(Copenhague) Il serait facile d’écrire que le pont du Grand Belt a accouché d’une souris. Mais ce serait faire injure à Fabio Jakobsen, aussi grandiose que l’immense structure reliant les îles danoises de Seeland et de Fionie.

Moins de deux ans après un terrible écrasement dans les barricades qui a failli lui coûter la vie, le Néerlandais de 25 ans a remporté la deuxième étape du Tour de France, samedi, à Nyborg.

Il a devancé au sprint le Belge Wout van Aert (Jumbo), nouveau maillot jaune, et le Danois Mads Pedersen (Trek), qui aurait souhaité offrir une victoire aux dizaines de milliers de spectateurs venus acclamer les cyclistes sur tout le parcours de 202 km.

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Wout van Aert

« Est-ce un miracle ? », s’est fait demander Jakobsen en conférence de presse. « Si vous le dites », a-t-il répondu avec un calme désarmant une heure et demie après son premier succès au Tour.

Dans une étape au Tour de Pologne en août 2020, Jakobsen avait heurté un juge de course derrière un portillon rigide dans une arrivée au sprint à près de 80 km/h. Son compatriote Dylan Groenewegen l’avait volontairement tassé pour lui disputer la victoire, ce qui lui avait valu une suspension de neuf mois.

Plongé dans un coma artificiel, Jakobsen a subi des blessures à faire frémir : contusion au cerveau, fissure du crâne, palais fracturé, 10 dents perdues, morceaux de mâchoire arrachés, coupures au visage, pouce brisé, épaule endommagée, cordes vocales paralysées et contusion au poumon. À son réveil, il a pensé mourir « cinquante ou cent fois ».

Le sprinteur de Quick-Step est revenu à la compétition moins d’un an plus tard, remportant trois étapes à la Vuelta, où il a aussi été premier au classement par points.

« Bien sûr, c’est une histoire spéciale. Presque un conte de fées. Je suis super reconnaissant de même être ici. Il y a d’autres exemples de coureurs qui n’ont pas la chance de revenir après une chute, comme personne et comme coureur cycliste. Le crash m’a rendu plus humble. Je suis extrêmement heureux de toujours être ici et je pense à ces autres coureurs qui n’ont pu le faire. »

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Fabio Jakobsen

Jakobsen a remercié son ostéopathe de 85 ans, qui l’a aidé à retrouver l’usage de tous ses muscles durant sa longue réadaptation. Il a également professé son « amour » pour ses coéquipiers, qu’il considère tous comme des « frères ».

Ressent-il de la peur quand il longe les clôtures ? « Ça a toujours l’air pire que ce l’est en réalité sur le vélo. Dans les 500 derniers mètres, tu ne peux pas être plus concentré. En particulier pour moi. Je suis en plein contrôle et je pense connaître les dangers, les risques. »

Cette victoire est la deuxième pour Quick-Step après le triomphe surprise d’Yves Lampaert au chrono de la veille à Copenhague. Victime d’une chute à l’entrée du pont du Grand Belt, le maillot jaune a pu revenir sur le peloton avant de mettre la table pour Jakobsen dans les ultimes hectomètres.

Pedersen a produit le premier démarrage, provoquant une réaction de van Aert. Bien placé au centre de la route, Jakobsen a trouvé l’ouverture avant de lancer son vélo sur la ligne.

Il donne ainsi raison à son patron Patrick Lefevere, qui l’a préféré au Britannique Mark Cavendish, l’homme aux 34 victoires au Tour, à égalité avec Eddy Merckx. « Il aurait mérité d’être là lui aussi, a insisté Jakobsen. Je suis assez certain qu’il savoure ma victoire à la maison. »

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Yves Lampaert repartant après une chute impliquant quelques cyclistes lors de la deuxième étape, samedi

Seule déception pour la formation belge, Lampaert a perdu le jaune par une seconde au profit de van Aert, qui a grappillé six secondes de bonification avec sa deuxième place. Le Belge de Jumbo s’est également offert le maillot vert.

Avec le vent de face qui soufflait, le pont du Grand Belt, d’une longueur totale de 17 km, n’a pas provoqué les échelons redoutés par les cyclistes et attendus par les suiveurs.

Lampaert a culbuté par-dessus un coureur d’EF victime d’un accrochage, mais il a pu se relever assez vite pour recoller au peloton avec l’aide des Danois Morkov et Honoré. Rigoberto Urán (EF) a eu plus chaud après une chute à l’entrée du pont. En dépit d’un écart de plus d’une minute, le Colombien a pu revenir sur la tête dans le sillage rose de ses coéquipiers.

Téléphone au bout des bras, les milliers de spectateurs massés à Nyborg depuis la matinée n’ont pas vu grand-chose de l’emballage final. Ils sont néanmoins repartis dans la bonne humeur et pour certains assez éméchés. Ils regarderont la vidéo en arrivant à la maison.