpeur vedette Thibaut Pinot, qui est maintenant un proche.

Équipier modèle, il a passé le reste de sa carrière à servir les intérêts de ses lieutenants, un travail qui l’enchantait.

« C’est ce que j’ai toujours rêvé de faire. Je n’ai jamais regardé mes résultats. Je n’ai jamais aspiré ou cherché à gagner des courses. Bizarrement, j’ai toujours aimé faire ma job, faire mon métier comme ça. »

Il a néanmoins remporté le titre canadien en 2018, chez lui, à Saguenay. Il a également pris part à deux autres grands tours, le Giro (2021) et la Vuelta (2015 et 2018).

Souvent ralenti par des ennuis de santé, Duchesne a raté deux occasions de revoir le Tour. D’abord en 2019, année à la fin de laquelle il a subi une opération pour débloquer une artère dans une jambe, ensuite en 2020, quand une mononucléose l’a cloué au lit à quelques semaines du départ.

Après avoir songé une première fois à la retraite, il s’est battu pour revenir à son meilleur niveau en 2022.

Après une deuxième sélection pour le Tour qui a fait sourciller quelques commentateurs en France, le Canadien de Groupama a vécu une apothéose avec Pinot, Gaudu et le reste du groupe, soulevant les foules avec ses facéties lors des présentations d’avant-course : « Je dis Groupama, vous dites FDJ… »

La victoire d’étape du « caporal Houle » a été un autre moment fort qu’il a pu partager avec son ami et ex-coloc. Les deux s’étaient brièvement brouillés après une mésentente en course aux Championnats canadiens de 2021 disputés en Beauce.

Souvenir du Tour de France

« Ça prend du courage pour s’arrêter quand on est au sommet de sa forme, mais je suis certain qu’il est en paix avec sa décision », a commenté Houle, qui s’était aussi déplacé.

« Antoine, c’est un homme joyeux, toujours prêt à déconner, qui ne se prend pas au sérieux et avec qui on peut toujours avoir du plaisir. C’est certain qu’il va nous manquer dans le peloton pour dire des niaiseries. »

Les yeux de Duchesne se sont embrouillés quand il a relaté l’arrivée de la dernière étape du Tour sur les Champs-Élysées, où il s’est glissé dans l’ultime échappée. À la fin, Houle et lui se sont laissés décrocher du peloton pour franchir la ligne côte à côte.

Toute ma famille était sur le bord de la route. Quand on a viré à droite, avec l’Arc de Triomphe au fond, c’était un méchant high. Un méchant high.

Antoine Duchesne

Même s’il se remet d’une fracture à un doigt, Duchesne tentera d’en vivre un dernier en s’alignant aux Grands Prix de Québec et de Montréal, ce vendredi et dimanche.

Plusieurs projets lui trottent dans la tête, mais il veut d’abord prendre le temps de décanter sa décision dans les prochains mois.

« Ça fait peur de se lancer un peu dans le vide, mais je ne vous annonce pas que je pars un vignoble, a précisé cet œnophile. Peut-être un jour, mais pas demain matin. »

Comme le futur retraité l’a conclu après les remerciements d’usage jeudi : « Ç’a été une crisse de ride… »

Le 11e Grand Prix cycliste de Québec

  • Départ à 11 h pour 16 boucles d’un circuit de 12,6 km
  • Total de 201,6 km
  • Dénivelé positif total de 2976 m
  • Diffusion intégrale à TVA Sports et gratuitement sur l’internet avec l’application TVA+

Cinq coureurs à suivre au Grand Prix cycliste de Québec

Wout van Aert (Jumbo-Visma)

Archétype du coureur moderne, bon sur tous les terrains, Wout van Aert est le grand favori de tous pour s’imposer à Québec sur un parcours qu’il découvrira. Le Belge de 27 ans connaît une saison fumante, marquée par trois victoires et le maillot vert au Tour de France, où il a également chaperonné le vainqueur Jonas Vingegaard en haute montagne. Personne ne voudra arriver sur la ligne avec lui, mais comment déjouer une armada aussi puissante que celle de Jumbo-Visma ? Apparemment invincible, il s’est fait surprendre par Marco Haller à la classique de Hambourg et même David Gaudu sur une étape du Dauphiné où il avait levé les bras trop tôt…

Michael Matthews (BikeExchange)

PHOTO MARCO ALPOZZI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Michael Matthews

Hyper motivé par son statut de leader unique en vue des Championnats du monde chez lui en Australie, Michael Matthews ne s’est pas arrêté après le Tour de France, où il a décroché l’une des plus belles victoires d’étape en solo à Mende. Le cycliste de 31 ans a passé trois semaines en altitude avant de reprendre la compétition à la fin du mois dernier. Le sprinteur australien a relancé sa carrière après sa victoire à Québec en 2018. « Bling » a doublé la mise lors de la dernière présentation. Seule ombre au tableau : son équipe australienne BikeExchange ne semble pas avoir délégué son plus fort effectif pour les épreuves canadiennes.

Tadej Pogačar (UAE)

PHOTO YAN DOUBLET, LE SOLEIL

Tadej Pogačar

Tadej Pogačar peut-il dynamiter la course dans le Vieux-Québec ? La question est légitime au sujet du Slovène de 23 ans. Deuxième vainqueur le plus précoce du Tour de France à 21 ans en 2020, le joyau de l’équipe UAE a récidivé l’année suivante. Sa deuxième place cette année après une seule défaillance dans le col du Granon a été perçue comme un échec… Sans être un spécialiste – pour le moment ! –, il a montré son potentiel hors norme sur les classiques également en remportant Liège-Bastogne-Liège et le Tour de Lombardie l’an dernier. Avec ses airs de gamin, son plaisir communicatif et son sens du spectacle, il ne faut pas s’attendre à le voir rester sagement dans le peloton…

Biniam Girmay (Intermarché Wanty Gobert)

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Biniam Girmay

Parlant de sens du spectacle, Biniam Girmay n’en manque certes pas ! Véritable dynamo ce printemps, l’Érythréen de 22 ans est passé à l’histoire en décrochant le bouquet à Gand-Wevelgem, premier Africain à réaliser l’exploit dans une course de cette envergure. Il a ensuite enlevé une étape au Tour d’Italie, mais il a dû déclarer forfait le lendemain après s’être envoyé dans l’œil le bouchon de liège de la bouteille de Prosecco qu’il ouvrait sur le podium… La pépite d’Intermarché est en forme, comme en témoigne sa sixième place à la classique de Plouay il y a deux semaines. Prière de déboucher le magnum de champagne d’avance si Girmay s’impose comme il en est capable.

Pier-André Côté (Équipe nationale)

PHOTO RUI VIEIRA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Pier-André Côté

Pier-André Côté ne figure peut-être pas parmi les favoris, mais il peut légitimement viser un résultat parmi les 20 premiers dans la Grande Allée. Ébranlé par une récidive de cancer à sa mère, qui s’est fait opérer au cerveau, le coureur de Lévis est allé décrocher une victoire très chargée en émotion aux championnats canadiens d’Edmonton, où il a devancé Guillaume Boivin au sprint, en juin. Plus tôt, il avait obtenu un premier succès en Europe au Grand Prix Criquielion, en Belgique. Le GP de Québec, où il s’était glissé dans l’échappée à son premier essai en 2017, est un terrain de jeu idéal pour le finisseur, qui affectionne les sprints en faux plats montants. Il sera facile à repérer dans son maillot distinctif blanc et rouge de champion national…