(Saint-Prosper) À la mi-parcours, la course était déjà pliée. Hugo Houle venait de rattraper Adam Roberge, parti une minute devant lui. Bouche grande ouverte, le natif de Sainte-Perpétue ne laissait planer aucun doute sur ses intentions.

Le titre national de contre-la-montre, il l’avait dans la ligne de mire. Houle a beau faire partie des meilleurs cyclistes au monde, il ne « gagne pas souvent ». La dernière fois, c’était à l’été 2015, aux Jeux panaméricains de Toronto.

Depuis cette médaille d’or au contre-la-montre individuel, il a pris du galon au sein du peloton européen. Trois prestations remarquées au Tour de France lui ont permis de s’établir comme un équipier de grande valeur auprès de ses meneurs.

Sa récente 13place aux Jeux olympiques de Tokyo a rappelé ses qualités dans l’épreuve solitaire. Quelques heures après être descendu de sa monture, il avait annoncé ses intentions pour les Championnats canadiens, disputés exceptionnellement en septembre, ce qui lui donnait l’occasion de s’y rendre pour la première fois depuis 2016.

Quelques adversaires potentiels ont rendu les armes à l’avance, comme ses amis Antoine Duchesne et Guillaume Boivin, qui se sont ménagés en prévision de la course sur route de samedi.

« Je ne lui laisserai pas le plaisir de me battre », a lancé Boivin, avec un clin d’œil, à quelques minutes du départ de Houle dans le petit village de Saint-Prosper, aux limites de la Beauce.

De fait, le favori a atomisé la concurrence, parcourant les 34 kilomètres balayés par le vent en 41 min 48 s, à une vitesse moyenne de 48,8 km/h.

« Je suis 100 % sur ma cible », s’est réjoui Houle en montrant son compteur qui indiquait 390 watts de moyenne. « C’était le plan de match. Après, on ne sait jamais comment les jambes réagissent. Mais j’étais attendu, il fallait répondre. Si je n’avais pas gagné, le monde se serait demandé pourquoi. »

« Nerveux » de son propre aveu, l’athlète de 30 ans a choisi de « sortir fort » pour se « donner une marge de manœuvre » sur le retour. En rattrapant Roberge et en notant l’écart avec les autres concurrents sur la route, il a compris que l’or lui tendait les bras. Il s’agissait d’éviter les nombreuses fissures dans la route et les coups de vent qui ont fait trembler son vélo dans les descentes à 70-75 km/h.

Physiquement, je me sentais bien. J’étais capable de mettre la puissance que je veux. Des fois, il y a des journées où on souffre beaucoup plus. Aujourd’hui, j’ai beaucoup souffert, mais j’étais à l’aise. Avec les jambes que j’avais, j’étais capable de donner mon maximum. Je l’avais dans la tête celle-là. Je voulais gagner.

Hugo Houle

L’Albertain Alec Cowan a remporté l’argent, terminant à 1 min 39 s de Houle. L’Ontarien Derek Gee a complété le podium (+1 min 45 s).

Médaillé de bronze au dernier rendez-vous national de 2019, Roberge a cette fois dû se contenter du quatrième rang (+1 min 47 s). « C’est ma deuxième fois sur mon vélo de chrono cette année », a expliqué le Québécois qui s’est davantage consacré aux courses de gravelle en 2021.

Habitué à compter sur l’appui d’Astana-Premier Tech, sa formation du WorldTour qu’il quittera à la fin de la saison, Houle s’était organisé une petite équipe personnelle. Son premier entraîneur Pierre Hutsebaut était au volant de sa voiture, accompagné du patron de Premier Tech, Jean Bélanger. Le mécano était son beau-frère Antoine Matteau.

Pour avoir l’esprit tranquille, il s’était loué un chalet à proximité du lieu de départ, avec ses parents et sa belle-famille. Dans l’aire d’arrivée, tout ce beau monde a spontanément fait une sorte de haie d’honneur tandis que le héros du jour se préparait à répondre aux questions des deux journalistes présents.

Le collègue Michel Chabot, de Radio-Canada, lui a demandé ce que signifiait un titre national pour un coureur évoluant dans le WorldTour depuis des années.

« C’est le tout le temps le fun d’avoir le maillot en Europe dans nos équipes professionnelles, a amorcé Houle. Avec Premier Tech… Je voulais gagner le maillot pour eux et… pour mon frère aussi. »

C’est là qu’il a craqué. Les mots se sont bloqués dans sa gorge. Tout le monde a encore mieux compris l’importance de cette victoire.

Le 21 décembre 2012, son frère cadet Pierrik a péri, fauché par un conducteur en état d’ébriété alors qu’il faisait un jogging en plein cœur de Sainte-Perpétue. Hugo venait tout juste de rentrer d’Europe après son premier stage avec sa nouvelle équipe AG2R La Mondiale.

« Je voulais tout donner aujourd’hui pour ça », a-t-il simplement résumé.

La déception de Blais

À l’instar de Houle, Alison Jackson s’est révélée à la hauteur de son statut de favorite en gagnant l’or à l’épreuve féminine. L’Albertaine de 32 ans a reçu une belle opposition de Marie Soleil Blais, deuxième à 44 secondes. Elle aussi âgée de 32 ans, la native de Saint-Rosaire, près de Victoriaville, se désolait de cette occasion ratée. « Ah, je suis déçue… a-t-elle réagi quelques minutes après la course. J’ai médité une heure par jour, je l’ai tellement visualisée cette course-là. On a juste ça cette année. Je n’étais pas en Europe, je n’ai pas de contrat. Et là, j’avais une chance… » Blais n’a pu retenir ses larmes. Celle qui vise les Jeux olympiques de Paris en 2024 souhaitait pouvoir trouver une nouvelle équipe avec une victoire aux Championnats canadiens. Gillian Elsay, de la Colombie-Britannique, a enlevé le bronze. La Québécoise Laurie Jussaume a terminé première chez les U23, tout comme son frère cadet Tristan, âgé de 20 ans seulement, chez les hommes. Les Québécois Léonard Péloquin et Jazmine Lavergne se sont imposés chez les juniors. Les Québécois Piotr Czyzowicz, Louis-Albert Corriveau Jolin, Charles Moreau et Marie-Claude Molnar ont fait de même en paracyclisme. La course sur route masculine élite sera disputée samedi depuis Saint-Georges-de-Beauce. Houle tentera de décrocher une autre médaille d’or : « Je vais pouvoir courir plus tranquille demain vu que je n’ai pas manqué mon coup aujourd’hui… »