La majorité des meilleurs cyclistes canadiens brilleront par leur absence aux Championnats du monde sur route de Wollongong, en Australie, du 18 au 25 septembre.

Après Hugo Houle, qui avait annoncé son forfait à La Presse à la veille de l’arrivée du Tour de France, Michael Woods, Guillaume Boivin et Antoine Duchesne ont tous préféré passer leur tour. Ils déplorent de devoir assumer le coût du billet d’avion pour se rendre à l’évènement.

La fatigue de la saison, le long vol vers les antipodes et la nécessité d’amasser des points pour éviter la relégation de son équipe professionnelle Israel-Premier Tech (IPT) sont trois raisons invoquées par Houle pour expliquer son désistement.

Mais la demande de la fédération canadienne de se déplacer à ses frais l’a particulièrement agacé, pour ne pas dire choqué.

« On ne voit pas l’intérêt »

« Cyclisme Canada n’a pas les moyens de payer pour envoyer les athlètes, a réitéré le vainqueur d’étape au Tour en entrevue jeudi. Donc, c’est entièrement à nos frais. C’est sûr que moi, ça ne m’intéresse pas. Guillaume Boivin a refusé l’invitation, Antoine Duchesne aussi. S’il faut payer, nous, on ne voit pas l’intérêt [d’y aller]. Ça va être intéressant de voir qui va aller subventionner la fédération. »

Chose certaine, ce ne sera donc pas son coéquipier Boivin. Meilleur Canadien avec une 17e place sur le parcours très sélectif de Louvain l’an dernier, le cycliste de 33 ans avait pourtant exprimé son vif désir de racheter une saison difficile sur un autre circuit qui lui convenait en Australie.

PHOTO FOURNIE PAR ISRAEL-PREMIER TECH

Guillaume Boivin

« Oui, [ça m’intéressait], mais apparemment qu’au Canada, on n’a pas argent pour payer des billets d’avion et des choses comme ça pour nos athlètes, a-t-il asséné au téléphone vendredi. »

« J’ai donc décidé que ça ne me tentait pas de payer de ma poche pour aller faire les Championnats du monde. À l’âge où on est rendus, on a déjà payé dans notre carrière [pour participer à de tels évènements]. »

Avec les saisons qu’on fait et les résultats qu’on a apportés dans les dernières années, je trouvais ça un peu irrespectueux de nous demander de payer. J’ai décidé de ne pas y aller parce que ça coûte cher, mais par principe aussi.

Guillaume Boivin

Après sa chute à la troisième étape de la Vuelta, Woods, un autre membre d’IPT, préfère se concentrer sur les classiques italiennes, dont le Tour de Lombardie, le 8 octobre.

« Avec le long voyage en Australie, ce serait compliqué de bien courir en Italie », a précisé le médaillé de bronze aux Mondiaux de 2018 et cinquième aux Jeux olympiques de Tokyo en 2021. « Aussi, c’est moins motivant [d’y prendre part] sachant que la course est entièrement financée par les coureurs. »

Freiné par les coûts

Duchesne avait dit oui en marge de son deuxième Tour de France. Mais sa fracture à un doigt sur une chute à la deuxième étape du Tour du Poitou-Charentes, le 24 août, l’a conduit à se raviser. Relativement amoché, le membre de Groupama-FDJ met tout en œuvre pour être le plus frais possible aux Grands Prix cyclistes de Québec et de Montréal, les 9 et 11 septembre. Il n’est pas impossible qu’il mette un terme à sa saison à l’issue de l’épreuve sur le mont Royal.

PHOTO THOMAS SAMSON, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Antoine Duchesne (à gauche)

Cela dit, Duchesne admet avoir été « freiné un peu » par les coûts du voyage.

« Je trouve ça assez fou, a-t-il dit depuis la France. Surtout si on considère les performances que les élites hommes ont réussies ces quatre cinq ou dernières années. On s’est toujours fait dire qu’on n’avait pas de budget parce qu’on ne performait pas. Là, on performe et on n’a pas encore de budget. »

Je comprends qu’il y a des creux, mais j’ai hâte de savoir combien de personnes de Cyclisme Canada sont invitées là-bas pour serrer des mains…

Antoine Duchesne

Avec sa 23e place au classement des nations le 16 août, le Canada aura droit à quatre partants à Wollongong pour l’épreuve élites hommes sur route du 25 septembre.

« Si la moitié des meilleurs décident de ne pas y aller, ça montre que l’équipe canadienne, dans le fond, se fout des résultats, a affirmé Duchesne. On va envoyer ceux qui ont voulu payer et on va faire avec ça. Après, ils vont dire qu’il n’y a pas de résultats. »

D’autant, ajoute-t-il, que le Canada devrait faire partie des « outsiders » pour le podium avec des représentants comme Woods, Houle et Boivin. « Ça fait plusieurs années que ce n’est pas arrivé. Je comprends que c’est un championnat du monde qui coûte cher et que tout le monde doit payer sa part, mais reste que c’est l’évènement numéro un et qu’on a des coureurs pour gagner. C’est quand même dommage. »

Le champion canadien Pier-André Côté a hésité avant d’accepter une sélection connue de longue date. Il ne s’est décidé que mercredi. Le représentant de la formation américaine Human Powered Health a lui aussi été refroidi par le coût élevé du déplacement.

« C’est difficile, j’étais vraiment indécis », a admis l’athlète de Lévis qui s’alignera à la Classique du Maryland, ce dimanche. « Dépenser 5000 $ pour un billet d’avion pour une course d’un jour, tout le monde s’est posé la question. C’est pour ça qu’autant de gens ont refusé. J’ai dû y réfléchir. »

Puisqu’il reçoit du financement de Sport Canada pour absorber ce genre de dépenses, il a jugé « par principe » qu’il ne pouvait pas décliner cette invitation pour ses deuxièmes Mondiaux élites. Son coéquipier Nickolas Zukowsky, de Sainte-Lucie-des-Laurentides, l’accompagnera à Wollongong.

Le Canada n’est pas la seule nation cycliste qui sera privée de ses meilleurs coureurs. L’Irlande a carrément annulé sa participation en raison des frais élevés du voyage et d’un budget restreint. La Nouvelle-Zélande devra également se passer de quelques-uns de ses professionnels en Europe qui refusent d’assumer une partie des coûts du billet d’avion, selon un article récent du site spécialisé cyclingtips.com.

« Incroyablement cher »

Cyclisme Canada assure faire tout en son pouvoir pour réduire les frais demandés aux athlètes pour participer à ses divers projets internationaux dans toutes les disciplines.

« À ce jour, plusieurs athlètes ont choisi de ne pas participer aux Championnats du monde de cette année en raison d’engagements d’équipes professionnelles, a précisé par écrit Scott Kelly, chef du sport à la fédération. Nous sommes également conscients que le coût est une préoccupation pour les athlètes. Nous nous en inquiétons également. »

« Les Championnats du monde sur route de cette année en Australie coûtent incroyablement cher et en parlant avec de nombreuses autres fédérations nationales de cyclisme, nous ne sommes pas les seuls à devoir faire face à ces coûts accrus, a-t-il ajouté. Nous nous sommes engagés à aligner des équipes dans chaque catégorie, et avec une équipe plus grande, cela entraîne des coûts supplémentaires. »

Cyclisme Canada a prévu un montant de 110 000 $ pour les Mondiaux de Wollongong (hébergement, personnel, transport et bagages), soit le tiers du budget annuel de compétition sur route. Kelly s’attend à une hausse de ce montant « compte tenu de l’augmentation du coût de presque tout ce qui concerne les voyages internationaux ». Si les athlètes de la catégorie élite doivent payer leur vol, ceux des catégories juniors et U23 doivent en plus débourser 1250 $ en « frais de projet ».

« Nous continuons à chercher des moyens de fournir un financement supplémentaire pour les Championnats du monde de cette année. Et nous continuons à être à la fois communicatifs et transparents avec les athlètes sur les défis liés à ces coûts accrus », a-t-il conclu.